Les pratiques intertextuelles dans la dramaturgie du XVII èèmmee siècle

Les pratiques intertextuelles dans la dramaturgie du XVII ème siècle

Origine et originalité des intertextes

La problématique de la nature des sources et l’origine livresque « Un texte n’est un texte que s’il cache au premier regard, au premier venu, la loi de sa composition et la règle de son jeu »152 . Les origines des hypotextes de Molière sont diverses et se manifestent aussi différemment. S’il y a bien une source lointaine de l’œuvre moliéresque qui est principalement constituée des textes de l’Antiquité, il y a une autre qui est liée à cette œuvre par une relation d’intertextualité synchronique. Elle forme une classe particulière car elle est souvent inspirée d’une littérature étrangère, bien évidemment par rapport à celle de Molière, parce qu’étant d’auteurs le plus souvent italiens, espagnols et, dans quelques rares cas, portugais153. Cette relation n’est pas simplement dans l’aspect concret telle la reprise des faits, des intrigues, elle est jusque dans le fait abstrait, purement textuel, que d’aucuns ne considèrent comme une marque avérée de l’inspiration de Molière mais une rencontre fortuite. Les pratiques langagières sont parfois des marques de ce rapport d’origine et, ensuite, une trace de l’originalité des textes de Molière. Cette partie du travail est aussi un prétexte pour revenir sur les considérations théoriques, sur la critique des sources et l’intertextualité et, éventuellement, éclaircir les positions. Pour cela, l’aspect théorique va quelque peu dominer. Quel est donc l’écart entre source littéraire et relation intertextuelle ? Des considérations ne manquent pas à cette problématique et plusieurs critiques ont tenté d’apporter des solutions possibles à ce questionnement. Une réponse semble déjà être apportée par Laurent Jenny qui établit un rapport entre les deux théories et considère que : « l’intertextualité prise au sens strict n’est pas sans rapport avec la critique des  »sources »»154. Alain Trouvé, à sa suite, va plus loin en faisant une différenciation, soutenant à cet effet que : « la distinction, si elle doit être faite, réside peut-être dans la part de souvenir inconscient présidant à l’écriture intertextuelle. La source renvoie pour sa part à l’hégémonie complète de l’auteur sur le sens »155. Un autre critique, Michael Riffaterre, avait, lui aussi, fait, en des termes plus clairs, remarquer une dépendance de la critique intertextuelle à l’établissement des sources dans certains cas, notant ainsi que : « La connaissance de l’intertexte antérieur relèverait de l’histoire des influences, des filiations littéraires, de la recherche traditionnelle des sources, tradition à l’heure actuelle très déconsidérée. La connaissance de l’intertexte postérieur relèverait de l’histoire de la survie d’une œuvre, de ce que la philologie du siècle dernier appelait nachleben. La connaissance a-chronique de l’intertexte relèverait de la thématologie »156 . Cette thématologie, qui n’est rien d’autre que l’étude des thèmes, fait encore parler du contexte de production du texte qui est censé avoir le même thème que les textes qui sont publiés à la même période et lorsqu’ils sont, de surcroît, du même genre. Il faut ainsi bien suivre la littérature dans l’ordre des temps pour confirmer l’inexistence de textes-source en rapport avec nos textes, ceux dont on tente d’établir les relations avec d’autres. Michael Riffaterre exprime par-là que l’intertexte est bien différent de la source, la façon de les détecter aussi. Cette précision permet de comprendre l’orientation que propose Claude Bourqui et à laquelle il se limite et se suffit en plus. Vu tout cela, nous retenons qu’une chose est d’établir la source d’une œuvre littéraire et une autre de la définir à partir d’une poétique moderne de l’intertextualité vu qu’ « il n’est pas évident que l’utilisation des sources littéraires par un auteur au sens traditionnel du terme, constitue un cas d’intertextualité »157. Cela est sans doute vrai mais, en dehors de toute considération, elle l’annonce et contribue à son interprétation. L’intertextualité n’est nullement un autre nom pour l’étude des sources et des influences, elle ne se réduit pas au simple constat que les textes entrent en relation avec un ou plusieurs autres textes. Elle engage à repenser notre mode de compréhension des textes littéraires, à envisager la littérature comme un espace ou un réseau si l’on veut, où chaque texte transforme les autres qui le modifient, naturellement, en retour. L’origine de l’intertexte, pour chaque texte, peut provoquer des doutes et être sujet de discussion mais, l’originalité de cet intertexte dépend largement de 155 Alain Trouvé, Le Roman de la lecture, critique de la raison littéraire, Liège, Pierre Mardaga, 2004, p. 114. 156 Michael Riffaterre, « L’Intertexte inconnu », Intertextualité et roman en France, au Moyen Âge, Littérature, n°41, février 1981, p. 5. Sujet de thèse : Les pratiques intertextuelles dans la dramaturgie du XVIIème siècle : Molière et la doctrine de l’imitation 60 l’interprétation qui est faite de ce rapport établi entre l’hypotexte et son hypertexte. Ce que Claude Bourqui aurait appelé hypotexte secondaire et qu’il qualifie de source « à titre accessoire » n’est pas moins important que l’hypotexte authentique, étant donné que toute tentative d’imitation aussi désintéressée qu’elle semble correspond à une pratique d’écriture158. L’intertexte qui n’est pas décelé, ou tout simplement ignoré par Claude Bourqui, premier lecteur, est ainsi, découvert par nous, qui déchiffrons le texte en second. La critique des sources est, d’après toutes ces considérations, une phase de la critique intertextuelle qui la surpasse de fait, naturellement, vu que : « L’intertextualité, condition de tout texte, quel qu’il soit, ne se réduit évidemment pas à un problème de sources ou d’influences ; l’intertexte est un champ général de formules anonymes, dont l’origine est rarement repérable, de citations inconscientes ou automatiques, données sans guillemets »159 . Roland Barthes confirme, dans ce passage, la consubstantialité de relations formelles ou même de fond entre les textes, qu’elles soient explicites ou pas. L’inexistence de guillemets dans les reprises insérées dans les textes de fiction n’attire pas trop, vu que, même si cette forme de pratique peut faire parler d’elle, c’est apparemment la règle dans la réécriture. Subséquemment, il ne saurait y avoir une seule forme possible de reprendre et, par conséquent, de détecter la partie reprise. Il faut obligatoirement, comme le recommande James Joyce à Frank Budgen, à travers une idée reprise textuellement par Umberto Eco, « que le lecteur comprenne toujours par suggestion, non au moyen d’affirmations directes »160. D’ailleurs, Antoine Compagnon considère tout acte de réécriture comme citation d’où l’impertinence de la consubstantialité entre citation et guillemets.

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L’originalité d’origine langagière

Pour ce qui concerne ces pratiques langagières, Molière procède à l’« italianisme», à l’« espagnolisme », au « turquisme », au « suissisme »235 en plus du latinisme, plus avéré, auquel il s’exerce dans beaucoup de ses textes. Pour le cas de la dernière pratique citée, Molière travaille sous la pression contradictoire d’une langue vécue qu’est le français et d’une langue apprise qu’est le latin, objet d’une pulsion critique et créative. Bien que ces deux langues se soient manifestées à des époques très proches et très liées, elles se retrouvent dans ses textes mais se côtoient difficilement. Ces idiotismes de l’espagnol, de l’italien, du turc, du suisse ou encore du latin – idiotisme parce qu’employé dans un texte français- sont des traits de langage qui sont offerts à l’imitation. Ce recours au fait langagier est incité par le fait que certains critiques ont attiré notre attention sur des difficultés et limites que peuvent présenter certains matériaux d’analyse et les perspectives qui peuvent s’ouvrir avec d’autres. Par contre, ce sont des pratiques qui ne renseigneraient pas dans tous les cas sur l’origine des textes. Mais elles leur donnent une originalité. Molière le fait le plus souvent par souci de mieux pasticher les auteurs qu’il imite. Il est donc logique qu’il abandonne, le mieux possible, ses propres termes pour imiter ceux de son modèle qui, en ce moment, deviennent des emplois particuliers. C’est selon aussi ses intentions sémantiques que Molière emploie ces idiotismes et, par des contraintes sémantiques et formelles, ne les utilise pas correctement mais les subvertit. La subversion à laquelle Molière procède dans ses textes est suivie par ceux des critiques sur ce sujet. Ainsi, si Robert Garapon considère que la prédilection de Molière va à une forme de jargon qui est le patois236, pratique que l’on rencontre sous toutes ses formes, depuis L’Étourdi ou les contretemps jusqu’aux Femmes savantes, Gérard Genette les considère autrement. Selon lui, de façon générale : « L’imitation comprend en fait toutes les figures produites dans un état de langue ou de style à l’imitation d’un autre état de langue ou de style. Elle ne se distingue pas des autres figures comme celles-ci se distinguent entre elles, par son procédé formel, mais simplement par sa fonction, qui est d’imiter, d’une manière ou d’une autre, une langue ou un style ». Il progresse en rappelant que : « l’imitation n’est pas une figure, mais la fonction mimétique accordée à n’importe quelle figure, pour peu qu’elle s’y prête », rejoignant Jacques Derrida qui proposait déjà une reconsidération des effets de l’écriture, parfois inaperçus . Par conséquent, c’est le procédé que Gérard Genette fait sien et qui renvoie à l’imitation telle qu’il la conçoit qui est favorisé. Les deux premiers procédés qu’il répertorie expliquent la pratique mais il ajoute : « (…) en voici la troisième et dernière espèce, c’est notre imitation, qui attente à l’ordo d’une langue pour imiter celui d’une autre langue, ou d’un état plus ancien de la même »240. Ces deux caractéristiques répertoriées nous intéressent particulièrement car ils apparaissent dans plusieurs des textes de notre corpus. Le latin, ayant évolué pour donner le français, le latinisme évoqué correspondrait peut-être exactement à l’emploi ancien de cette même langue par laquelle Molière s’exprime mais, naturellement, avec beaucoup d’écarts par rapport aux normes. Ces pratiques sont, malgré tout, considérées par certains comme de simples constructions pour orner le texte. Cette hypothèse est révolue mais elle a eu à guider bien les critiques traditionnels. La transgression des règles grammaticales est certaine puisque les langues n’obéissent pas aux mêmes normes et, en plus, l’auteur n’est pas dans les dispositions d’un emploi correct de toutes celles dont il use. Puisque les mots sont à l’origine de la création, il n’est pas surprenant que nous nous intéressions à leur origine. Son entrée dans la bouche de Mascarille nous en donne une autre vision. Mascarille, personnage de L’Étourdi ou les contretemps, que Molière dupliquera dans Le Dépit amoureux et Les Précieuses ridicules, est critiqué par Lélie pour son emploi d’un jargon considéré par celle-ci comme de l’allemand et qu’il ne s’interdit pas de commenter : « Ton jargon allemand est superflu, te dis-je ; Car nous sommes d’accord, et sa bonté m’oblige : J’ai tout ce que mes vœux lui pouvaient demander, Et tu n’a pas sujet de rien appréhender »242 , Alors que l’auteur de ces propos les déclare, lui, suisse. Il faut savoir que ni l’un ni l’autre n’ignore la source de l’auteur. Cette remarque justifie que Lélie, à l’image de l’auteur, très imprégné de la culture ou exactement des langues et peut-être encore de la littérature romandes, s’inspire bien de celle-ci. Le terme de  »superflu » renforce l’idée de détournement dans la pratique de cette langue. Bouleversement dans l’évènement pour matérialiser les contretemps, jeu comique : ce sont là les objectifs premiers de Molière lorsqu’il manipule la langue de cette sorte. Le problème de l’intention de l’auteur et des raisonnements du lecteur se pose ici et on a bien dit objectif mais il ne définit pas pour autant le résultat de la pratique. Ces déductions ont leur raison d’être puisque dans des vers qui précèdent ceux de Lélie, et en sa présence même, Andrès déclinait déjà l’identité de Mascarille : « Seigneur suisse, êtes-vous de ce logis le maître » ? lui demandait-t-il. Il anticipe ainsi sur la pratique. C’est ensuite dans le même acte (V), respectivement dans les répliques suivantes, que Mascarille s’exerce enfin à sa pratique: « Moi souis ein chant honneur, moi non point Maquerille : Chai point fentre chamais le fame ni le fille. » « Alle fous pourmener, sans toi rire te moi » « Partieu, tiaple, mon foi ! Jamais toi chai connaître. » « Si toi point en aller, chai paille ein cou te point ».

Table des matières

Introduction générale
Première partie : Écriture moliéresque et intertextualité
Chapitre 1 : La réécriture au XVIIème siècle
Chapitre 2 : La diversité hypotextuelle chez Molière
Deuxième partie : Les procédés de l’imitation moliéresque
Chapitre 3 : Les formes de la mimésis dans les textes de Molière
Chapitre 4 : Les écarts de conformité
Troisième partie : Enjeux, Fonctions et Perspectives de la réécriture dans les textes de Molière
Chapitre 5 : La métatextualite
Chapitre 6 : Perspectives critiques de l’usage de l’écriture.
Conclusion générale
Bibliographie générale

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