Les peintres et verriers de Lyon et les archevêques

« Mysteres » et « joyeusetés » : les peintres de Lyon autour de 1500

HISTORIOGRAPHIE

L’histoire de la ville de Lyon a donné lieu à de nombreuses publications dès le XVIe siècle. Symphorien Champier en 1537 puis Guillaume de Paradin en 1573 la contaient déjà, suivis de divers auteurs aux XVIIe et XVIIIe siècle7. Toutefois, la période comprise entre le règne de Louis XI et la Grande Rebeyne de la fin des années 1520 n’était pas le point focal de ces ouvrages. Le passé romain, la naissance de la commune en 1320, les conflits protestants des années 1560 retenaient plus généralement l’attention. Le XIXe siècle commença à s’intéresser au Moyen Âge lyonnais, et notamment à la toute fin du XVe siècle, importante pour l’essor des foires et considérée comme un prélude à la Renaissance, évidemment transmise par-delà les Alpes. Il s’agissait avant tout, avec les ouvrages d’A. Steyert et des Guigue, d’histoires de la cité, mais fondées sur les textes et plutôt approfondies8. Le mouvement amorcé alla en grandissant au cours du XXe siècle avec les publications d’A. Kleinclausz, A. Latreille et J. Rossiaud9. Dans ces publications historiques, le volet culturel trouve bien sûr une place, mais d’une façon souvent marginale. L’histoire lyonnaise a bénéficié de travaux d’universitaires et de leurs étudiants dès les années 1960 : R. Fédou, professeur l’histoire médiévale à Lyon II, a dirigé de nombreux mémoires sur le sujet, et en particulier sur la période qui nous intéresse10. Ces travaux ont souvent eu pour objet d’étude des documents anciens, généralement provenant des archives municipales. Plusieurs registres de délibérations consulaires ont ainsi été dépouillés et parfois transcrits. Ce mouvement est perpétué sous la direction de J. Rossiaud11, et apparaît comme un élément constant dans l’historiographie lyonnaise, des érudits du XIXe siècle aux recherches actuelles. Encore tout récemment, la thèse de C. Fargeix a largement exploré l’organisation du Consulat, le langage des conseillers comme l’image qu’ils se faisaient d’eux-mêmes et de leur cité12. Cet ouvrage est essentiel pour les informations qu’il apporte sur l’histoire politique et la mentalité de la cité à la fin du XVe siècle.Administrée par un consulat depuis le début du XIVe siècle, la ville de Lyon est entrée dans le royaume de France en 131013. Fidèle au roi durant la guerre de Cent Ans et les conflits avec la Bourgogne, elle en est récompensée par la royauté : le futur Charles VII, encore dauphin, lui octroie deux foires en 1420. Elles ont dans un premier temps peu de succès, échouant à rivaliser avec celles de Genève, qui restaient les plus importantes d’Europe. Elles prennent leur essor en 1436 avant que le roi n’accorde une troisième foire à la ville en 1444. Mais c’est véritablement Louis XI, dès les premières années de son règne, qui assure la prospérité lyonnaise, en permettant l’établissement d’une quatrième foire en 1463. Les marchands étrangers, interdits de Lyon s’ils fréquentent Genève, délaissent bien vite cette ville au profit de la première ; les Médicis eux-mêmes préfèrent la Saône au lac Léman dès 1466, bientôt suivis de nombreux banquiers et marchands ultramontains14. Le succès des foires de Lyon ne se dément plus après 1463, malgré le coup porté au moment de la régence des Beaujeu. Troyes et Bourges récupèrent pour un temps les foires, finalement rendues en totalité à la cité rhodanienne en 1494. Lyon exporte peu mais elle représente une « plaque tournante » très importante en Europe en matière de redistribution des marchandises, dont la majorité est constituée par le textile. Selon A. Zander, il existait en outre un marché de librairie et de peinture qui se tenait pendant les foires15. Sur la question des rapports avec d’autres régions et pays, les études ont été nombreuses dans le champ proprement historique : la présence de la cour française, les expéditions militaires au départ de Lyon, l’afflux des marchands, les échanges commerciaux et monétaires ont fait l’objet de plusieurs publications. Il en ressort une image cosmopolite et tendant vers l’Italie, telle qu’elle apparaît déjà chez F. Elsig. Le titre qu’il choisit dans son ouvrage de 2004 évoque cette idée d’échanges et de relations avec d’autres régions françaises et européennes16. Mais l’image d’une ville lieu de passage et de rencontre était déjà présente chez de nombreux historiens dès le XVIIIe siècle. En 1757, Pernetti évoquait l’installation de marchands italiens dans la cité, attirés par les foires. En 1911, E. Vingtrinier dressait le portrait d’une ville « (…) cosmopolite, avec ses colonies d’Italiens et d’Allemands, son flot sans cesse renouvelé de marchands étrangers, de savants, d’ambassadeurs, d’aventuriers (…) »

Les ouvrages généraux d’histoire de l’art

Il est frappant de constater la place faite à la peinture lyonnaise dans les catalogues ou les publications généralistes : l’exposition consacrée aux Primitifs français en 1904 à Paris en est un très bon exemple34. Si l’art de la région de Lyon est évoqué, en lien avec le Bourbonnais, il ne bénéficie pas d’une partie propre. La seule œuvre intitulée « École lyonnaise » est le tableau de la Sainte Catherine (fig. n°1) qui se trouve encore aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts de Lyon35. En outre, l’auteur du catalogue déplore la trop grande présence des artistes étrangers qui ont « perverti » l’art de la région, comme celui du Val de Loire, de la Provence et du Bourbonnais36. La création lyonnaise médiévale est abordée uniquement à travers les figures du Maître de Moulins, de Jean Perréal et de Corneille de Lyon, méthodologie qui reparaît dans de nombreux ouvrages ensuite : on la retrouve chez H. Bouchot dans son complément à l’exposition de 1904, mais également chez L. Dimier en 192537. Souvent, l’existence d’une école lyonnaise n’est pas même évoquée38, ou alors comme une réalité éphémère, de nouveau liée à la personnalité de Jean Perréal39. La question de la peinture par écoles tend ensuite à disparaître, et c’est plus que jamais via l’étude des artistes lyonnais ou de la région que la question de l’art pictural de la ville est abordée. De G. Ring en 1949 à A. Blunt en 1983, l’idée d’une communauté de création à Lyon et dans la région semble disparaître des écrits des historiens de l’art 40. En 1996, la difficulté à caractériser la création lyonnaise est soulignée par H. Zerner ; il en donne une définition nécessairement plus en creux qu’en certitudes41. Plus de cent ans après l’événement de 1904, et après celui de 2004, à l’occasion duquel l’histoire de la redécouverte des Primitifs français a été largement étudiée42, une exposition consacrée à l’art français autour de 1500 s’est tenue à Paris. L’art lyonnais y occupe désormais un espace .dédié, bien que restreint. Le catalogue ne consacre que six pages à Lyon, avec les notices des œuvres (enluminures et vitraux)43. Revenant sur la place prépondérante de l’enluminure, le commentaire mentionne aussi la figure de Jean Perréal ; les notices évoquent quant à elles deux vitraux et trois enluminures. La place dévolue au peintre des rois reste importante, mais finalement plutôt en marge de l’art de sa ville : ses œuvres sont discutées avant le chapitre lyonnais44. La conception de l’art en écoles régionales a depuis longtemps montré ses limites et l’existence d’une véritable École de Lyon ou École du Rhône n’a jamais été considérée de façon sérieuse : peut-être l’absence de grands retables ou d’œuvres réalisées de façon certaine dans la région a contribué à cet état de fait. Cependant, l’étude de Lyon à travers ses seuls grands noms, tels que Jean Perréal, Jean Prévost ou, de façon plus lointaine, Jean Hey, restreint la vision que nous pourrions avoir de la cité à l’époque de ces artistes.

Les érudits et les débuts d’une historiographie locale

Parallèlement à la place accordée à Lyon dans les ouvrages généraux, les études locales connaissent, des dernières décennies du XIXe siècle à la Première Guerre Mondiale, un début d’intérêt. Il faut tout de même noter que la fin du XVe siècle n’a pas ou peu retenu l’attention des érudits locaux avant la toute fin du XIXe siècle ; ils sont d’ailleurs peu organisés (l’université lyonnaise n’est créée que dans les années 1830). L’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon, fondée au XVIIIe siècle, ne publie aucun essai avant 1845 : les discours consacrés à l’histoire de l’art avant cette date sont conservés par le biais des comptes rendus de séances et des mémoires, copiés par les secrétaires45. Il ressort de la liste de ces articles des intérêts tournés vers l’architecture et l’art contemporain, accompagnés d’interventions consacrées à l’art en général46. Un catalogue des mémoires lus à l’académie et publiés entre 1845 et 198747 renseigne sur leurs préoccupations, qui restent sensiblement les mêmes que ceux de la période précédente. Seules vingt-trois mentions pour ce siècle et demi d’activité se rapportent à l’art, et le plus souvent à l’art contemporain. C’est donc vraiment l’organisation d’administrations culturelles telles que les archives départementales qui ont permis une avancée dans la connaissance de l’histoire et de l’art lyonnais. Plusieurs études spécifiques ont dès le milieu du XIXe siècle abordé la question, le plus souvent par le biais de Jean Perréal et des archives : en 1861, F. Rolle publie ainsi de nombreux extraits des délibérations consulaires et des comptes de la commune relatifs à l’artiste48. Par la suite, l’abondante bibliographie consacrée au peintre fait également appel aux textes, les œuvres faisant défaut. Les ouvrages de N. Rondot sont en ce sens essentiels49 : dans la perspective d’écrire une histoire générale de l’art à Lyon, cet ancien industriel devenu érudit compulse les archives et publie des listes de noms. Il recense de nombreux peintres, verriers, sculpteurs, graveurs, etc., produisant ainsi une première ébauche de ce que fut l’activité artistique à Lyon, du XIVe au XVIIIe siècle. Ses recherches révèlent un nombre important d’artistes installés dans la cité rhodanienne, parfois bien connus sur plusieurs années voire plusieurs décennies, mais peu souvent reliés à une commande précise ou à un commanditaire. N. Rondot a également publié des ouvrages dédiés à certains artistes  mais, de façon générale, ses recherches ne donnent pas lieu à une synthèse véritable ni à une analyse de ses découvertes, bien que ses intuitions soient souvent fines et pertinentes. Il avait le projet d’écrire une histoire générale de l’art lyonnais, mais il ne put le concrétiser avant son décès, en 1900. Dans les années 1910, l’entreprise de publication de Dictionnaires d’artistes des régions de France voit le jour au sein de la Bibliothèque d’Art et d’Archéologie fondée par J. Doucet. Le volume consacré au Lyonnais est confié à M. Audin et E. Vial, qui l’achèvent en 1914, mais dont la publication est retardée par la guerre jusqu’en 191951. Cette somme importante recense, grâce aux archives, les artistes et artisans ayant travaillé à Lyon, dans une perspective chronologique et thématique très large. La précision des mentions documentaires et l’exhaustivité presque complète de leur travail rend ce Dictionnaire particulièrement intéressant et indispensable à toute étude consacrée à l’art lyonnais. Toutefois, il ne s’agit finalement que d’une liste, certes assortie  de commentaires et de références bibliographiques et d’archives, mais dont le but n’est évidemment pas d’établir une synthèse.

Table des matières

INTRODUCTION
I Historiographie
2 A Les ouvrages généraux d’histoire de l’art B Les érudits et les débuts d’une historiographie locale  C Études récentes, connoisseurship et Jean Perréal II Sources et méthodologie A Les hommes : comptabilités et délibérations communales B Les œuvres : archevêché et églises lyonnaises
C Méthode et perspectives PREMIÈRE PARTIE LES PEINTRES : PRATIQUES ARTISTIQUES ET PRATIQUES SOCIALES
I Apprentissage, statuts et sociabilité
A De l’apprentissage à l’atelier
1 L’apprentissage
2 La communauté des peintres et la maîtrise
3 Les Statuts et la confrérie Saint-Luc
4 Transmission et dynasties
a Dynasties et filiation
b De réelles stratégies matrimoniales ?
B Sociabilité et voisinage
1 Du côté de l’Empire et du côté du Royaume
2 Imprimeurs et enlumineurs

3 L’importance du voisinage
4 Association et boutiques
5 Réseaux
C Imposition et estimes
1 Le niveau de fortune des peintres et verriers
2 Les peintres et verriers : une élite urbaine ?
II Mobilité des artistes
A Artistes étrangers à Lyon
1 Flamands, Espagnols, Français et Italiens
2 L’installation en ville : intégration et conditions de travail p 81 B Jean Perréal : Paris et le val de Loire, Brou et l’Italie p 85 1 Jean Perréal de Paris : éléments de biographie p 86 2 Perréal, Michel Colombe et la Bresse
3 Perréal, les Lyonnais et l’Italie
C Les Lyonnais hors des remparts : œuvres et expertise
1 A l’intérieur des frontières, de Grenoble à Toulouse
2 Le duché de Savoie
3 Les Vaser
4 Le duché de Lorraine « Mysteres » et « joyeusetés » : les peintres de Lyon autour de 1500 DEUXIÈME PARTIE LES COMMANDITAIRES : NOTABLES, CONSULS, CHANOINES ET ROIS DE FRANCE p 117
I Commande privée : bourgeois, érudits, marchands et banquiers
A Érudits, notables et marchands : Histoire, cérémonies et livres d’heures enluminés
1 L’atelier du Maître de Guillaume Lambert
2 Le Maître de l’Entrée et Guillaume II Le Roy
3 Les érudits
4 Les notables
B La commande vitrée
C Les rapports entre artistes et commanditaires : l’exemple des érudits II Commandes publiques et représentation : le Consulat A L’hôtel de ville : travaux et embellissements
B La représentation publique : les armes de la ville
1 Les ponts de la cité
2 Le portrait de la cité
III Le clergé de Lyon et les peintres
A La cathédrale et l’enclos épiscopal
1 Les vitraux
2 Les peintures et les bannières
3 La maison du chamarier
B Les peintres et verriers de Lyon et les archevêques
1 Charles II de Bourbon
a La chapelle des Bourbon
b Un prélat amateur d’art
2 André d’Espinay et L’Arbresle
3 François de Rohan
C Les églises de Lyon et du Lyonnais
1 L’église Saint-Nizier
2 Les vitraux du diocèse
3 La Sainte Catherine du Musée des Beaux-Arts
D Les ecclésiastiques, pourvoyeurs de commandes
IV La cour et le roi
A La présence des rois à Lyon
1 Louis XI et René d’Anjou
2 Charles VIII et Anne de Bretagne
3 Louis XII et François Ier
B L’entourage royal C Les seigneurs de Moulins
TROISÈME PARTIE LA VILLE EN FÊTE
I « Joyeusetés » et triste nouvelle : tournois, feux de joie, mystères et obsèques  A Tournois
B Feux de joie
C Mystères   D Obsèques
II Les entrées : cérémonies royales, cérémonies urbaines « Mysteres » et « joyeusetés » : les peintres de Lyon autour de 1500
A Les donneurs d’ordre et les protagonistes
1 Les conducteurs
2 Les artistes
a Tâches et salaires
b Des artistes spécialisés ?
3 Où est l’expositeur?
B Thèmes royaux
1 Les fleurs de lis, l’arbre de Jessé et le Jardin de France 2 Le roi mythique, le roi vainqueur
C Thèmes urbains
1 Le lion
2 La cité personnifiée, la cité transformée
3 La ville et le roi
III De l’éphémère et du pérenne
A Le recours au passé
1 La répétition des thèmes
2 La réitération du protocole
B L’invention, gage de promotion pour la ville et les artistes
1 « Aussi bien que faire se pourra » et surtout sans redite
2 L’astrologue Simon de Phares, concepteur de mystères
3 Arcs de triomphe et Antiquité
4 Le discours des artistes : peines, travaux et nouveautés
C La mémoire de l’entrée, l’écume de la fête
1 Les présents d’orfèvrerie
2 Le devenir des décors et des histoires
3 Le manuscrit d’entrée, entre compte-rendu et livret de fête Le Cod Extr   de l’August Herzog Bibliothek, Wolfenbüttel
a Le commanditaire et le destinataire
b Le texte, l’image, l’entrée
4 Œuvres pérennes, œuvres éphémères
CONCLUSION  BIBLIOGRAPHIE

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