Les petites villes, de nouveaux centres pour le développement territorial chinois

Les petites villes, de nouveaux centres pour le
développement territorial chinois

Une armature urbaine plus équilibrée 

La fin du XXe siècle a consacré la formation de grandes régions métropolitaines en Chine. Ces régions métropolitaines concentrent la croissance économique et absorbent les flux migratoires. Elles couvrent de larges territoires caractérisés par la forte densité des infrastructures de réseaux, du bâti et de la population. Le développement de ces régions métropolitaines a eu pour conséquence l’augmentation des inégalités spatiales. Aujourd’hui, il est devenu nécessaire de réduire ces inégalités, tout en soutenant la croissance de ces pôles, moteurs du développement économique. Ainsi l’armature urbaine évolue-t-elle dans le contexte d’un nécessaire rééquilibrage territorial. Elle résulte de stratégies nationales qui dictent la restructuration des espaces régionaux, et de leur capacité à assimiler des enjeux économiques locaux. Dès lors, s’est-elle modifiée depuis le début des réformes économiques ? Dans quel sens ? Assiste-t-on à une consolidation des régions métropolitaines, à la formation de grandes métropoles polarisant le développement ? Ou à l’inverse, les plus petites villes ou les villes de taille moyenne prennent-elles place dans le processus ? L’exemple de la province du Zhejiang permet d’analyser ces questions dans une riche province du littoral, où la puissance publique a les moyens de mettre en œuvre réformes et investissements – mise en œuvre dont il s’agira d’évaluer la pertinence –, où les bouleversements économiques et urbains sont parmi les plus intenses et où la proximité immédiate de Shanghai crée le contexte d’une région métropolitaine. Dans l’histoire de la Chine, le Zhejiang occupe une place significative depuis la dynastie des Song du Sud (1127-1279), période au cours de laquelle Hangzhou, capitale de la province et ville parmi les plus peuplées du monde, devint la capitale de l’Empire. Par la suite, l’installation des concessions étrangères a fait de Shanghai un port prospère et l’une des plus grandes métropoles du monde. L’ouverture progressive aux investissements étrangers débutée en 1978 puis la volonté du gouvernement central de favoriser l’émergence d’une métropole d’équilibre, ont confirmé la place de Shanghai comme l’un des trois principaux pôles économiques de Chine à partir des années 1990. La région du delta du Yangzi s’est progressivement structurée autour de ce centre d’échanges de rang mondial, et l’armature urbaine de la province du Zhejiang se construit notamment à partir de l’articulation avec ce pôle économique de premier plan. Mais la croissance urbaine ne se limite pas à l’arrière-pays de Shanghai, d’autres territoires du Zhejiang sont sujets à une forte urbanisation qui s’y exprime diversement, toutefois avec pour constante le développement des petites villes. La province présente des situations locales très contrastées : une région deltaïque au nord caractérisée par ses basses 41 terres humides aux fortes densités de population et par sa proximité avec Shanghai ; un littoral encaissé et isolé dont les ports ont prospéré au gré de l’ouverture du pays au commerce international ; un bassin fluvial, au cœur de zones montagneuses peu peuplées, où progressivement se diffuse la croissance économique. Le chapitre 1 souligne l’importance du delta du Yangzi dans l’histoire de la province, et le développement plus récent du littoral et du bassin du Jinqu. Le chapitre 2, après avoir clarifié la place de la ville au sein du territoire et de la hiérarchie administrative, explicite les seuils de trois catégories de villes : petites villes, villes moyennes et grandes villes. Le chapitre 3 décrit ensuite l’évolution de l’armature urbaine de 1990 à 2010 en fonction de cette classification, et met en évidence le développement des petites villes et leur place grandissante dans la croissance urbaine et démographique.

Le Zhejiang et l’empreinte deltaïque

Du delta du Yangzi … Un centre politique, culturel et économique La province du Zhejiang se situe sur le littoral, au niveau du delta du fleuve Yangzi. Ce delta a construit l’identité de la province au cours de son histoire. Le Yangzi, d’une longueur de 6 300 km, traverse la Chine d’est en ouest. C’est le fleuve le plus long de Chine. Il prend sa source dans les monts Tanggula au Tibet à 6 600 m d’altitude et se jette dans la mer de Chine orientale au niveau de Shanghai. Du point de vue de l’aménagement du territoire, le Yangzi constitue un axe naturel de communication entre le littoral et l’intérieur du pays. Lorsque la dynastie Qin (221-206 av. J.-C.) unifie la Chine pour la première fois et jette les bases administratives d’un État centralisé, le delta du Yangzi est alors à l’extrémité sud-est de ce nouvel Empire. C’est à partir de la dynastie Jin que le delta va prendre son essor. Cette dynastie commence par les Jin de l’Ouest (265-316) avec pour capitale Luoyang, située plus au nord dans la vallée inférieure du fleuve Jaune. Puis les Jin de l’Est (316-420) vont déplacer la capitale à Jiankang (aujourd’hui Nankin). Le delta du Yangzi devient alors pour la première fois au IVe siècle un centre politique, culturel et économique majeur en Chine. S’ensuit la période des dynasties du Nord et du Sud, au cours de laquelle Jiankang reste la capitale de la Chine du Sud. Jiankang et Hangzhou, toutes deux situées dans le delta du Yangzi, sont alors les principales villes de la Chine du Sud73 . La dynastie des Sui (589-618) réunifie ensuite la Chine et construit le Grand Canal reliant Hangzhou à la vallée inférieure du fleuve Jaune. Le Grand Canal est alors l’expression de la volonté politique de relier les deux grands bassins humains de la Chine, la vallée inférieure du fleuve Jaune et le delta du Yangzi, afin d’unifier le Nord et le Sud. Au IXe siècle, le delta du Yangzi est la région la plus peuplée de Chine74 . Au Xe siècle, après une nouvelle période de divisions, la dynastie des Song du Nord (960-1127) rétablit l’unité de la Chine, et la période qui suit constitue certainement l’apogée de l’influence politique et culturelle du delta du Yangzi. Durant la dynastie des 73 CHANDLER Tertius, 1987, Four thousand years of urban growth : a historical census, New York, St. David’s University Press, p. 465. 74 MOTE Frederick, 2003, Imperial China 900-1800, Cambridge, Harvard University Press, 1 106 pages. 44 Song du Sud (1127-1279), Hangzhou devient la capitale de la Chine, et probablement, avec 1,5 million d’habitants, une des villes les plus peuplées au monde. Marco Polo, qui aurait visité Hangzhou vers la fin du XIIIe siècle, en revint émerveillé et la qualifia de « plus belle ville du monde ». Le delta est alors notamment reconnu dans le monde entier pour sa production de céramiques et plus particulièrement de porcelaines. Par la suite, durant la dynastie Yuan (1271-1368), des mots attribués au poète Chaoying traduisent l’influence qu’exerçait alors Hangzhou et Suzhou, deux villes du delta : « au ciel il y a le paradis, sur terre il y a Suzhou et Hangzhou ». Pékin devient la capitale de la Chine au cours de la dynastie Yuan, puis c’est à nouveau Nankin au début de la dynastie Ming (1368-1644). L’empereur Yongle la déplace enfin à Pékin en 1421, d’où elle ne bougera plus si ce n’est pendant de courtes périodes de troubles intérieures. Le delta du Yangzi va à partir de ce moment là devenir un centre économique de premier plan, dont l’emblème sera plus tard la ville de Shanghai. En raison de sa position stratégique à l’embouchure du Yangzi et de la proximité de villes aux productions artisanales réputées comme Hangzhou et Suzhou, Shanghai évolue alors en un centre d’échanges économiques important grâce au développement du commerce maritime. Suite au traité de Nankin en 1842 et à l’installation des concessions étrangères, le développement économique prend de l’envergure, faisant de Shanghai le port le plus important d’Asie. Britanniques, américains, français, russes et japonais s’y établissent et en font à la fois un havre pour les réfugiés et le lieu de culture et de plaisir, qui en fit sa réputation. Au début du XXe siècle, Shanghai compte environ un million d’habitants, et devient le centre financier d’Asie. La ville connaît ensuite une période de déclin due à la guerre sino-japonaise puis à l’installation de la République populaire de Chine en 1949 : considérée comme le symbole du capitalisme, Shanghai est alors mise en sommeil par le pouvoir communiste, et ne se réveille qu’avec les réformes économiques en 1978. La métropole s’affirme dès lors comme l’un des pôles économiques les plus importants de Chine, et le delta du Yangzi le premier centre industriel du pays. La carte 4 situe à l’échelle de la Chine le delta du Yangzi et ses grandes villes. Le delta du Yangzi a donc accueilli à trois reprises la capitale d’une Chine unifiée : d’abord à Nankin, entre 316 et 420, puis à Hangzhou, entre 1127 et 1279, puis de nouveau à Nankin, entre 1368 et 1421. Ses plaines fertiles en ont fait très tôt un des deux plus importants bassins démographique et économique de la Chine. De grandes villes s’y sont développées, en particulier Nankin, Suzhou et Hangzhou. Depuis le XIXe siècle, le développement du delta du Yangzi s’assimile à l’essor de Shanghai. Shanghai, Nankin et Hangzhou sont les trois principales villes historiques de cet espace deltaïque. 

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Le premier bassin industriel du pays 

Le delta du Yangzi est ainsi riche d’une histoire qui en a dessiné l’armature urbaine et structuré l’espace. Le Grand Canal mais aussi les centaines de canaux qui le parcourent sont millénaires, tout comme ses grandes villes, mis à part Shanghai qui, nous l’avons vu, ne s’est imposée qu’à partir du XIXe siècle. Même si son développement est plus récent que d’autres villes du delta, Shanghai en est aujourd’hui le centre démographique, économique, financier et culturel. Au cours des trente dernières années, le gouvernement central a soutenu son essor et y a permis de grands projets d’aménagements, à l’image du nouveau quartier de Pudong au tournant des années 1990 et, plus récemment, de l’Exposition universelle en 2010. D’autre part, les nombreuses infrastructures structurantes réalisées dans le delta du Yangzi l’ont été dans une logique de métropolisation autour de Shanghai. Ces infrastructures, en particulier les aéroports et ports internationaux, les autoroutes et les lignes ferroviaires à grande vitesse, se sont ajoutées ou substituées au réseau dense de canaux existants dans l’organisation de l’espace deltaïque. Par exemple aujourd’hui, le delta du Yangzi concentre le premier et le sixième port international en volume de marchandises : le port de Shanghai et le port de Ningbo-Zhoushan75, dans le nord du Zhejiang. En outre, depuis 2008, le pont de la baie de Hangzhou, long de 36 km, qui relie directement Ningbo à Shanghai, est le pont le plus long du monde. Ce maillage territorial se nourrit donc à la fois d’une armature ancienne faite de canaux construits autour de centres urbains millénaires, Nankin, Suzhou et Hangzhou, et d’une armature plus récente faite de réseaux de transport à grande vitesse structurés autour de Shanghai. Devenue métropole mondiale, Shanghai est le pôle de commandement économique, financier et culturel, alors que le reste du delta est devenu depuis trente ans son arrière-pays, est devenu le plus important bassin industriel de Chine. D’un point de vue administratif, les basses terres humides du delta recouvrent le sud de la province du Jiangsu, la municipalité de Shanghai et le nord de la province du Zhejiang. Du nord au sud, le delta s’étend de Nankin à Ningbo, en passant par Suzhou, Shanghai et Hangzhou (cf. carte 5). Ce territoire se prolonge légèrement au-delà des limites du delta initial et englobe les rives sud de la baie de Hangzhou, qui se trouvent dans la continuité du delta. Cette juxtaposition administrative d’une municipalité et en partie de deux provinces complexifie la lecture du développement de l’espace deltaïque. Les logiques de métropolisation autour de Shanghai se font en parallèle d’autres logiques de développement propres à chacune des deux provinces qui complètent le delta. 

 L’intégration de la ville dans le système territorial 

La notion de ville chinoise couvre deux aspects bien distincts : l’aspect administratif et l’aspect physique. Ces deux aspects de la ville se retrouvent à deux échelles différentes. L’entité administrative est à l’échelle du district, unité administrative de base du système territorial datant des premières dynasties. Cette ville administrative est née au XXe siècle de la volonté d’assurer l’approvisionnement des villes en nourriture en leur adjoignant de larges périphéries rurales. L’entité physique quant à elle est le centre aggloméré, siège administratif et commercial, caractérisé par sa densité et sa continuité de l’habitat. Bien que ces deux aspects soient distincts, ils restent intimement liés, l’entité physique n’existant qu’à l’intérieur de l’entité administrative. Un centre administratif d’espaces hybrides La reconnaissance des villes Dans la langue chinoise, deux termes sont utilisés en référence à la notion de ville : shi 市 et chengshi 城市. L’entité physique correspond au terme chinois chengshi, qui renvoie aux deux principaux rôles anciens de la cité : la défense (cheng 城, le rempart) et le commerce (shi 市, le marché)99. Il révèle que la ville était le centre politique et commercial du territoire en dépit d’une population majoritairement rurale. Mais le caractère shi 市 peut aussi désigner le statut administratif d’un territoire, et signifie dans ce cas là que le dit territoire a le statut de « ville », que l’on traduira alors par municipalité. Cette entité territoriale n’est pas caractérisée par un paysage uniquement urbain, mais elle regroupe des espaces à la fois urbains et ruraux, à l’intérieur d’un territoire excédant largement la taille d’une ville et davantage comparable à la taille d’un département français. Ainsi les limites administratives d’une municipalité ne dépendent-elles nullement d’une continuité du bâti ou des réseaux. 99 ZHUO Jian, 2007, « Urbanisme », dans SANJUAN Thierry (dir.), Dictionnaire de la Chine contemporaine, op. cit., p. 264. 72 Jusqu’au milieu du XXe siècle, le terme shi n’était pas utilisé dans la structure administrative chinoise. Le territoire était divisé en provinces, en préfectures et en districts. C’est à partir des années 1950 que le terme shi apparaît dans la législation administrative. Il désigne alors une « ville administrative » ou « municipalité » avec la particularité qu’elle couvre de larges espaces ruraux et concentre une population rurale importante à l’intérieur de ses limites administratives. Ces municipalités ne sont donc pas des villes mais des territoires hybrides composés de centres urbains de différentes tailles et d’espaces ruraux. Pour accéder au statut de municipalité, le territoire doit a priori remplir un certain nombre de critères, notamment ceux concernant la taille de la population et le bilan économique100 . Le statut de municipalité lui confère de plus larges compétences pour gérer son développement économique et social, ainsi qu’une plus grande autonomie au niveau des finances locales, de la fiscalité et de la gestion des terres. Dès lors, deux types d’entités administratives cohabitent dans l’espace chinois : les entités traditionnelles (province, préfecture et district) et les entités ayant le statut de municipalité. Les municipalités ont un rang administratif calqué sur les échelons traditionnels de la hiérarchie administrative. Il existe par conséquent trois types de municipalités : les municipalités de rang provincial (shengji shi 省级市), les municipalités de rang préfectoral (diji shi 地级市) et les municipalités de rang de district (xianji shi 县 级 市 ). L’introduction du système des municipalités adjoint donc des institutions supplémentaires au sein de la hiérarchie territoriale, et les gouvernements municipaux s’ajoutent aux gouvernements des provinces, préfectures (qui par la suite disparaîtront) et districts. Le schéma 1 synthétise l’architecture territoriale pour la province du Zhejiang. Cinq niveaux administratifs se succèdent : celui de la province, de la préfecture, du district, du canton et du village. Au niveau préfectoral, les préfectures ont désormais disparu au profit des municipalités de rang préfectoral. Au niveau du district se trouvent les districts, les municipalités de rang de district, et les arrondissements. Au niveau du canton se trouvent les quartiers (jiedao 街道), les bourgs (zhen 镇) et les cantons (xiang 乡)

Table des matières

Remerciements
Sommaire
Introduction générale
Première partie : Une armature urbaine plus équilibrée
Chapitre 1 : Le Zhejiang et l’empreinte deltaïque
Chapitre 2 : L’intégration de la ville dans le système territorial
Chapitre 3 : L’émergence des petites villes
Conclusion de la première partie
Deuxième partie : Des centres en pleine mutation
Chapitre 4 : Une stratégie volontariste
Chapitre 5 : Un mode d’urbanisation normalisé
Chapitre 6 : Une restructuration clivante
Conclusion de la deuxième partie
Troisième partie : Les petites villes recomposent les territoires
Chapitre 7 : Le développement « hors la ville », avenir de la Chine urbaine ?
Chapitre 8 : La sélection des espaces de croissance
Chapitre 9 : Une hiérarchisation en cours
Conclusion de la troisième partie
Conclusion générale
Annexe : Comptes rendus des entretiens et visites de terrain
Bibliographie
Table des illustrations
Table des matières
Résumé

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