LES PHASES DE L’EVOLUTION VERBALE

LES PHASES DE L’EVOLUTION VERBALE

Nous avons déjà souligné les rapports qu’entretiennent entre eux les changements, pour la modalité et l’aspect. Un récapitulatif des transformations fera apparaître les différentes étapes de l’évolution du système verbal Sur cette frise chronologique1439, on constate que les changements ponctuent toute notre période, remettant ainsi en question l’habituelle dichotomie entre persan archaïque et persan classique. Nous y reviendrons.

Les changements liés 

Il existe des évolutions isolées car elles n’ont aucun écho sur le reste du système, la disparition du parfait second, par exemple. Ces évolutions isolées sont peu nombreuses. Les autres, qui entretiennent des interactions réciproques, sont majoritaires : ce sont les changements liés. C’est en réinscrivant les évolutions dans des faisceaux de changements plus englobants que l’on en saisira mieux les facteurs déclenchants.

Problèmes d’homonymie morphologique 

Au cours de l’évolution, il arrive que certaines formes se retrouvent homonymes entre elles. En vertu du principe qui veut qu’à une forme corresponde un sens, des phénomènes de différenciation se produisent alors. A la suite de la disparition des passifs synthétiques du moyen perse, seulement conservés en judéo-persan, seul l’autre passif moyen-perse, périphrase avec l’auxiliaire būdan, « être », a survécu. Et étant donné qu’entre le moyen perse et le persan, l’ergativité au passé a disparu et qu’une autre périphrase avec būdan s’est développée pour exprimer le parfait, les locuteurs ont été confrontés à deux périphrases homonymes, et donc, à des cas d’ambiguïté entre un présent passif et un parfait actif. C’est très certainement ce qui a suscité l’apparition de nouveaux auxiliaires, les verbes de déplacement, āmadan, « venir », šudan, « aller », et dans une moindre mesure gaštan, « se tourner » . šudan s’est finalement imposé, probablement en raison de sa polysémie : il est à la fois verbe de déplacement (« aller ») et verbe d’état (« devenir »). Deux autres formes sont homonymes et ce sont toutes deux des formes non conjuguées, il s’agit de l’ancien participe passé du type kard et de l’infinitif apocopé. Or si l’on observe de nouveau leur évolution, ici conjointement (graphique 20.1), on se rend compte que l’augmentation des formes d’infinitif apocopé est corrélative de la diminution des anciennes formes de participe passé. Cette homonymie aurait-elle alors risqué de créer des confusions, ou du moins des ambiguïtés, dans la construction de certaines périphrases ? On peut le supposer : c’est par exemple ce qui s’est produit pour le verbe régi par le futur en grec moderne ; ou bien pour rester dans notre aire géographique, en dari et en tadjik, un infinitif diminué de sa nasale finale est réinterprété comme un participe passé.

Concurrence de deux formes 

Il arrive aussi que deux formes entrent en concurrence pour exprimer le même signifié, sans nécessairement que l’une en vienne à causer la disparition de l’autre . C’est le cas du futur. Même si la périphrase avec x v āstan progresse à partir de la fin du XIIIe siècle, et qu’ainsi elle fait reculer les emplois du présent-futur, ce dernier n’en disparaît pas pour autant. En persan contemporain, la répartition s’est produite au niveau des registres de langue : le présent dans la langue familière, et le futur dans la langue littéraire. Nos textes, littéraires, ne nous permettent évidemment pas de savoir si une telle répartition est déjà à l’œuvre. On constate seulement que la périphrase s’emploie progressivement pour tout type de futurs, et non plus uniquement pour les futurs d’intention. En revanche, la concurrence entre mē- et -ē ne conduit pas au même résultat. Voici le processus le plus probable : mē- en vient à exprimer l’habitude en général, certainement à partir de la valeur d’habitude dans le présent, et il finit par absorber tous les emplois de -ē, aussi bien ceux de l’habitude dans le passé que ceux de l’irréel. Ce phénomène d’extension de mē- est donc à l’origine de la disparition du suffixe -ē. 20.2.3. L’obsolescence d’une forme et son remplacement Pour ce type de changements liés, avec disparition et remplacement, il est parfois difficile de savoir ce qui est premier. Est-ce la disparition – ou l’affaiblissement – d’une forme, qui engendre un vide et provoque la création d’une nouvelle forme, ou bien est-ce parce qu’une nouvelle forme est apparue que l’ancienne s’affaiblit ? Dans certains cas, on peut sortir de cette impasse. Pour le verbe « être », l’ancienne forme buvad, héritée du moyen perse, devient neutre et une nouvelle forme, bāšad, est créée sur l’impératif irrégulier du moyen perse bāš. Mais buvad s’est-il affaibli avant que bāšad n’apparaisse, ou bien est-il devenu une forme neutre précisément parce que bāšad avait été créé ? A lire les textes JP, la première hypothèse serait la bonne : buvad est la seule forme qui existe dans ces textes et il peut porter les deux valeurs, c’est-à-dire qu’il peut indiquer aussi bien le transitoire, comme à son origine, que le permanent, la seule valeur à se maintenir après la création de bāšad. Quant au subjonctif et sa disparition, le problème est plus complexe puisqu’il met en jeu davantage de facteurs et davantage de formes. Dans une première étape, le subjonctif moyen-perse ne se conserve plus qu’à la troisième personne du singulier, et avec un sens particulier de précatif : ce sont les formes en -ād. Les autres emplois du subjonctif ne sont plus marqués. Puis, déclinant à son tour, cette forme de précatif ne subsiste plus que dans la forme figée du verbe « être », bād, après le XIVe siècle. Sensiblement à la même époque, bāyad, « falloir », étend la construction à verbe conjugué régi et perd la structure à infinitif, parce qu’un verbe conjugué a une morphologie plus riche – phénomène accru par la disparition de bi- avec infinitif, certainement à la fin du XIe siècle. Sans doute par extension analogique avec les autres verbes modaux, tavānistan, « pouvoir », commence lui aussi à voir sa structure évoluer d’infinitif à verbe conjugué dans la seconde moitié du XVe siècle. Tous ces changements ont pour effet d’accentuer encore l’impression qu’il manque un mode subjonctif, susceptible de marquer toutes ces valeurs. Ensuite, entre le début et la fin du XIXe siècle, mē- va cesser d’être employé dans des cas relevant du subjonctif et il va toujours marquer les occurrences d’indicatif. L’emploi de l’ancien présent non marqué comme subjonctif est à mettre en lien avec l’affaiblissement de la valeur de concomitance de mē- et la création de la périphrase progressive recourant à dāštan. Enfin, comme la valeur d’indice de rhématicité de bi- se perd peu à peu depuis le XVe siècle, le morphème peut alors être réinvesti d’une nouvelle valeur, modale cette fois-ci, mais il y a tout lieu de penser que ce dernier changement est tardif et date du tournant des XIXe -XXe siècles. 

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