Les politiques urbaines des autorités coloniales

LES DEGUERPISSEMENTS DE 1858 A 1914

Le déclin progressif de Gorée désormais tributaire de Dakar pour son ravitaillement en eau douceaussi bien qu’en diverses denrées, quelques européens avaient dès la moitié du 19eme siècle installé des habitations au village de Dakar occupé par les Lébou à l’époque. C’est ainsi que de plusen plus, Dakar s’agrandissait en raison du développement que la ville était appelée à prendre.L’établissement du Gouvernement général à Dakar entraînait également laconstruction desinfrastructures pour recevoir plus tard les grands services fédéraux de l’AOF.C’est à partir du Port et de la gare, alors les premiers vecteurs du front d’urbanisation occupé par les villages Lébou, que les autorités coloniales repoussaient au fur et à mesure de leurs implantations pour réaliser l’occupation de nouvelles terres pour l’habitat européen, les
commerces Libano-syriens, les camps militaires et les résidences européennes. Dakar a été
commencé par le plateau, ce développement s’était amorcé autour de certains villages Lébouqui étaient regroupés de l’Anse de Dakar. Avec cette nouvelle organisation, il fallait quecertains desvillages installés notamment devant le Port se déplacent à l’intérieur du plateau et ensuite comme le Plateau devenait beaucoup trop petit, on avait senti la nécessité de déplacercertains d’entre eux vers la plaine de la Médina, où se trouve la Médina actuelle. Les déguerpissements ont été commencés dès l’occupation officielle des Européens à Dakar en 1857. Les premiers déguerpissements forcés avaient concerné les villages situés près de l’avenueBarachois, c’est-à-dire des villages de Tann et Kaye alors situés sur l’avenue Albert Sarraut actuelle à travers lesquels l’arrêté du 30 juillet 1858 prévoyait l’ouverture de rues. Mais surtout c’était à partir des grandes décisions de faire de Dakar le siège du gouvernement général de l’AOF que les déguerpissements forcés des villages Lébou s’étaient multipliés, parfois accélérés par les épidémies de Peste ou fièvre jaune. Déjà en 1905, la presque totalitédes villages ont été replacés à l’ouest de la rue Vincens actuelle prolongée jusqu’à la mer àl’ouest etjusqu’à l’Arsenal à l’Est qui se trouvaient les villages de Kaye, Santhiaba, Yakhdieuf, Thiedeme, Mbott, Bakanda31…. En 1908, la plupart des villages Lébou ont étédéplacés initialement des môles 1,2 jusqu’aux Avenues Gambetta (actuelle Avenue LamineGueye) et Maginot. Ces déguerpissements forcés avaient atteint leur paroxysme en 1914-191532quand éclatait l’épidémie de Peste. En effet, à cette date, le secteur de Niayes Thioker était vide et les marécages de Reubeuss inoccupés. Les mesures de ségrégation décidée à l’occasion de cette épidémie amenèrent une nouvelle accélération des déplacements qui prirent unenouvelle allure. La Peste de 191433 donnait aux autorités coloniales l’occasion deconstruire ce lieu de ségrégation qu’était la Médina appartenant à la « classe dangereuse » quipeuplait les taudis de Dakar, qu’il avait sommée de s’inscrire dans ce mouvement d’exode urbain  forcé. Les pouvoirs publics coloniaux l’assimilaient à un élément irrespectueux des règles d’hygiène, attaché par atavisme au mode de vie ancestral. La phase de l’épidémie avait duré assez longtemps, d’Avril 1914 à Janvier 191534 et avait frappé outre Dakar, les régions de Diourbel, Guélor, Yoff, Rufisque et Kaolack. A cette époque Jaussely disait en 1922 « la loi du progrès, celle de la spécialisation, de la division, ou séparation des fonctions trouve son expression dans l’organisation sociale et économique de la cité et par là dans le plan de la ville ». Le zoning constituait l’instrument privilégié dans la poursuite d’une évolution urbaine maîtrisée et rationnelle : l’agglomération idéale comportait un noyau central désencombré et rendu aux affaires tandis qu’un réseau étendu des transports rapides permettait d’éloigner à lapériphérie les quartiers industriels et d’habitation afin de répondre aux objectifs defonctionnalisme, d’hygiène et d’esthétisme. Cette initiative due à l’épidémie de Peste neconnaissait en réalité que de faibles échos auprès de la population Lébou qui souvent refusaitde quitter ses terres et même introduisaient des recours devant le tribunal de Dakar. Donc lePlateau était réservé à l’administration coloniale et assimilée, aux commerces Libano-syriens et la plaine de Médina aux quartiers noirs indigènes, plus particulièrement les Lébou. Par ailleurs, la première guerre mondiale avait entraîné un arrêt brusque des travaux d’aménagement, puis les grands travaux reprendront, après la guerre, avec le tracé des grandsboulevards et la construction de logements. Un deuxième arrêt intervenait avec la crise économique de 1929 voire la deuxième guerre mondiale 1939-1945.

La Peste de 1914

Le lien entre le contrôle des épidémies et la gestion de l’espace urbain devenait plus fort à la fin du XVIIIe s et au XIXe s avec la création des notions de « salubrité » et « hygiène publique ». La destruction des quartiers populaires et la réalisation des grandes avenues dans les villes européennes du XIXe siècle étaient la manifestation concrète de cette nouvelle relation entre la gestion des épidémies et la planification urbaine. Ces théories étaient appliquées avec détermination en Afrique pendant la colonisation avec des conséquences sur le développement des villes africaines : le modèle ségrégationniste qui caractérisait les villes africaines coloniales trouvait ses fondements idéologiques dans les théories de la race qui se développaient au XIXe siècle et dans l’impérialisme économique, mais aussi dans ces nouvelles théories de l’hygiénisme.
En effet la situation sanitaire de Dakar était critique et les épidémies se succédaient sans délai. Parmi les plus mortifères, on pouvait citer les épidémies de Choléra en 1868 et 1869 et la fièvre jaune en 1900. Même pendant les premières années du XXe siècle, onnotait la Variole en1903, la Gastro-entérite en 1904… A Dakar les interventions étaient focalisées sur le Port, les voies publiques et la gestion des eaux.
En Afrique de l’Ouest, la Peste était apparue pour la première fois en 1903 à GrandBassam, une des principales villes de l’Afrique coloniale française et capitale de la Côted’Ivoire jusqu’à 1899, lorsque la présence européenne fut décimée par une épidémie de Fièvre jaune. En 1912, la maladie frappait la Casamance, au Sud de Dakar. L’épidémie sedéveloppait à Dakar dans la période d’Avril 1914 à Janvier 1915, causant environ 1500morts35, surtout dans les quartiers pauvres, habités par la population locale. La gestion de l’épidémie par les autorités municipales avait des conséquences très importantes sur la soiété urbaine et sur le développement de la ville. Toutes ces décisions prises sans impliquerla population locale étaient fortement contestées par la population africaine y voyant une sorte de vengeance pour le vote de 1914 qui pour la première fois avait élu un Noir, leSénégalais Blaise Diagne à l’Assemblée Nationale française.
Ensuite, les mesures étaient encore plus dures aux interventions d’urbanisme adoptéespour faireface à l’épidémie en suivant les principes de l’hygiénisme, les maisons desmalades étaient détruites par le feu avec tous les effets induits : entre les mois de Mai et Décembre1914 dans la ville de Dakar 641 cases et 953 paillotes étaient démolies36. Ainsi l’administration coloniale se proposa de déplacer la population indigène du centre-ville pour créer un nouvel espace réservé aux Africains.
La démolition se réalisa avec d’importantes résistances, surtout de la part des Lébou. La peste de 1914 fut donc utilisée par les colonisateurs pour transformer la ville selon un modèle ségrégationniste qui était justifié par des raisons médicales, mais qui en réalité trouvait ses fondements dans le projet d’exploitation coloniale. Il y’avait donc un lien très fort entre les épidémies, les politiques de l’hygiénisme et la ségrégation urbaine coloniale.

Les Plans directeurs de 1862 1914

En 1862 c’était l’armée française qui signait tout naturellement le premier plan d’urbanisme, plan de lotissement et de cadastre : Plan de Pinet Laprade du nom de sonconcepteur,officier du Génie tout d’abord qui deviendra gouverneur ensuite. Le Plandéveloppait une trame régulière qui quadrillait l’espace dans le secteur abrité de l’anseBernard,àl’Ouest de la presqu’île et la superposait aux villages Lébou existants. Rayantle caractère sacré des sépultures indigènes et des mosquées, ce « lotissement » groupaitles villages Lébou près du débarcadère et les colons réservaient ces terrains pour lesédifices publics et projetaient la future ville sur ce qui est aujourd’hui le Plateau37. En 1901, le Degouy réalisait un Plan d’extensions pour Dakar afin de répondre à lacroissance démographique. Dès 1904, les premières avenues importantes étaient percées,elles étaient destinées à relier les grandes installations les unes aux autres38. A cette mêmeépoque, un Plan directeur a été élaboré (1914 1915) qui couvait le Plateau la Médina (CAUS BCEOM 2003) et donnant ainsi une assise légale à la séparation des populationsautochtones et les Européens. Ce Plan de lotissement pour les Africains de Médina a étéfait par les Services topographiques des Travaux Publics. Ce projet de déplacer lapopulation indigène dans la périphérie était envisagé par les colons comme une solution pour réduire la ville les risques de propagation de l’épidémie de la Peste.

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LES DEGUERPISSEMENTS FORCES DE 1945 1960

Les dix années d’après-guerre étaient consacrées à la reconstitution des infrastructures et à la reconstruction. La croissance démographique arrêtée depuis 1931 dans l’agglomération parisienne avait repris et de 1946 à 1954 la Médina traditionnelle s’était développée très vite avec l’arrivée des ruraux qui commençaient à affluer, la Médina devenait de plus en plus étroite. Ainsi en 1946 le plan directeur d’urbanisme (PDU) du Cap-Vert, réalisé par Gutton, Lambert, et Lopez deviendrait le premier représentant de cette nouvelle ère. Ce plan avait servi de base à un vaste programme d’équipements relatif à l’aménagement du Cap-Vertconfiée à la Société Temporaire d’Aménagement de Grand Dakar (STAGD)39. La Médina avait connu des déguerpissements forcés à l’intérieur : par exemple, la Gueule Tapée actuelle, Colobane et Fass et à l’extérieur par exemple du quartier « Seuk bi », les habitants victimesdes inondations avaient été recensés, déguerpies et réinstallés sur le site actuel de Grand Dakar. C’était bien après le déguerpissement de 1949 que l sera édifié le monument del’indépendance Obélisque… il yavait eu également d’autres zones destinées à des équipements et qui n’étaient occupées à cette époque. C’est ainsi que les ruraux qui immigrèrent occupaient ces zones par manque de place et de moyens. Ces populations occupaient les zones libres et on assistait à la naissance des bidonvilles. Ces bidonvilles ontété multipliés et ont débordé pour occuper à l’Est de la voie ferrée où étaient des terrainsindustriels par exemple l’ancien Kipp Coco, Ainoumane, Baye Gaîndé…Compte tenu dudéveloppement rapide de Dakar, le pouvoir colonial avait décidé de déguerpir les bidonvillesdes ruraux venant de l’intérieur du pays qui étaient irrégulièrement installés sur des terrainsappartenant à l’Etat ou à des particuliers. C’est ainsi que l’Etat colonial avait créé à la hâte Pikine en 1952, pour accueillir les déguerpis de la Médina notamment. Les déguerpis sevoyaient attribuer à titre gratuit une parcelle de 200m², mais devaient y construire leurs habitations par leurs propres moyens. D’autres quartiers spontanés par contre faisaient l’objetd’un encerclement avec la construction des logements de la Société Immobilière du Cap-Vert (SICAP) créée en 1950 et les lotissements de Fann, des Zones A et B, de Bopp, WagouNiayes… conçus pour les citadins de classes moyennes ou supérieures. D’ailleurs, le Corbusier disait que « le taudis est caractérisé par les signes suivants : insuffisance de surface habitable par personne, médiocrité des ouvertures sur le dehors, absence de soleil, vétusté et présence de germes morbides, absence ou insuffisance d’installations sanitaires » ; voire l’Abbé Pierre en Février 1954 de son concept « l’insurrection de la bonté » par le scandale des«taudis neufs » et des bidonvilles, suite au décès de plusieurs personnes mal-logés ouexpulsées, enfants et adultes mortes de froid. Pour pouvoir réaliser les cités de la SICAP et de l’OHLM, il fallait déguerpir des espaces de l’habitat spontané. Les déguerpissements des bidonvilles avaient pour objectif le retour aux normes, quitte à exiler les populations déguerpies dans les périphéries lointaines dans des logements qui ne leur convenaient pas toujours. Donc les déguerpissements forcés coloniaux de la période de 1945 1960 s’appliquaient dans les quartiers spontanés de la Médina, puis avec la création de Pikine en 1952 pour recevoir les déguerpis des quartiers centraux de Dakar.

Les politiques urbaines de 1945 à 1952

L’industrialisation était tardive à Dakar, elle ne commençait vraiment qu’après la seconde guerre mondiale, quand disparaissait complètement l’esprit du pacte colonial. C’était d’abord l’arachide qui était traitée sur place, on ne l’envoyait plus directement vers l’Europe, mais on la transformait en huile, puis d’autres produits alimentaires et le textile…Cette percéeindustrielle prendrait de l’ampleur avec la seconde guerre. Il s’ensuivit une importante demande de main d’œuvre qui provoqua un exode massif vers la ville. Cet afflux depopulation d’origine rurale débutait autour de 1940. Il touchait principalement, par exemple, la population du Fleuve, avec notamment le déclin de Saint-Louis40.

Le processus de création de Pikine

Pikine traduisait la volonté de l’administration coloniale de résorber les bidonvilles qui existaient à Dakar, d’autant plus qu’ils se situaient à proximité de voies de grand passage. Lelotissement d’urgence occupait un titre foncier de l’Etat : No 3892 D.G. où les militaires effectuaient de tir et de parachutisme.
Les dunes rouges qui dominaient le paysage morphologique furent rasées et sommairementviabilisées avant de recevoir les victimes des déguerpissements.Les premiers évacués venaient des environs de l’Avenue Lamine Gueye (Darou Salam), de laroute de Rufisque(Gazelle), et de l’autoroute (Missirah, Colobane). Cette séquence correspondait àl’assainissement de la Zone Industrielle et à l’achèvement de la construction de l’autoroute. En 1953, on décida l’extension du nouveau lotissement suburbain pourpréparer l’accueil des déguerpis de Reubeuss frappés de servitude à cause des travaux devoirie (Crédit Foncier), puis ceux issus de Wakhinane et de Kip Coco le long de l’autoroute.

Le Plan Directeur d’Urbanisme de 1946

La ville de Dakar ayant connu rapidement une croissance à partir des années 1930 et à la veille de la seconde guerre mondiale, la ville dépassait les 100 000 habitants et n’arrivait pas àcréer suffisamment de logements pour les nouveaux arrivants. L’effort de guerre avait réduit les moyens à disposition et renforçait la crise du logement. Au niveau de l’urbanisme, la finde la guerre était aussi synonyme de changements, les plans et autres schémas urbains quin’avaient qu’un caractère semi-officiel changeaient de statut avec l’ordonnance du 28 Juin1945 qui conféra un caractère officiel à l’urbanisme des Territoires d’Outre-mer (TOM). LePlan Directeur d’Urbanisme du Cap-Vert de 1946 a été réalisé par la mission d’architectes urbanistes de Gutton, Lambert et Lopez et deviendrait le premier représentant de cette nouvelle ère43 . Ce Plan a été approuvé par l’arrêté No 5485 du 20 Décembre 1946, qui avait servi de base à un vaste programme d’équipements relatif à l’aménagement du Cap-Vert. La gestion du Plan était confiée au Service Temporaire d’Aménagement du Grand Dakar (STAGD).
L’application du PDU de 1946 avait ensuite occasionné de grands travaux entraînant une forte immigration vers Dakar. Cependant, ce Plan était revu en 1957 suite à la création de Pikine en 1952.
Ce Plan orientait le développement urbain pendant toute la période coloniale. L’objectif de ces plans était d’aménager au mieux ce qui existait et de prévoir des zones d’extension verslesquelles seraient orientés les développements futurs et de faire de Dakar un centre économique et militaire.
En somme le modèle d’urbanisme colonial, sous prétexte d’hygiénisme, avait généré le caractère ségrégatif de l’habitat et des quartiers en imposant sa trame qui persistait entre quartiers européens dans le Plateau et les quartiers indigènes dans la Plaine.

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