Le paludisme dans le monde : une maladie ancestrale

Récapitulatif des caractéristiques de la transmission

La figure 2 représente le schéma général de cette chaîne épidémiologique, évoquée ici de manière circulaire. Cette chaîne se compose de deux maillons successifs principaux : la transmission homme-moustique et la transmission moustique-homme. Entre les deux, il y a une phase nécessaire pour que le parasite se diffuse entre l’hôte et le vecteur : elle correspond au cycle sporogonique, c’est-à-dire le développement du parasite chez le moustique (Boudin et al., 1998). La transmission homme-moustique a lieu au moment où l’anophèle femelle (seule la femelle est hématophage) ingère des Plasmodium lors d’un repas sanguin sur un homme infecté (c’est-à-dire porteur de gamétocytes infectants). La fécondation des gamètes a ensuite lieu dans l’estomac du moustique. Une fois formé en oeuf, le parasite franchit la paroi de l’estomac et se multiplie pour finalement atteindre les glandes salivaires du moustique. Ce développement dure de 8 à 16 jours en fonction des espèces plasmodiales et de la température. Le moustique infecté, s’il vit suffisamment longtemps peut alors injecter ses parasites lors de nouvelles piqûres et commence un nouveau cycle de transmission moustique-homme. Ce dernier a lieu au moment où l’anophèle femelle infectée prend son repas sanguin sur l’hôte, ici humain, et lui inocule les Plasmodium.

Via la circulation sanguine, les parasites se logent dans le foie, pénètrent les cellules et s’y multiplient. Les parasites retournent alors dans le sang et pénètrent dans les globules rouges. Ils se multiplient et parasitent de plus en plus de globules rouges. Cette phase déclenche la crise de paludisme. Chez l’Homme, ce développement dure au minimum 8 jours, mais en absence de traitement, il peut perdurer plusieurs années. En outre, les espèces anophéliennes vectrices sont nombreuses et présentent des caractéristiques différentes (elles peuvent être anthropophiles et piquer de préférence l’homme, ou bien opportunistes et prendre un repas de sang sur d’autres vertébrés, comme le bétail. Elles peuvent également être endophiles ou exophiles selon qu’elles piquent à l’intérieur ou non des habitations,…). Il existe actuellement près de 500 espèces décrites (Harbach, 2004). Parmi ces espèces, 70 sont capables de transmettre les quatre types de Plasmodium et seulement 41 sont réellement considérées comme des vecteurs ayant un impact majeur en santé publique. En effet, les capacités vectorielles de l’espèce vont déterminer par exemple ses aptitudes à transmettre efficacement le parasite. C’est le cas de l’espèce africaine Anophele Gambiae dont la durée de vie et la forte préférence pour l’homme en font un vecteur particulièrement actif (Hay et al, 2010). De manière générale, ces espèces anophéliennes vectrices du paludisme piquent la nuit entre le coucher et le lever du soleil et ont tendance à rester près de leur lieu de naissance (à 400m environ) bien qu’elles puissent faire en transport actif jusqu’à 3 kms pour un repas de sang. La longueur de leurs déplacements va dépendre de ce qu’elles trouvent. En milieu urbain avec une forte densité humaine par exemple, elles piqueront les individus disponibles les plus proches. En revanche, ce que l’on nomme le transport passif peut amener l’anophèle loin de son habitat originel. Les conditions naturelles comme le vent mais aussi les mouvements de populations par divers moyens de transport orientent ses déplacements (Mouchet et al., 2004 ; Carnevale & Robert, 2009).

Les signes pathognomoniques du paludisme

On dit d’un signe clinique ou d’un symptôme qu’il est pathognomonique lorsqu’il caractérise une seule maladie et par la même, permet d’en établir le diagnostic certain. Or dans le cas du paludisme, il n’y a justement pas de signes pathognomoniques. Les aspects cliniques de la maladie peuvent déjà différer en fonction de l’espèce plasmodiale en cause et de l’état d’immunité du sujet. Les symptômes majeurs énoncés précédemment, l’accès fébrile par exemple, est l’apanage de nombreuses maladies. Il est donc important de confirmer ou d’infirmer le diagnostic d’un paludisme suspecté par un examen complémentaire du malade. Aujourd’hui ces tests sont facilités par la méthode des TDR (Tests de Diagnostic Rapide) qui sont des tests immunologiques dont le résultat est immédiat et ils peuvent être pratiqués directement (dans un centre de santé ou même chez le malade). Un diagnostic par un examen de sang du malade peut aussi être fait en laboratoire, c’est le cas du test de la goutte épaisse : un examen d’une goutte épaisse de sang du malade colorée au Giemsa est réalisé au microscope. Cette généralisation actuelle des TDR a permis de réduire massivement les cas de paludisme présomptif et de modifier la suspicion classique que toute fièvre en zone endémique est un paludisme. Par là-même, cela a mis en évidence des charges morbides liées à des maladies dont on ne soupçonnait pas l’importance (exemple de la borréliose et des rickettsioses).

Enfin, cette pratique permettant de ne traiter que les cas avérés réduit également les risques de résistances des parasites aux médicaments puisqu’elle diminue la circulation inutile des combinaisons thérapeutiques. Si on pouvait donc s’attendre à ce que l’épidémiologie du paludisme soit bien connue depuis les découvertes de Laveran et de Ross, ce n’est en fait que très récemment que l’on s’est intéressé à son résultat : la morbidité et la mortalité avérées. Dans le contexte africain, c’est seulement depuis quelques années que les tests de diagnostics sont assez courants. Il faudra donc se méfier de la comparaison de la morbidité et mortalité attribuables avant et après leur mise en place (Rogier, Henry & Trape, 2009; Trape et al., 2012). De plus, une distinction doit être faite entre ce que l’on nomme le paludisme-infection, le fait d’être porteur asymptomatique de parasite, et le paludisme-maladie : le fait de développer des symptômes. En zone d’endémie lorsque la transmission est fréquente et pérenne toute l’année, les populations peuvent présenter une forme d’immunité aux parasites et être « porteuses » ou « hôtes réservoir » sans avoir de manifestations cliniques au paludisme. L’encart suivant précise les modalités d’acquisition d’une immunité face à l’infection dans le cas des populations vivant en région endémique (voir par exemple, Rogier, Henry & Spiegel, 2004). Ceci est problématique dans la lutte contre le paludisme car réduire la transmission équivaut à trouver des méthodes d’évaluation et de contrôle de ce réservoir infectant.

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Or diminuer la transmission sans la stopper peut provoquer des changements épidémiologiques, entraînant par exemple un retard dans l’acquisition de l’immunité de ces populations qui ne sont plus exposées régulièrement. C’est le point de controverse autour de l’intérêt d’utilisation des moustiquaires imprégnées dans bon nombre de régions de l’Afrique tropicale (Mouchet et al., 1991; Trape, 2001). Pour pallier cela, la lutte antivectorielle doit s’accompagner d’une chimioprophylaxie efficace et facilement accessible à tous (entre autre dans le contexte sénégalais : Cissé et al., 2006; Sokhna et al., 2008). Enfin, d’autres comportements ont été observés depuis lors (dans le contexte Sénégalais, voir les études portées depuis plus de 30 ans sur les villages de Niakhar, Dielmo et Ndiop par exemple8) où l’introduction massive des moustiquaires imprégnées à notamment favorisé un changement de comportement des anophèles qui ont tendance à piquer à présent plus tôt dans la soirée et surtout à l’extérieur (Trape et al., 2011).

Les problèmes techniques de l’éradication : zoom sur l’Afrique tropicale Malgré les difficultés liées à la mise en place d’un plan d’éradication en Afrique tropicale, la région n’a pas été exclue du programme global. Le continent payait et paie encore le plus lourd tribut en termes de mortalité mais aussi de morbidité. La longueur des saisons de transmission et l’exceptionnelle capacité vectorielle des espèces anophéliennes présentes sur le continent en sont des raisons majeures. La liste des problèmes techniques s’allonge. Les résistances aux insecticides de certaines espèces d’anophèle se diffusent rapidement. Par ailleurs, même des insecticides fonctionnels ne suffisent pas à stopper la transmission en zone d’hyper ou d’holoendémie. Les chances d’infestations des moustiques et leurs possibilités de survie à l’extérieur restent trop élevées (Mouchet & Hamon, 1963). En outre, les zones « à traiter » sont très vastes. Les paludologues de l’OMS disent alors de l’Afrique tropicale qu’elle est « une immense zone problème ». Interrompre la transmission dans une zone pilote du programme d’éradication peut de facto avoir un intérêt limité si les zones contigües restent impaludées. Quelques années plus tard le paludisme pourrait réinvestir la zone, réintroduit par la circulation des parasites des zones voisines. Puisqu’aucune barrière géographique (autre que le Sahara) ou épidémiologique ne permet un découpage du travail, les actions ponctuelles, à micro ou méso-échelles, paraissent vouées à l’échec sur long terme (Mouchet & Hamon, 1963). La question des mobilités et des déplacements de populations engendrent également une difficulté de contrôle de la chaîne épidémiologique.

Les populations de zones impaludées, réservoirs de parasites, peuvent se déplacer en zone d’anophélisme sans paludisme et provoquer des épidémies de paludisme dans des lieux où la population n’est pas ou plus immunisée. Dans le cas du milieu urbain que nous étudions plus en détails dans la seconde partie du chapitre, ce paludisme d’importation peut être fréquent. Il faut noter par exemple les grands déplacements réguliers ou fortuits des ouvriers de la campagne vers les zones urbanisées ou à l’inverse des travailleurs résidant en milieu urbain et travaillant à l’extérieur de la ville, qui contribuent à l’introduction de parasites exogènes dans un milieu de faible transmission (Prothero, 1961). Dans la veine des facteurs à prendre en compte pour comprendre les lieux et les temporalités de la transmission, les habitudes locales des populations ont une place déterminante. Puisque les moustiques vecteurs piquent le soir et la nuit, les individus qui veillent tard dehors peuvent être sujets à une transmission extradomiciliaire. La seule protection des habitations ne suffit pas et doit être complétée d’une chimioprophylaxie de masse. C’est dans cette logique qu’une méthode de distribution massive d’antipaludique a vu le jour : la méthode Pinotti. Nous allons voir en quoi celleci, bien qu’intelligemment pensée au départ, a finalement rendu plus difficile encore l’éradication du paludisme.

Table des matières

Remerciements
Sommaire
Sigles
Introduction générale
PARTIE I DE LA MALADIE  » DES MARAIS  » A CELLE DE LA PAUVRETE : MECANISME DE TRANSMISSION DU PALUDISME ET DISTRIBUTION
GEOGRAPHIQUE GLOBALE
CHAPITRE 1. Le paludisme dans le monde : une maladie ancestrale
CHAPITRE 2. Lecture d’un système pathogène complexe : présentation des éléments, état des modélisations existantes et spécificité du paludisme urbain
CHAPITRE 3. De l’intérêt du raisonnement géographique sur un fait de santé – Enjeu et positionnement de recherche
PARTIE II QUALIFIER LES ESPACES URBAINS DE L’AGGLOMÉRATION DAKAROISE : IDENTIFIER LES SOUS-ESPACES DE LA VILLE POUR ÉCLAIRER LES CONTEXTES À RISQUE PALUSTRE
CHAPITRE 4. Approches classiques d’analyse du contexte urbain – Le cas de l’agglomération Dakaroise
CHAPITRE 5. Rechercher les paysages préférentiels du vecteur du paludisme à Dakar
PARTIE III ANALYSES ET MESURES DES DISTANCES A l’INFECTION : RECONSTRUIRE LE PUZZLE EPIDEMIOLOGIQUE PALUSTRE DANS L’AGGLOMERATION DAKAROISE
CHAPITRE 6. Le risque d’épidémie palustre « à mi-distance de la misère et du soleil »
CHAPITRE 7. L’inscription spatiale du paludisme-infection. Effets des distances spatiale et sociale
CHAPITRE 8. Echelle individuelle, échelle agrégée : quelles distances sociales dans le risque palustre?
Conclusion générale
Postface
En fin
Annexe 1 : Carte de situation avec référence aux lieux cités dans le texte
Annexe 2 : Résumé de la construction de la variable modélisée : taux d’agressivité
Annexe 3 : le projet ACTUPALU
Bibliographie
Table des figures
Table des tableaux
Table des encadrés
Table des matières
Résumé / Abstract

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