Les pratiques françaises et chinoises d’externalisation des services public

Les pratiques françaises et chinoises d’externalisation des services public

Étant donnée l’absence de définition textuelle ou jurisprudentielle de l’externalisation, la doctrine française s’avère fluctuante à ce sujet . Comme le souligne Philippe Yolka, la notion d’externalisation risque d’être interprétée de façon trop large ou trop restrictive : soit « il y aurait externalisation dès que l’administration fait appel à un prestataire extérieur pour satisfaire un besoin quelconque » ; soit la rigueur de la classification exclut l’achat public et la délégation, ou plus précisément, la concession du service public du domaine de l’externalisation en n’y laissant, en fin de compte, que très peu de matière1 . Cette problématique du périmètre de la notion d’externalisation se pose de la même manière au sein de la doctrine chinoise pour laquelle la sous-traitance , l’achat public, la convention de délégation entre personnes publiques et la délégation d’un service entier constituent les principaux objets du débat. Il est parfois difficile de trancher, sachant que selon les différents points de vue disciplinaires ou idéologiques, voire philosophiques, ce domaine peut être plus ou moins étendu. Nous avons retenu une définition étroite de la notion d’externalisation des services publics. Cela étant, elle englobe plusieurs types d’actions publiques telles que l’achat public, les travaux publics, la délégation de certaines compétences administratives et les contrats de partenariat publicprivé. La plupart de ces actions, pour ne pas dire la totalité, se réalisent par le biais du contrat qui est considéré dès lors comme « un puissant levier de modernisation de l’État », « un instrument incontournable des politiques sociales » et « un outil essentiel de régulation dans une économie de marché » 3. Or, étant donné l’objet d’intérêt général et les moyens exorbitants de réalisation de ces contrats, ils suivent souvent des règles autres que celles reconnues par le droit commun. C’est là que la doctrine chinoise, tout en se référant au concept anglais de « contrating-out », rejoint la notion française de contrat administratif pour une théorisation des contrats d’externalisation des services publics. L’essor de l’externalisation des services publics est donc accompagné d’une contractualisation croissante dans les secteurs publics des deux pays ayant vécu un temps de dirigisme planificateur. Le nouveau mode de fonctionnement de l’administration nécessite une restructuration de ses missions. Dans ce chapitre, nous abordons dans un premier temps l’externalisation des services publics par voie contractuelle (section 1), puis la question des limites à l’externalisation des services de l’administration (section 2).

L’externalisation des services publics par voie contractuelle 

Laurent Richer observe trois périodes d’extension de l’utilisation du contrat dans le domaine public sous la Vème République : la phase de l’économie contractuelle (1960-1982), la phase de l’administration territoriale (1982-1992) et la phase du tout contractuel (1992-2002)4. Cette dernière, se poursuivant jusqu’aujourd’hui, coïncide avec l’essor du recours au contrat dans le domaine public en Chine notamment à partir des lois du 15 mars 1999 « sur les contrats » 5, du 30 août 1999 « sur les appels d’offres » 6 et du 29 juin 2002 « sur la commande publique » 7. Pendant cette période, la doctrine chinoise tend à créer une catégorie de contrats administratifs sous le prisme de la notion française de contrat administratif (I), laquelle fournit les principales modalités d’externalisation des services publics (II). I. La recherche de la notion de contrat administratif en Chine sous le prisme de la notion française de contrat administratif Si la notion française de contrat administratif est née d’une construction jurisprudentielle, et occupe dès lors une place considérable dans le droit administratif, le droit positif chinois ne reconnaît pas officiellement le contrat administratif, malgré une attention particulière portée par la doctrine à cette notion depuis les années 1990. Le débat doctrinal s’est ainsi engagé sur les questions de l’existence du contrat administratif, de sa définition, de sa nature juridique, de son identification et du régime qui lui est applicable. Parmi les nombreuses contributions doctrinales8, deux ouvrages ont été spécifiquement consacrés au contrat administratif9. Quelle que soit la divergence entre ces théories, elles prônent unanimement la reconnaissance officielle du contrat administratif par le droit positif et considèrent que la notion de contrat administratif est dorénavant indispensable pour la poursuite de la réforme générale de l’État. Les théoriciens chinois du contrat administratif se sont largement inspirés des droits étrangers tels que le droit allemand, le droit américain, le droit japonais et, en particulier, le droit français. En effet, l’introduction de la notion de contrat administratif par l’ouvrage prométhéen de WANG Mingyang en 1989 a fourni nombre d’éléments constitutifs de cette notion et, avant tout, la dénomination de contrat administratif0. La notion française de contrat administratif constitue désormais un élément incontournable dans presque tous les ouvrages abordant le contrat administratif1 . Elle exerce, ce faisant, une influence majeure sur la doctrine chinoise tant concernant la question de l’existence des contrats administratifs (A) que pour leur identification (B). A. La question de l’existence des contrats administratifs Depuis les études successives de Gaston Jèze3, de Georges Péquignot3 et d’André de Laubadère4, la spécificité du contrat administratif se voit clairement affirmée en droit français. Les contrats administratifs sont des contrats, mais marqués par un particularisme dû à leur but d’intérêt général et au fonctionnement particulier de l’administration publique. Considérés comme un moyen d’assouplissement des interventions publiques, ils sont aussi des actes de l’administration par lesquels celle-ci réalise ses missions. Or, comme le constate le Conseil d’État dans son étude de 2008 sur le contrat, non seulement la distinction des décisions administratives unilatérales et des conventions conclues par l’administration n’est pas toujours facile à opérer5, mais encore la conclusion et l’application de certaines conventions sont subordonnées à l’intervention d’une décision unilatérale6 . Entre le contrat au sens du droit commun et l’acte administratif caractérisé par l’unilatéralité, la nature du contrat administratif constitue une question primordiale pour les juristes chinois. Tout en admettant que les contrats administratifs sont des contrats7, les auteurs chinois, comme la doctrine française8, opèrent une distinction entre contrat administratif et contrat de droit commun de l’administration (1). Dans le même temps, la distinction entre les contrats administratifs et les actes unilatéraux s’avère quelque peu ambiguë compte tenu d’une certaine similitude entre ces deux catégories d’actes de l’administration (2). 

La distinction entre contrat administratif et contrat de droit commun

 En Chine, bien que la notion de contrat administratif fasse l’objet de débats doctrinaux depuis vingt ans, aucun texte juridique ne mentionne le terme « contrat administratif ». Lors de l’élaboration du projet de la loi « sur le contrat » en 1997, certains experts du droit administratif ont suggéré la création d’un chapitre ou, au moins, d’un article relatif au contrat administratif 9 . Toutefois, cette proposition n’a pas été retenue par la commission de rédaction du projet de loi. Qu’est-ce que le contrat administratif, sinon un contrat tout court ? Existe-t-il des contrats administratifs en droit chinois ? Dans l’affirmative, quels contrats sont administratifs ? Ces trois questions formulées par LIANG Huixing, alors membre de ladite commission, n’ont pas pu obtenir de réponses satisfaisantes. De surcroît, même si le contrat administratif pouvait exister, il devait logiquement être encadré par les règles du droit administratif, alors que la loi « sur le contrat » s’intéresse plutôt aux contrats du droit civil0. Cela suppose une distinction entre les contrats du droit commun ― même s’ils sont conclus par l’administration ― et les contrats dits administratifs1 . Cette étape intellectuelle s’avère nécessaire, comme en droit français, pour la naissance du contrat administratif. En France, hormis les quelques interventions législatives, notamment en matière de marchés de travaux publics, qui attribuent à la juridiction administrative le contentieux, le contrat administratif est surtout né d’une évolution jurisprudentielle accompagnée de commentaires doctrinaux. La distinction faite par le commissaire du gouvernement David entre « l’État puissance publique » et « l’État personne civile » 2 fournit la base de la distinction entre « la gestion publique » et « la gestion privée » établie par le commissaire du gouvernement Romieu à l’occasion de l’affaire Terrier3. La jurisprudence ultérieure a suivi cette solution pour opérer la distinction entre contrats administratifs et contrats de droit commun de l’administration soit au regard de la « nature même » du contrat (l’existence des clauses exorbitantes)4, soit en fonction de l’objet du contrat (« l’exécution même du service public »)5. C’est par ce développement à la fois jurisprudentiel et doctrinal, plutôt que par les qualifications législatives ponctuelles, que la notion de contrat administratif s’est progressivement construite en France. André de Laubadère affirme en 1956, dans son Traité théorique et pratique des contrats administratifs, que « la distinction fondamentale des contrats administratifs proprement dits et des contrats de droit commun (ou de droit privé) conclus par l’administration » est un acquis depuis longtemps6 . Bien que le contrat civil et le contrat administratif s’inscrivent dans un droit général des contrats7, le contrat administratif est soumis à un régime particulier en raison de son but d’intérêt général et des moyens exorbitants issus de prérogatives de puissance publique dans l’exécution du contrat. De ce particularisme lié à l’objectif du contrat administratif découlent certains pouvoirs spécifiques de l’administration qui remettent en cause le principe d’égalité des parties : un pouvoir de modification unilatérale ou de résiliation unilatérale du contrat8, un pouvoir d’exiger l’exécution du contrat en dépit d’événements extérieurs modifiant l’équilibre contractuel et un pouvoir de contrôle et de surveillance qui s’impose au cocontractant9 et qui ouvre, le cas échéant, un pouvoir de sanction administrative sur le cocontractant0 . Ces prérogatives de l’administration dans le contrat administratif sont aussi bien constatés par la doctrine chinoise1. Il en est ainsi, par exemple, en matière de cession ou de transfert de la propriété de l’État. S’agissant du pouvoir de contrôle de l’administration, l’article 6 du règlement provisoire du 19 mai 1990 « sur la cession et le transfert de l’usufruit de la terre urbaine de l’État »  dispose que « les cessions, transferts, locations, hypothèques et la cessation de l’usufruit de la terre sont soumis au contrôle de l’office chargé de la gestion des terres » 3. Aux termes de l’article 17 de ce même texte, si le cocontractant ne respecte pas les délais ou les principes d’exploitation, ledit office intervient et, le cas échéant, prononce des sanctions4. Son article 42 prévoit la possibilité de résilier unilatéralement le contrat de cession ou de bail en vue de la satisfaction des « besoins de l’intérêt public » 5. La résiliation anticipée d’intérêt public est possible sans qu’il soit besoin de suivre les procédures prévues pour sa passation, bien qu’elle soit subordonnée, comme en droit français6, à l’obligation d’indemniser le cocontractant.

Le contrat administratif et l’acte administratif unilatéral

Si la distinction du contrat et de l’acte unilatéral est valable en droit administratif (a), l’application de cette distinction entre contrat administratif et acte administratif unilatéral n’est pas dépourvue de difficultés (b). a. La distinction du contrat administratif et de l’acte administratif unilatéral En parallèle à la question de la nature véritablement contractuelle du contrat administratif, celle de la distinction entre contrat administratif et acte unilatéral de l’administration a également occupé l’attention de la doctrine chinoise8. Si la majorité des auteurs chinois s’accordent sur cette distinction, il s’agit d’une distinction théorique, introduite par le biais du droit comparé ou, plus précisément, grâce à la traduction d’ouvrages juridiques étrangers. Le terme « acte administratif unilatéral » 9 est paru tout d’abord dans l’œuvre pionnière de WANG Mingyang0, puis dans les traductions successives d’ouvrages français de droit administratif1 . Selon la doctrine française, la distinction entre contrat administratif et acte administratif unilatéral s’inscrit dans une distinction plus large : celle du contrat et de l’acte unilatéral. À ce titre, René Chapus suggère, outre la considération du nombre des auteurs de l’acte2, d’adopter un critère matériel, c’est-à-dire un critère fondé sur le « contenu de l’acte ». Ainsi, lorsque l’acte est « destiné à régir le comportement de personnes qui sont étrangères à son édiction, c’est-à-dire qui sont des tiers par rapport à lui », il est un acte unilatéral ; lorsque l’acte est « destiné à régir les relations réciproques de ses auteurs », il est un contrat3. Cette position tend à résumer les divers propos doctrinaux sur cette distinction. Ainsi, Marcel Waline définit l’acte unilatéral comme celui qui « crée des obligations à quelqu’un qui, lui, n’avait pas concouru à l’acte » 4. Dans le même sens, Pierre Delvolvé ajoute que « l’acte unilatéral peut avoir des conséquences sur son auteur lui-même » et que « c’est plus encore l’adoption de l’acte de par la seule volonté d’une autorité administrative qui caractérise son caractère administratif » 5. Charles Eisenmann, dans son Cours de droit administratif, condamne résolument la classification par critère quantitatif et propose les définitions des actes plurilatéraux et des actes unilatéraux de façon suivante : « les actes plurilatéraux (bilatéraux ou multilatéraux) sont : les actes créant des normes qui régissent les rapports mutuels de leurs auteurs, c’est-à-dire statuant des obligations-droits des uns envers les autres ; en d’autres termes, les actes créant des normes ayant pour sujet leurs créateurs mêmes. Les actes unilatéraux sont : ou bien des actes d’un seul individu, ou bien les actes de deux ou plusieurs individus qui ne créent pas des normes destinées à régir leurs rapports » 6 . Ainsi, ce qui permet de distinguer l’acte unilatéral et le contrat est un critère combiné de la manière d’élaborer l’acte d’une part, et de l’effet de son application d’autre part. Lorsque l’acte est élaboré ou réputé être validé par une seule « volonté » sans consentement de ses destinataires, il est un acte unilatéral. En revanche, lorsque l’acte est le résultat du consentement de deux « volontés » ou deux « camps », deux « côtés » (selon les expressions utilisées par les auteurs) et établit des droits et obligations réciproques pour tous deux, il est un contrat. La distinction du contrat et de l’acte unilatéral étant ainsi théoriquement établie, il reste que son application n’est pas toujours simple. 

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