Règlementer le foncier : le PLUi
Le PADD du PLUi
Le Projet d’Aménagement et de Développement Durable du PLUi du Territoire Marseille Provence, débattu dans les 18 communes-membres, et fin 2016 en Conseil de Territoire, présente des orientations stratégiques globales à l’échelle du territoire dans le « cahier global », qui sont ensuite déclinées dans les 18 communes, via des « cahiers communaux », permettant ainsi à chaque commune d’exprimer son projet politique particulier, en cohérence avec la stratégie territoriale globale.
Dans le cahier global, on peut voir que, juste après une première orientation sur le positionnement stratégique du Territoire, visant à conforter son attractivité en France et en Europe, la deuxième orientation majeure du PADD porte sur « l’écrin vert et bleu préservant le cadre de vie ». Dans cette orientation, la préservation des terres agricoles occupe une place importante, au même titre que la préservation de la biodiversité et des paysages. Les auteurs rappellent en premier lieu que malgré ses nombreux atouts, l’agriculture locale est fortement confrontée à la consommation d’espaces : « les terres agricoles cultivées ou en friche représentent aujourd’hui un peu plus de 4% du territoire ». Le PADD affirme alors que « l’agriculture du territoire doit être protégée, et la consommation desterres interrompue », au vu de son caractère multifonctionnel et des multiples services qu’elle rend : « Les terres cultivées assurent ainsi aux côtés d’une fonction économique, des fonctionsenvironnementales, notamment en contribuant aux continuités écologiques, et paysagères, en offrant des paysagesouverts et diversifiés, ainsi que des fonctions sociales. Celles-ci sont particulièrement prégnantes dans un contexte urbain et périurbain ; les terres cultivées permettent de développer les circuits courts, de constituer des espaces pédagogiques ou encore des jardins familiaux. De plus, l’agriculture contribue largement à la protection contre les risques et notamment contre les feux de forêt, par l’entretien des paysages ouverts, et contre l’inondation en facilitant l’absorption d’eau et en offrant des espaces de rétention d’eau.86 »
Le PADD va même plus loin que la protection, en parlant d’une « affirmation de sa dynamique agricole », via des « projets d’extension agricoles porteurs d’intention de développement dans lesdomaines de la viticulture, du sylvo-pastoralisme, ou du maraîchage, notamment à Gignac-laNerthe, Marseille, Ceyreste, Cassis, Roquefort-la- Bédoule et la Ciotat. ». La commune de Gignac est citée à plusieurs reprises en exemple. Un peu plus loin dans le document, lorsqu’il est question de l’agriculture de plaine, confrontée au mitage et à la pression urbaine, le projet Garden Lab est exposé : « Sur le territoire de Gignac-la-Nerthe, le projet de développement de l’agriculture urbaine engagé permettra de préserver voire de développer les terres cultivées, de valoriser l’activité agricole et ses atouts pour la qualité de vie urbaine et de constituer un démonstrateur d’innovation à l’échelle métropolitaine. »
Le cahier communal dédié au projet politique de Gignac-la-Nerthe est construit autour d’un « choix de développement économique cohérent avec la préservation et la valorisation de ces terres agricoles ». « Le développement résidentiel (particulièrement au sein de son entrée de ville autour du projet de Boulevard Urbain multimodal) » sera « assumé dans le respect des richesses naturelles et agricoles du territoire ». On peut donc lire dans ces pages87 un projet de ville moyenne, en péri-urbanité d’une grande métropole, qui porte son développement économique (poursuite du développement des espaces économiques sur la zone d’activités du Billard, en lien avec le technopole des Florides à Marignane et la requalification du site des Aiguilles), des projets de mobilité (un boulevard urbain multimodal sur le RD 368, le développement d’un réseau de mobilité douce, une meilleure connexion avec la gare du Pas-des Lanciers), et un développement de son habitat (accueil de 700 habitants, avec du logement social en lien avec le Contrat de Mixité Sociale), mais sans consommer d’espaces naturels ni agricoles, les capacités constructives existantes en milieu urbain étant privilégiées, et les risques de nuisance, nombreux sur la commune, étant pris en compte.
Le zonage A
Dans le cadre du PLUi, la Chambre d’agriculture est mandatée par la Métropole AMP pour réaliser un diagnostic agricole sur l’ensemble du territoire. En 2016, le territoire communal est donc passé à la loupe par les équipes de la Chambre, et les zones agricoles font l’objet d’une étude minutieuse en vue de leur classement en A ou non dans le PLUi. La valeur des terres agricoles de la commune de Gignac est réaffirmée et donne lieu à des échanges rapprochés entre le maire et la Chambre.
A ce moment-là, les propriétaires privés détenant les terres du secteur Pousaraque sont déjà en discussion depuis plusieurs années avec des promoteurs immobiliers et un projet de 300logements a été esquissé en lien avec un promoteur montpelliérain et un promoteur national. Au sein de l’équipe municipale, des discussions ont lieu ; le maire tranche en 2016 : après 11 années en zonage A urbaniser, les 37 ha du secteur Pousaraque sont rebasculés en zone agricole (1 dans la carte ci-dessous).
Le PLUi affirme donc le passage de 282 ha de zone agricole à 341 ha. Ce sont ainsi 61 ha qui repassent d’un zonage U ou AU à un zonage A sur le territoire communal, entraînant au passage l’annulation pure et simple du projet urbain de la Pousaraque, très avancé et représentant des enjeux financiers non négligeables. Une vraie prise de risque politique et un geste encore rare en France.
L’équipe municipale ne rencontre aucune opposition de la part des services de la Métropole, mais au contraire se sent soutenue. Pour M. Amiraty, les techniciens des grands EPCI peuvent être amenés à guider les communes de petite taille en l’absence de volonté politique claire. Mais dans le cas de Gignac, il y a eu un accord clair de la Métropole sur le PADD proposé par la commune ; le travail sur sa traduction règlementaire en zonage s’est donc ensuite déroulé facilement, avec une collaboration fluide.
Des négociations ont dû avoir lieu avec les services de l’Etat pour maintenir, en dehors de la préservation de ces terres agricoles, une capacité de production de logement sur la commune.
Une zone à urbaniser conséquente a donc été conservée, le long de la route départementale 368, actuellement occupée par des espaces déqualifiés (casse auto, stockage de bois), dans lesquels de nombreuses infractions à l’urbanisme sont commises. Le renouvellement de cet espace devrait permettre d’améliorer l’entrée de ville, tout en produisant du logement.
Des discussions ont également eu lieu concernant le maintien du secteur du Billard en AU et le déclassement des parcelles A pour agrandir cette zone AU de quelques hectares. Cette zone destinée à l’accueil d’activités économiques (en prolongement du techno parc des Florides de Marignane) est clé pour la commune. En effet, seule la zone des Aiguilles, au foncier limité, génère des recettes fiscales communales. Pour pouvoir poursuivre la mise en œuvre du projet de territoire, et notamment les acquisitions foncières, des recettes sont nécessaires. Malgré un avis négatif de la CDPENAF sur le zonage proposé pour cette zone, le cap a été maintenu. Dans le cas présent, le projet global est positif pour l’agriculture, mais on voit ici une illustration concrète des limites du pouvoir d’action des CDPENAF.
L’ensemble des terres agricoles de la commune sont classées dans le PLUi en zone A2. Le règlement du PLUi pour le zonage A1 stipule que toutes les constructions nouvelles sontinterdites à l’exception des châssis et serres (sous certaines conditions de hauteur et de leur caractère démontable) et des locaux techniques d’entités publiques (sous conditions). Ce zonage apporte donc une garantie forte contre le mitage des zones agricoles. A contrario, le règlement autorise en zone A2 les nouvelles constructions pour exploitation agricole, logement d’agriculteurs et locaux nécessaires aux CUMA (Coopérative d’Utilisation de Matériel Agricole).
La gestion des extensions de bâti existants est également beaucoup plus souple en A2 qu’en A1.
Ce choix d’un zonage A2 sur toute la commune vient d’une proposition des services techniques de la Métropole. Le règlement du PLUi fournit les indications suivantes :
A1 – Zones correspondant notamment à des secteurs agricoles situés dans les Espaces Proches du Rivage et/ou dans les massifs et dont les enjeux écologiques et/ou paysagers, en sus des potentialités agronomiques des sols, requièrent de limiter fortement leur constructibilité. Elles couvrent également des zones agricoles soumises à une forte pression urbaine et impactées par un mitage important dans lesquelles la préservation stricte des terres agricoles doit être garantie.
A2 – Zones correspondant notamment aux autres secteurs agricoles du territoire, notamment en plaine, dans lesquelles l’activité agricole est parfois contrainte par un mitage de l’espace. Dans ces zones, l’objectif consiste à concilier développement de l’activité agricole avec la lutte contre le mitage. Les constructions nécessaires aux exploitations agricoles sont donc permises mais elles doivent répondre à certaines exigences, notamment en termes d’implantation.
Alors que les terres agricoles de Gignac sont à la fois proche du rivage de l’Etang de Berre et du massif forestier de la Nerthe, c’est le zonage le plus permissif qui a été retenu. Ce choix a néanmoins le grand avantage de la souplesse. Il pourrait permettre dans le futur de loger de futurs exploitants directement sur leurs parcelles d’exploitation, ce qui peut être déterminant dans une zone encore marquée par des vols réguliers et compensé par un contrôle très strict des autorisations liées au droit des sols par le service d’urbanisme municipal (seuls deux permis de construire ont délivré sur les zones A2 de l’ancien PLU, en 12 ans).
Le changement de zonage, qui a représenté pour de nombreux propriétaires une perte de plus value foncière potentielle, n’a pas particulièrement donné lieu à requêtes lors de l’enquête publique sur le PLUi. Bien sûr, le maire comme la responsable de l’urbanisme ont dû faire face au mécontentement de certains propriétaires et expliquer leurs choix, mais sans rencontrer de difficultés majeures.
Protéger le foncier : la ZAP
Les objectifs d’une ZAP à Gignac-la-Nerthe
Clef de voute du système de protection des terres agricoles, le zonage A peut s’avérer insuffisant du fait de sa révocabilité. A partir du moment où la décision de classer le secteur de la Pousaraque en agricole a été prise, M. Chiappero a donc attiré l’attention de l’équipe municipale sur la nécessité renforcer le niveau de protection. En 2017, le projet ne s’est pas encore matérialisé physiquement sur la Pousaraque ; le vote Rassemblement National est fort sur la commune (44% au 1er tour des élections présidentielles de 2017, 60% au 2ème tour ; 45% aux élections européennes de 201988) et ce parti est clairement opposé au projet agricole. Il est encore simple pour une nouvelle équipe municipale de défaire le projet. Des échanges ont eu lieu avec la Chambre d’agriculture, et la mise en place d’un PAEN a été évoquée. Cet outil présente néanmoins une certaine lourdeur et des coûts importants liés au financement du programme d’action associé. Porté par le département, il est adapté sur des périmètres très larges et dépassant l’intérêt d’une seule commune. A titre d’exemple, les deux premiers PAEN mis en place par le Département du Rhône couvrent 45 communes et 39 000 hectares. C’est donc l’outil ZAP qui a initialement été choisi.
L’équipe municipale a donc souhaité garantir la pérennité du classement des terres en zone A au-delà de son propre mandat, sur un temps long. Dès le lancement du processus de création de ZAP, deux objectifs sont affichés :
Préserver durablement les terres nourricières soumises à une forte pression foncière
Et maintenir une agriculture locale dynamique, porteuse d’une meilleure qualité de vie pour les habitants.
La ZAP est une condition sine qua none du succès du projet : comme mentionné dans la délibération du 8 juin 2018, « la démarche de zone agricole protégée permet de soustrairedurablement la zone agricole au phénomène de pression foncière et donne aux exploitants agricoles une visibilité de long terme propre à la réalisation d’investissements dans les installations et les équipements. L’investissement public qui sera réalisé pour soutenir ce plan d’actions sur les secteurs de ZAP sera pérennisé. »
La création de la ZAP est également justifiée par le Conseil Municipal de Gignac par la prise en compte plus globale « des enjeux de développement économique et d’emploi, d’alimentation en circuit court, de protection de l’environnement et de prise en compte des risques naturels (incendie, inondation) » liés à la protection du foncier agricole. Enfin, la délibération du Conseil du 5 juin 2018 insiste, en argument principal pour la création de la ZAP, sur la responsabilité de la commune, en tant que porteuse d’une des dernières plaines agricoles du territoire Marseille Provence.
Jeux d’acteurs autour de la création de la ZAP : soutiens et oppositions
Au niveau communal, la création de la ZAP n’a rencontré que peu d’opposition politique, le maire gouvernant avec une large alliance. La délibération de lancement de la démarche de création d’une ZAP a ainsi été votée avec 23 votes favorables et 6 abstentions (le Rassemblement National ne votant pas contre pour des raisons électoralistes). A noter que le RassemblementNational s’oppose au projet Garden Lab depuis plusieurs années, sans que cette opposition repose sur une base argumentaire claire : sont mentionnés le coût des acquisitions foncières jugées trop élevées, le « temps de nos employés » dédié à l’entretien du Garden Lab (la partie enfants sans doute), ou des attaques relatives aux partenaires du projet « L’association graine de Oai n’a visiblement pas assez de motivation, d’adhérents ou de temps pour s’occuper de la totalité de la parcelle sur laquelle pousse plus volontiers la prêle que les tomates ». Pour autant, ce parti est officiellement contre « la bétonisation de Gignac » et pour le soutien à l’agriculture, avec une demande à la mairie d’acheter les fruits et légumes « auprès de nos paysans locaux ».Ce qui rend leur opposition au projet peu compréhensible.
La mise en place d’une ZAP expose les décideurs à des pressions, des ambitions, des objectifs contradictoires qui peuvent remettre en cause la pertinence du zonage. Si les maires sont les mieux à même de connaître les besoins des territoires dont ils sont les représentants, ils sont confrontés au propriétaire-électeur et à ses exigences. M. Amiraty évoque quelques difficultés, mais auxquelles il ne s’arrête guère : « J’ai eu des réactions sur les réseaux sociaux, de la part de personnes qui pensaient qu’ils allaient pouvoir valoriser leurs terres, qui espéraient que ce serait transformé en zone à urbaniser. C’est la même chose que quand je dresse des procèsverbaux d’infractions à l’urbanisme : je ne me fais pas des amis. Mais vous savez, il faut savoir dire non quand ce n’est pas conforme à l’intérêt général ; les gens peuvent me juger ; je ne travaille pas pour les prochaines élections, je travaille pour les prochaines générations ».
L’enquête publique devrait avoir lieu en septembre 2019 (les détails du processus de mise en place de la ZAP sont présentés en annexe 2). M. Amiraty est confiant quant au déroulement « correct » de ce processus, tout comme la responsable de l’urbanisme, qui estime que la municipalité a largement communiqué sur le projet agricole comme sur la ZAP : « Tous les gignacais connaissent maintenant très bien le projet agricole de M. le Maire ».
Les acteurs institutionnels soutiennent globalement tous la démarche de ZAP. Si l’initiative revient à la Mairie, le Département des Bouches-du-Rhône et la Métropole AMP ont également contribué à sa mise en œuvre. Le Département a ainsi pris en charge 60% du coût du diagnostic agricole (qui constitue la première partie du rapport de présentation de la ZAP), et la Métropole a mis à disposition ses services techniques (Direction Agriculture) pour un appui technique et des retours d’expérience appréciés par l’équipe municipale. La Chambre d’agriculture a récemment donné un avis positif sur le dossier administratif, tout comme la Commission départementale d’orientation agricole. La Région PACA, qui peut appuyer financièrement les créations de ZAP via des fonds FEADER, n’a pas été sollicitée mais appuie elle-aussi les ZAP. Un soutien de l’Etat est également attendu, via la validation du dossier en préfecture.
L’animation du dispositif
Un comité de pilotage a été constitué pour accompagner l’avancée du dossier de création, incluant le maire et les services techniques de Gignac, l’urbaniste conseil du projet Garden Lab, la Chambre d’agriculture, la Direction Agriculture de la Métropole AMP, la Direction Agriculture et Territoires du Conseil départemental, le service Agriculture et Foncier de la DTTM. Deux réunions de ce comité ont été tenues, en juin 2018 et novembre 2018. Le dossier administratif de création de ZAP étant désormais dans les mains de la préfecture, le rythme des réunions s’est ralenti en 2019.
La Chambre d’agriculture est chargée d’un volet animation sur l’ensemble du projet agricole communal (et non pas exclusivement sur la ZAP), à travers des conventions annuelles. Cette animation inclue l’accompagnement de la commune dans la mise en œuvre des projets (choix techniques retenus, aide juridique pour la gestion des baux ruraux qui relèvent d’un droit très spécifique), la recherche et la sélection de candidats pour installation sur les terres communales et l’accompagnement des exploitants une fois installés. La Chambre est également sollicitée pour les démarches d’équipements collectifs (bâtiments et matériel d’exploitation) et le projet de commercialisation (bases d’un projet collectif).
Mais en dehors de cette animation globale du projet, il est nécessaire de prévoir une animation spécifique liée à la ZAP car mettre en place un périmètre de protection est vertueux en soi mais il faut ensuite pouvoir faire vivre cette ZAP. L’animation a pour objectif de réduire la rétention foncière et de stimuler la remise en cultures des terres en friche. Elle s’adresse donc aux propriétaires de parcelles en friche.