Les paradoxes et les ambiguës du temps partiel pour les salariés
LE TRAVAIL A TEMPS PARTIEL EST-IL UN VECTEUR DE SOUS EMPLOI OU UNE PASSERELLE VERS LE TEMPS PLEIN?
Temps partiel: temps choisi ou temps contraint?
Ainsi que le montre la typologie de B.Galtier (1999), l’emploi à temps partiel couvre une palette de situations individuelles, allant d’un choix de mode de vie à un choix sous Temps partiel: temps choisi ou temps subi? Les paradoxes et les ambigu·’lés du temps partiel pour les salariés contrainte, d’une insertion minimale dans l’emploi à un temps partiel de type scolaire, d’une forme d’accès à l’emploi à une modalité de retrait d’activité. fi importe toutefois de préciser que la typologie ainsi élaborée ne couvre pas tous les salariés à temps partiel: dans chaque logique distinguée, des salariés échappent aux tendances dominantes et spécificité mises en lumière. Ce temps partiel est contraint pour environ la moitié des salariés concernés et choisi pour l’autre moitié, «contraint» devant être entendu dans le sens où les salariés souhaiteraient travailler davantage. Le temps partiel choisi correspond à une minorité d’hommes en cessation progressive d’activité, le plus souvent en préretraite progressive et à une très large majorité de femmes de plus de 25 ans qui acceptent ou s’accommodent de leur régime horaire. Elles bénéficient de caractéristiques témoignant d’une situation qui leur est plutôt favorable: elles sont relativement diplômées et plutôt anciennes dans leur fonction ou leur établissement. Une très large majorité d’entre elles ont opté pour un temps partiel scolaire (mercredi non travaillé). Mais la majorité des salariés à temps partiel déclare vouloir travailler davantage : ce sont des salariés en situation de temps partiel contraint, en sous-emploi. C’est en France que la proportion de temps partiel contraint est la plus forte dans l’ensemble des pays européens (CSERC, 1998). Depuis 1990, l’enquête emploi de l’Insee demande aux personnes qui travaillent à temps partiel si elles souhaiteraient travailler davantage. Les résultats progressent de façon significative (CSERC, 1998). Ainsi, la part de salariés à temps partiel du secteur privé déclarant vouloir travailler plus, soit en restant à temps partiel, soit en passant à temps plein est passée de 31.4% en 1992 à 38.8% en 1995 et à 40% en 1997. Ce constat est encore plus net chez les hommes (50.8% en 1995 contre 40.6% en 1992) et chez les jeunes de moins de 25 ans (54.5% contre 44.8%). De même le fait d’être peu diplômé renforce la fréquence du travail à temps partiel et aussi celle du temps contraint. Cette dernière dépasse 40 % pour les personnes sans diplôme et environ 30% pour les diplômés du supérieur. Ce sont en outre les moins diplômés qui ont le moins de chances d’accéder à un temps plein, lorsqu’ils le souhaitent. Temps partiel: temps choisi ou temps subi? Il convient de noter cependant que le souhait de travailler davantage ne se traduit pas nécessairement par la recherche active d’un autre emploi. Ce temps partiel contraint qui, au début des années 90 semblait être réservé à des populations spécifiques et en particulier aux jeunes s’est davantage diffusé dans l’ensemble des catégories d’actifs: chez les salariés plus âgés mais aussi chez les hommes et chez les diplômés. L’état actuel de l’information ne permet pas cependant de distinguer entre l’influence de la conjoncture déprimée de cette période et celle de tendances plus structurelles (CSERC,1998). Le souhait de travailler davantage lorsqu’on est à temps partiel n’est pas lié uniquement à des caractéristiques personnelles mais aussi à celle du ménage et au niveau des revenus. Il est également lié aux caractéristiques de la rémunération et au statut de l’emploi. La proportion d’emplois atypiques est plus élevée chez les salariés qui souhaiteraient travailler davantage et leurs horaires sont plus irréguliers (CSERC, 1998). Par ailleurs, les salariés les plus récemment embauchés sont non seulement les plus fréquemment à temps partiel mais aussi les plus nombreux à souhaiter travailler davantage. Une divergence croissante d’objectifs existe donc entre, d’un côté, les entreprises qui de plus en plus, embauchent à temps partiel et, de l’autre côté, les salariés recrutés qui souhaitent stabiliser leur situation professionnelle en travaillant davantage. «Au total, les emplois occupés par les actifs à temps partiel qui déclarent souhaiter travailler davantage présentent plus souvent des caractéristiques défavorables que les emplois occupés par les autres actifs :formes précaires d’emploi, rémunérations réduites, horaires de travail irréguliers. D’autre part, les personnes occupant ces emplois ont également des caractéristiques familiales peu favorables. La montée du temps partiel contraint ne semble pas refléter une remise en cause du principe même du temps partiel mais est associé au développement de ses formes les plus défavorables. » (CSERC, 1998 p.90). Aux notions de temps partiel choisi et de temps partiel contraint, Maruani et Reynaud (1993) préfèrent substituer : • la notion de temps partiel réduit (qui correspond à la transformation du contrat de travail à temps plein en temps partiel (à l’initiative du salarié) ; Temps partiel: temps choisi ou temps subi? • la notion d’emploi partiel (qui correspond à la création d’emploi à temps partiel à l’initiative de l’employeur). Mais de fait, le temps partiel n’est jamais complètement choisi, ni entièrement contraint. La recherche effectuée par Michel Lallement (2000) sur les employés de La Poste l’atteste. Il importe en particulier d’intégrer la dimension «hors travail» dans l’analyse pour bien comprendre les mondes vécus du temps partiel. Cette recherche met plus précisément en lumière l’articulation entre travail, emploi et mode de vie. Au-delà même de la rhétorique sur l’articulation travail famille, il existe une relation forte et ambivalente entre rapport au travail et rapport à l’emploi. «Travail souffrance» pour la plupart des personnes interrogées dans cette recherche, le temps partiel apparaît à la fois une défection et un moyen de garder un pied sur le marché du travail.
Le temps partiel : impasse ou passerelle vers le temps plein?
Il devient de plus en plus difficile, une fois dans le temps partiel, de passer à un temps complet. Selon l’INSEE, (1996), le passage d’une situation de temps partiel vers une situation de temps complet est devenu plus aléatoire. Les parcours d’emploi à court terme des salariés à temps partiel différent selon le caractère contraint ou choisi du temps partiel : En 1996, presque la moitié des salariés à temps partiel très court et contraint en 1994 est toujours dans la même situation de temps partiel contraint alors qu’une part non négligeable (plus de 40%) des temps partiels longs et contraints en 1994 a accédé à un emploi à temps complet. Pour les temps partiels choisis (ceux qui ne souhaitent pas travailler davantage), les trajectoires sont plus homogènes (Bloch et Galtier, 1999). L’accès à l’emploi à temps complet diffère selon les caractéristiques individuelles des salariés à temps partiel contraint: les hommes, les jeunes et les plus diplômés accèdent plus facilement au temps plein. Al’ opposé, les moins diplômés et les personnes d’âge intermédiaire restent plutôt à temps partiel contraint. Temps partiel: temps choisi ou temps subi? Différences de conditions de travail et de trajectoires d’emploi, ces éléments ne peuvent manquer d’influer sur les arbitrages que les salariés, en particulier à temps partiel, opèrent entre temps de travail rémunéré et temps de loisir (Bloch et Galtier, 1999). Cette situation est renforcée par le poids du partage des rôles sociaux entre les hommes et les femmes. Chez les femmes, même si le travail à temps choisi n’est pas majoritairement choisi parce qu’il y aurait une envie ou un besoin naturels de s’investir davantage dans la cellule familiale, le passage à temps partiel se traduit malgré tout par une implication accrue dans les tâches domestiques. En effet dès que la femme passe à temps partiel, l’absence de partage du travail domestique dans le couple resurgit. Le temps partiel renforcerait les rapports de sexe dominants (Kergoat, 1984 ; Cattanéo, 1996 ). Il est donc légitime de se demander dans quelle mesure le retour au temps complet est une alternative réelle. Cet aspect peut être illustré par les chiffres: en 1995, les passages annuels d’un poste à temps partiel sur un poste à temps complet sont deux fois plus fréquents pour les hommes que pour les femmes. Le travail à temps partiel est vécu comme une forme temporaire d’activité dans l’attente d’un amélioration. Il devient un mode d’accès courant à la vie professionnelle. Ainsi, selon l’INSEE, le passage d’une situation d’inactivité à un emploi semble passer plus fréquemment par le temps partiel. C’est à défaut de trouver mieux qu’un nombre croissant de chômeurs acceptent d’occuper un emploi à temps partiel (Insee, 1999). En 1995, 36.5% des inactifs l’année précédente occupaient un emploi à temps partiel contre 30.5% en 1991. En revanche, la réversibilité du temps partiel au temps plein n’est pas toujours garantie. Le travail à temps partiel peut enfermer le salarié dans une situation durable qu’il n’a pas choisie et qui le fragilise professionnellement et socialement. De ce point de vue, il peut conduire à une précarisation professionnelle et sociale.
LE TRAVAIL A TEMPS PARTIEL: AMELIORATION OU DEGRADATION DU RAPPORT AU TRAVAIL?
Dans les secteurs d’activité où il est structurellement déjà très pratiqué, le temps partiel s’accompagne souvent de contraintes fortes en termes de conditions de travail, d’amplitude, d’irrégularité des horaires et de disponibilité (Walter, 1997). Temps partiel: temps choisi ou temps subi? L’exercice du temps partiel modifie la relation au travail. Les recherches économiques et sociologiques fondées selon le cas sur des données objectives ou sur des perceptions et des représentations l’attestent. Les études menées en 1993 et 1994 par le Département Etudes de Ressources Humaines de la SOFRES auprès d’employés, d’agents de maîtrise et de cadres de secteurs industriels et bancaires (Tonnelé, 1995) ainsi que le rapport du Conseil Economique et Social (Walter, 1997)sur le temps partiel laissent ressortir les éléments suivants :
Les risques de précarité
Avant la loi Aubry du 19 janvier 2000, l’employeur disposait d’une large liberté d’appréciation en ce qui concerne le recours au temps partiel: Même si des garanties légales étaient offertes aux salariés, il pouvait opposer un refus à une demande de temps partiel d’un salarié. A l’inverse, il pouvait, de sa propre initiative, créer des postes à temps partiel, sa marge de manœuvre ayant été élargie par l’abattement des charges sociales mis en place à partir de 1992. La création d’emplois à temps partiel est moins contraignante que la transformation d’emplois à temps plein en emplois à temps partiel qui répond souvent à une demande explicite des salariés. Ce déséquilibre a ainsi favorisé la flexibilité par rapport aux attentes des salariés. Par ailleurs, le contrat de travail à temps partiel prévoyait la répartition de la durée de travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois. Pour tenir compte des besoins de l’entreprise, la loi les autorisait à modifier plus ou moins fréquemment la durée et la répartition du travail ou à recourir de façon répétée aux heures supplémentaires. Le salarié à temps partiel se trouvait alors dans une situation particulièrement défavorable et précaire d’autant plus si le recours au temps partiel ne résultait pas d’un choix délibéré. La loi Aubry, depuis le 19 janvier 2000, a, d’une part, limité les possibilités pour un employeur de refuser d’accéder à une demande de travail à temps partiel, d’autre part, renforcé la possibilité pour un salarié de solliciter un temps partiel. Par ailleurs, la durée doit être fixée dans un cadre hebdomadaire ou mensuel et ne peut être modifiée sans l’accord express du salarié. Temps partiel: temps choisi ou temps subi? Par ailleurs, lorsqu’il est contraint, l’emploi à temps partiel est souvent temporaire. Ainsi 21,5% des femmes qui souhaitent travailler davantage occupent un emploi temporaire (intérim, COD, stage ou contrat aidé) (Meulders, 1995; Bloch et Galtier, 1999). De plus, les inégalités se cumulent: les temps partiels les plus courts sont les moins rémunérateurs et offrent le moins de perspectives d’allongement de la durée du travail alors que les temps partiels plus longs procurent à la fois des revenus plus élevés et des chances plus grandes d’accéder à l’emploi à temps plein (Bloch et Galtier, 1999).
La réversibilité et le retour au temps plein ne sont pas toujours possibles
Les textes législatifs prévoient la potentialité quant au volontariat et à la réversibilité mais l’effectivité de ces principes reste du domaine de la virtualité. Le travail à temps partiel reste un travail imposé, défavorable au salarié dans la grande majorité des cas (Walter, 1997).
Rémunération et protection sociale
- Le travail à temps partiel conduit au gain d’un salaire partiel Concernant la rémunération, les recherches sembleraient confirmer l’existence dans de nombreux pays d’une pénalisation des travailleurs à temps partiel par rapport aux travailleurs à temps complet, bien qu’il soit difficile de faire la part entre l’effet d’emploi et l’effet de différence de traitement (Maruani, 1995; OCDE, 1999). Les travaux sur données françaises aboutissent à un diagnostic plus nuancé. Toutes choses égales par ailleurs, le taux de salaire horaire des salariés à temps partiel par rapport à celui des salariés à temps plein serait inférieur d’environ 10% pour les hommes et non significativement différent pour les femmes (Galtier,1999 ). Une étude américaine (Kosters, 1995) montre également que les différences entre les salaires des salariés à temps partiel et ceux des salariés à temps plein se réduisent considérablement quand on contrôle des variables telles que le niveau d’éducation et de formation, l’âge ou l’ancienneté. Temps partiel: temps choisi ou temps subi? • La protection sociale des employés à temps partiel est moindre Le travail à temps partiel ne confère pas au salarié un statut particulier ou atypique dans les régimes de protection sociale mais le droit aux prestations sociales demeure cependant subordonné à des conditions de durée minimale d’activité ou de minimum de versement de cotisations. Ces conditions touchent en particulier les temps partiels de très faible durée (moins de 60 heures par mois par exemple)(Okba et Pyronnet, 1999).
Les conditions de travail
En termes de conditions de travail (régularité des horaires, autonomie dans la gestion des horaires, possibilité de s’absenter quelques minutes et plus globalement tolérance des absences, fréquence du travail le samedi, le dimanche et les jours fériés, autonomie dans la fixation des horaires de travail) les temps partiels contraints sont nettement pénalisés par rapport aux temps complets, les temps partiels choisis connaissant des situations intermédiaires (Cette, 1999; Bloch et Galtier, 1999). TIfaut noter que les contraintes horaires pèsent davantage sur les hommes que sur les femmes. TI en est de même de la précarité de l’emploi et des inégalités de salaire horaire (Meulders, 1995 ; Bloch et Galtier, 1999). La réduction quantitative du temps de travail prend des formes différentes selon les modes d’organisation des temps travaillés. Elle peut introduire soit une diminution, soit une intensification des contraintes de temps. Loin de soulager les contraintes professionnelles, le temps partiel peut entraîner une perte de maîtrise du temps de travail aussi bien en matière de durée que d’organisation (Cattanéo, 1996). Dans la grande distribution par exemple, la journée est découpée en plusieurs périodes de travail. L’amplitude de travail est souvent considérable, obligeant le salarié à un temps très important de disponibilité auprès de l’entreprise, réduisant le temps de vie privée et familiale ou la possibilité d’obtenir un autre emploi qui pourrait compléter un revenu limité (Gauvin et Jacot, 1999). Cette perte de maîtrise du temps de travail peut être aggravée par une surcharge de travail à la fois pour l’intéressé et ses collègues (Walter, 1997). Dans sa recherche sur le temps partiel à La Poste, Michel Lallement (2000) montre comment le statut de temps partiel renforce à la fois l’invisibilité et la pression au travail.