Les Plasmodium spp de primates au Gabon
Les parasites Plasmodium
Taxonomie du genre Plasmodium
Les agents responsables du paludisme sont des protozoaires appartenant à la classe des sporozoaires du genre Plasmodium (Figure 1). Ces organismes unicellulaires ont un cycle qui débute toujours par un germe vermiforme et mobile, appelé sporozoïte. Ils appartiennent à l’ordre des Haemosporida qui est caractérisé par des micros et macrogamétocytes se développant indépendamment. Ils sont regroupés dans le sous-ordre des Haemosporidae. Ce sous-ordre est subdivisé en trois familles à savoir Plasmodidae, Haemoproteidae et Leucocytozoonidae. Toutes ces familles présentent des sporogonies qui chez les vertébrés sont transmises par des insectes hématophages. Les Leucocytozoonidae sont transmis par les insectes du genre Simulium, les Haemoproteidae sont transmises par les Culicoides, les Stomoxys et les Hippoboscidae (Manguin et al., 2008, Mesnil, 1903) (Figure 1). Figure 1: Classification partielle des Plasmodium spp (Bruce-Chwatt, 1980) 9 Les Plasmodidae qui sont transmises par les Anophelinae et les Culicinae (Figure 2) comprennent au moins entre 66 à 80 espèces (Manguin et al., 2008). Cette famille infecte plusieurs groupes d’hôtes qui vont des mammifères, aux oiseaux et reptiles (Grassé, 1953). Au sein de cette famille, le genre Plasmodium qui est un protozoaire parasite transmis par un vecteur a une large répartition géographique. Ce genre compte environ 200 espèces et, chez les primates, est divisé en deux sous-genres : celui des Laveranias qui jusqu’à 2009 comptaient uniquement P. reichenowi et P. falciparum et le sous genre des Plasmodiums (non-Laverania) qui comprend toutes les autres espèces infectant les primates (Figure 1) (Duval, 2012, Manguin et al., 2008). Figure 2: Relation entre parasites et vecteurs (Martinsen et al., 2008). Les taxons d’hôtes sont indiqués par des couleurs. Les familles de vecteurs sont indiquées sur la figure. 10 L’existence de nombreuses espèces de Plasmodium et du grand nombre d’hôtes qu’infectent ces parasites donnent autant d’arguments qui en font un bon modèle animal dans la recherche pour l’écologie évolutive, l’adaptation et bien d’autres domaines.
Les Plasmodium spp humains
Sur les quelques 200 espèces que compte la famille des Plasmodiidae, cinq espèces uniquement sont connues pour infecter l’Homme et être responsable du paludisme chez ce dernier. Nous présentons simplement celles infectant l’Homme, à savoir : P. falciparum, P. vivax, P. ovale, P. malariae et P. knowlesi. P. falciparum (Welch, 1887) est responsable de la fièvre tierce maligne. Il est la plus fréquente en Afrique sub-saharienne où 90% des cas de décès lui sont associés. Il est plus redoutable car pouvant être à l’origine des formes graves (WHO, 2015). Dans les régions équatoriales, il est transmis toute l’année avec cependant des recrudescences saisonnières. Dans les régions Sub-tropicales, il ne survient qu’en période chaude et humide. Sa transmission s’interrompt lorsque la température tombe en dessous de 18°C. Des études récentes montrent qu’il est capable d’infecter aussi les grands singes africains (Duval et al., 2010, Krief et al., 2010). P. vivax (Grassi, 1890) est responsable de fièvres tierces bénignes. Il est aussi très répandu dans le monde et évolue avec des rechutes à long terme. Il est rare en Afrique mais plus fréquente en Asie, Océanie, Amérique du Sud et Centrale (Guerra et al., 2010). Son absence en Afrique noire est due au fait que les populations ne possèdent pas le récepteur membranaire nécessaire à l’infection par P. vivax. En effet, les érythrocytes du groupe sanguin Duffy négatif ne possèdent pas ces récepteurs (del Portillo et al., 2001). Il a été démontré que les grands singes africains sont des réservoirs potentiels de P. vivax (Liu et al., 2014, Prugnolle et al., 2013). P. ovale (Stephens, 1922) est aussi l’agent d’une fièvre tierce bénigne. Il est très proche de P. vivax avec lequel il a été très longtemps confondu (Collins and Jeffery, 2005). Il est rare et se rencontre presque exclusivement en Afrique de l’Ouest et Asie. Considéré comme peu pathogène, son évolution est bénigne mais on peut observer, comme avec P. vivax, des rechutes tardives. Schématiquement, on dit que P. ovale remplace P. vivax là où cette dernière espèce est absente (Snow et al., 2005, Lysenko and Beljaev, 1969, Lacan, 1963). 11 P. malariae (Laveran, 1881) est responsable d’une fièvre quarte et de troubles rénaux. Il est responsable d’environ 1% des cas de paludisme seulement. Il est présent sur les trois continents mais se rencontre surtout en Amérique du Sud où elle est très fréquente dans certaines tribus amérindiennes (Andrade et al., 2010). P. knowlesi est un Plasmodium proche génétiquement de P. vivax, et morphologiquement proche de P. malariae. Il a été découvert récemment chez l’Homme en Malaisie (mais était connu antérieurement chez le singe). Il a une répartition qui est étroitement liée à la distribution des singes macaques (hôte naturel) et à celle de son vecteur connu pour piquer l’Homme et le singe (Cox-Singh et al., 2008, Singh et al., 2004). Il apparait claire aujourd’hui que la déforestation et le contact fréquent entre l’Homme et les primates ont fortement contribué à l’émergence de ce parasites dans la population humaine (Cox-Singh and Culleton, 2015, Wilcox and Ellis, 2006).
Distribution géographique du paludisme en Afrique subsaharienne
Au-delà de la classification du paludisme basée sur l’observation parasitologique de la présence du parasite dans le sang, il a été possible de proposer une autre classification du paludisme intégrant plusieurs facteurs environnementaux intervenant dans les relations hôte / vecteur / parasite, facteurs qui sont variables selon les conditions écologiques. La notion de faciès prend en compte l’écosystème, avec ses composantes écologiques et épidémiologiques. Elle intègre les dynamiques de la transmission en fonction de la variabilité des facteurs abiotiques et biotiques des écosystèmes. Un faciès pourrait ainsi être défini comme un ensemble de lieux dans lesquels le paludisme présente les mêmes caractéristiques de transmission, de développement de l’immunité et de manifestations pathologiques (Carnevale et al., 2009). En Afrique Sub-Saharienne, il existe 4 grands types de faciès que nous présentons de manière brève selon (Carnevale et al., 2009, Mouchet et al., 1993, Carnevale et al., 1984) (Figure 3): Le faciès de transmission permanente qui correspond au paludisme endémique avec une transmission intense et permanente. Il existe de variation saisonnière au niveau de l’intensité de la transmission, mais pas d’interruption, même brève. La transmission est assurée par Anopheles gambiae et Anopheles funestus. Il est présent en Afrique centrale. 12 Le facies à transmission saisonnière longue caractéristique d’un paludisme endémique avec une transmission régulière saisonnière longue pendant la saison de pluies (+ ou – 6 mois). La transmission est faite par An. gambiae et Anopheles arabiensis pendant la saison de pluie et An. funestus au début de la saison sèche. Il sévit dans les zones de savane (Burkina Faso, Nigeria). Le facies de transmission saisonnière courte caractéristique d’un paludisme à transmission annuelle épisodique très courte (2 mois) concentrée pendant la courte saison de pluies et pratiquement interrompue (ou ne se poursuivant qu’à très faible bruit) pendant la longue saison sèche. Transmission est généralement assurée par An. arabiensis, An. gambiae et An. funestus. Ce type de paludisme instable à transmission épisodique sévit dans les zones de Sahel et de moyenne altitude. Le facies a transmission sporadique caractérisé avec un paludisme instable à transmission sporadique intervenant uniquement à la suite de circonstances particulières (pluies inhabituelles, crues, modifications de l’environnement) dans des zones où il ne sévit habituellement pas (plateaux de haute altitude) ou plus. Le vecteur le plus fréquent est An. arabiensis. Mais, An. gambiae peut aussi être impliqué. Figure 3: Faciès de distribution du paludisme en Afrique (MARA)
Origine de P. falciparum et P. vivax
Les histoires évolutives du genre Plasmodium ont fait l’objet de nombreuses études qui ont été basées sur la morphologie, la biologie et l’affiliation des parasites à leurs hôtes (Cserti and Dzik, 2007). L’apport de plusieurs nouvelles séquences d’autres espèces va préciser le débat dont font l’objet les nombreuses théories élaborées sur le sujet (Das et al., 2007). Plusieurs de ces parasites se seraient retrouvés associés à l’Homme par transfert latéral à partir d’autres espèces d’hôtes vertébrés (Garnham, 1966a, Garnham, 1966b). Avant 2009, Plasmodium reichenowi un parasite de chimpanzés était le seul proche parent connu de P. falciparum. Ces deux espèces à cause de leur ressemblance ont été regroupées dans le sousgenre Laverania (Cormier, 2013, Snounou et al., 2011). Nous allons parler dans les développements suivants de l’origine probable des deux Plasmodium spp les plus répandus. 4.1 Origine de P. falciparum Le débat sur l’origine de P. falciparum a été ouvert avec l’étude de Waters et ses collaborateurs qui proposa une origine aviaire de ce parasite c’est-à-dire que l’ Homme aurait acquis récemment ce parasite d’un transfert des oiseaux vers l’Homme (Waters et al., 1991). En effet, les analyses phylogénétiques basées sur l’étude des séquences de sous-unités d’ARN ribosomale (ARNr) montrèrent que P. falciparum formait un groupe monophylétique4 avec les Plasmodium spp d’oiseaux d’où la conclusion des auteurs. Trois années après la première hypothèse sur l’origine de P. falciparum, Escalante et Ayala (1994), dans leur étude basée également sur l’ARN 18S, prennent en compte pour la première fois P. reichenowi, un parasite isolé chez un chimpanzé africain. Ils vont montrer ainsi que ce parasite est le plus proche parent de P. falciparum et que, par conséquent, celui-ci ne provient pas d’un transfert latéral récent des oiseaux vers l’ Homme (Escalante and Ayala, 1995, Escalante and Ayala, 1994). Dans cette étude, P. falciparum et P. reichenowi forment un grand groupe avec les parasites de primates du sous-genre Plasmodium (non-Laverania), rongeurs et les oiseaux (Perkins and Schall, 2002, Escalante et al., 1998, Escalante and Ayala, 1994). Ce qui va d’avantage alimenter le débat sur l’origine de P. falciparum. Les contestations qui se font autour de l’origine probable de P. falciparum, soit qu’il provient des oiseaux ou des rongeurs feront rage. Nous pensons que les problèmes ou faiblesses des études reposaient sur deux points essentiels : premièrement le faible nombre d’espèces 4 Monophylétique est d’un groupe ou taxon qui regroupe une espèce et tous ses descendants 14 plasmodiales intégrées dans les analyses et deuxièmement le nombre limité de marqueurs moléculaires utilisés pour l’élaboration des phylogénies. Malgré toute cette controverse P. falciparum sera considérée comme ayant une origine africaine (Pearce‐Duvet, 2006, Joy et al., 2003, Conway et al., 2000). L’année 2009 va complètement changer notre compréhension de l’histoire évolutive de P. falciparum, car avant cette année une seule espèce (P. reichenowi) était connue pour être plus proche de ce parasite. Après la découverte de Plasmodium gaboni parasite qui infecte le chimpanzés (Ollomo et al., 2009), plusieurs autres séquences provenant des grands singes africains vont permettre de répondre définitivement à la question sur l’origine de ce parasites. C’est ainsi que Prugnolle et al. (2010) vont mettre en évidence pour la première fois un P. falcipraum-like chez les gorilles et plusieurs autres lignées. Ces études vont prouver que le groupe de Laverania qui comprend P. falciparum possède une grande diversité d’espèces qui circulent chez les primates africains (Boundenga et al., 2015, Prugnolle et al., 2010). Ce qui va permettre de montrer que l’origine de P. falciparum ne se trouve pas chez les oiseaux ou les rongeurs mais chez les gorilles qui l’auraient transmis récemment aux hommes via un moustique anophèle anthropo-zoonophile (Paupy et al., 2013, Rayner et al., 2011, Liu et al., 2010, Prugnolle et al., 2010). Le P. falciparum-like de gorilles sera nommé P. praefalciparum pour le distinguer de celui qui infecte l’Homme (Gonzalez et al., 2013, Sharp et al., 2013, Prugnolle et al., 2011d). En 2011, l’hypothèse d’une origine gorille de P. falciparum est fragilisée par la découverte d’un P. praefalciparum chez un petit singe Africain (Cercopithecus nictitans) (Prugnolle et al., 2011d). Cette étude met par ailleurs en évidence l’existence d’au moins deux types de P. praefalciparum : 1 et 2. Le P. praefalciparum 1 infecte les gorilles et les petits singes (C. nictitans) et le P. praefalciparum 2 infecte uniquement les gorilles (Gonzalez et al., 2013). D’autres études s’intéresseront par la suite aux petits singes africains mais ne trouveront pas de P. praefalciparum (Ayouba et al. 2012). Le débat reste aujourd’hui ouvert concernant la présence potentielle de P. praefalciparum chez les petits singes.
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