Les outils méthodologiques mobilisés
La littérature sur l’internationalisation de la R&D ne privilégie pas les mêmes méthodes de recherche que la littérature sur la globalisation de la R&D. La première, qui cherche à rendre compte de la dispersion des centres de R&D au niveau mondial, des déterminants de cette dispersion et de son impact sur les pays d’accueil et d’origine, utilise assez couramment des bases de données quantitatives faites à grande échelle qui permettent d’avoir une vue d’ensemble du phénomène (comme c’est le cas dans Florida (1997) et Sachwald (2008)). Le recours à des entretiens, quand il y en a, ne vient que dans un deuxième temps pour valider les résultats (comme le fait Kuemmerle (1999) par exemple). La littérature sur la globalisation de la R&D, qui s’intéresse principalement à la façon dont les firmes organisent leur activité de R&D dispersée et aux interactions entre différents agents, favorise quant à elle les méthodes plus qualitatives basées sur des entretiens semi-directifs (comme chez Von Zedtwitz et al. (2004), Von Zedtwitz (2005), Von Zedtwitz & Gassmann (2002), Meyer-Krahmer & Reger (1999), Gerybadze & Reger (1997), De Meyer & Garg (2004), Asakawa (2001)) ou des études de cas (comme le font Von Zedtwitz et al. (2004), Reger (2004), Chiesa (1996), Criscuolo (2005)). L’utilisation de bases de données chiffrées ne vient plus qu’en amont ou en aval de la recherche pour faciliter l’émergence des hypothèses de recherche ou valider les résultats à plus grande échelle. Elle est rarement utilisée comme la méthode principale sur laquelle s’appuient les résultats.
Les études de cas : l’outil méthodologique principal
En nous intéressant au management de la globalisation de la R&D, nous cherchions à comprendre un phénomène très complexe qui fait interférer, à plusieurs niveaux, des acteurs aux caractéristiques particulières. Or, mieux que toute autre méthode, les études de cas permettent au chercheur d’adopter un point de vue holistique et d’enquêter sur un phénomène contemporain complexe dans son contexte réel. Contrairement aux méthodes déductives, la méthode des études de cas, de nature inductive, est un instrument non seulement utile pour tester des théories déjà existantes, mais également pour construire de nouvelles théories (Yin (1984), Eisenhardt (1989)). Nous l’avons donc utilisée comme la méthode principale pour conduire notre travail de recherche. Le chercheur qui mobilise des études de cas pour générer des théories doit se soumettre à une certaine discipline (Eisenhardt, 1989). Pour y parvenir, nous nous sommes très largement inspirée de la trame en sept étapes de Eisenhardt (1989) (tableau 3.1), même si nous l’avons adaptée aux contraintes qui se présentaient à nous et à nos besoins précis.
Effectuer ses recherches à l’EIRMA
L’EIRMA, association française loi 1901 à but non lucratif, a été créée en 1965 sous l’impulsion de l’OCDE. Ses membres sont pour la plupart des entreprises disposant d’au moins un centre de R&D en Europe. Les activités de cette association portent principalement sur les questions liées au management de l’innovation industrielle. Concrètement, l’EIRMA organise tous les ans une vingtaine de réunions sur des thèmes proposés en continu par ses membres par l’intermédiaire d’un comité des programmes : le « program planning committee ». En comptant pour membres une centaine d’entreprises parmi celles dont les dépenses de R&D sont les plus élevées dans leur secteur9 , l’EIRMA est un terrain d’observation exceptionnel. L’EIRMA a cela de différent des entreprises de consultance qu’elle est un lieu privilégié de rencontres, de « networking » informel favorisant l’émergence de liens de confiance et d’échanges souvent riches entre des professionnels de l’innovation de différents niveaux hiérarchiques, de différents pays et de différents secteurs d’activité. Par ailleurs, parce qu’elle a conservé les comptes-rendus de toutes les réunions qu’elle a organisées depuis ses débuts, l’EIRMA offre aussi une base documentaire très fournie. Pour un chercheur qui s’intéresse à un sujet aussi stratégique pour les firmes que celui de la globalisation de la R&D, effectuer ses recherches à l’EIRMA assure une certaine proximité avec le terrain. Nous avons pu en bénéficier en effectuant une thèse CIFRE10 dans cette association entre novembre 2007 et janvier 2011. Bien entendu, en accueillant un étudiant en thèse, l’EIRMA n’avait pas pour premier objectif de fournir un terrain d’observation à un chercheur sans aucune contrepartie. Comme l’EIRMA nous l’a précisé en nous employant, l’étudiant-chercheur devait jouer un rôle particulier pour l’association. L’encadré 3.1 ci-dessous revient sur la lettre de mission que nous avons reçue au commencement de notre thèse.