LE MARKETING STRATEGIQUE
On conviendra d’appeler les stratégies d’activité l’ensemble des décisions et des actions touchant aux problèmes de développement des produits (biens et services) offerts par l’entreprise, problèmes touchant aux technologies et aux marchés. L’« activité » s’exprimera donc en termes de technologies produits-marchés (T-P-M). La stratégie d’activité correspond à ce que nous avons appelé la business strategy; celle-ci est parfois distinguée de l’operations strategy, qui touche plus spécifiquement à des produits déterminés, du point de vue de leur mise en oeuvre, la business strategy concernant plutôt un ensemble de produits liés, soit par la technologie, soit par le marché, soit par le couple technologie marché, au sein d’une division. La délimitation d’une stratégie d’activité peut être datée au milieu des années 70. Elle occupe une place croissante dans le management stratégique, dans la mesure où elle se situe au niveau opérationnel, par opposition à la corporate strategy, qui se situe à un niveau d’analyse plus large (buts, culture, légitimité, etc.). L’apparition de la business strategy est indubitablement liée aux progrès réalisés, au début des années 70, dans les techniques de marketing, qui débouchent sur ce que l’on a appelé le « marketing stratégique » : cette discipline évoque les manoeuvres réalisées par une entreprise pour s’adapter aux marchés, en développant ses produits et en utilisant des techniques de gestion commerciale appropriées (le marketing mix). Mais, au-delà de ces manoeuvres, le marketing stratégique propose des modes d’analyse des couples produits-marchés qui connaîtront une grande vogue dans les années 70, car les grilles et autres matrices répondent au souci de remise en cause des choix de produits. Mais, au cours des années 80, le problème de la technologie devient à son tour préoccupant. La dimension de la technologie dans les analyses d’activité va faire l’objet de modèles stratégiques. L’heure est actuellement à la recherche d’une intégration plus poussée de la trilogie technologies produits-marchés.
LES ORIGINES DU MARKETING STRATEGIQUE – CYCLE DE VIE ET DIVERSIFICATION
Au début des années 70, les grandes entreprises américaines et multinationales, qui produisent les biens manufacturés de la Société de Consommation (biens d’équipement des ménages, biens de consommation d’usage) commencent à se heurter à un phénomène de saturation de la demande, voire de sur-équipement des ménages. La notion de cycle de vie, apparue dans les années 60, fait comprendre que les produits arrivent dans la phase de stagnation de la demande, voire de déclin. L’aptitude à supporter durablement la concurrence, c’est-à-dire la compétitivité, implique alors plusieurs choix :
— Le plus simple consiste à renouveler incessamment les produits aux yeux du public, par une politique commerciale agressive. Mais elle s’avère coûteuse, et accroît l’instabilité des parts de marché. — La seconde option consiste à accroître la part de marché occupée. Au-delà, d’une taille critique, l’entreprise pourrait exercer un certain « pouvoir de marché », en contrôlerait le développement.., et pourrait éliminer les concurrents moins dominateurs, y compris en les rachetant. — La troisième option consiste en l’abandon des couples marchés-produits sur lesquels l’entreprise ne peut exercer ce pouvoir de marché, et pour lesquels les perspectives de développement sont insatisfaisantes.
Cette dernière option s’avérait d’autant plus plausible que, durant les années fastes des décennies 50 et 60, les grandes entreprises avaient eu tendance à se développer par la diversification de leurs produits et de leurs marchés, un peu dans toutes les directions. Cette diversification « tous azimuts » se manifestait d’autant plus que la grande entreprise procédait par croissance externe, c’est-à-dire par rachat d’entreprises existantes, lesquelles possédaient déjà un portefeuille d’activités plus ou moins dispersé sur des marchés différents. Au début des années 70, on a donc tendance à privilégier deux schémas ou « modèles », pour appréhender la réalité du marché : le cycle de vie, et les modes de diversification.
LES MATRICES DE POSITIONNEMENTS CONCURRENTIELS
À partir du milieu des années 70, vont être proposées par les grands cabinets de consultants des matrices de portefeuille d’activités qui prétendent remédier à certaines lacunes de la matrice BCG, et améliorer le diagnostic stratégique. L’idée centrale repose sur le fait que la matrice BCG, par son souci de simplicité, a négligé les points suivants :
— L’entreprise dispose de plusieurs types d’avantages concurrentiels, qu’elle recèle à l’intérieur de son organisation. Il convient, très pragmatiquement, d’en faire l’inventaire, en termes de forces et de faiblesses. — De même, l’environnement ne peut se ramener à la seule notion de « marché » concurrentiel. Cet environnement est fait de menaces et d’opportunités, qui le rendent plus ou moins attrayant. Bref, il convient d’en faire l’inventaire.
Ce double inventaire nous ramène aux modèles SWOT de l’approche Harvard (modèle LCAG) évoqué dans le chapitre 2. Il s’agit donc de grilles d’analyse, destinées à servir d’outils d’aide à la formulation du diagnostic stratégique. Les risques de « dérapage normatif » sont donc moindres (quel produit on « doit » abandonner ou développer), mais en conséquence, le pouvoir prédictif est évidemment plus faible! Deux grilles ont particulièrement émergé — sachant que chaque grand cabinet de conseil en management a ses propres grilles, largement confidentielles, qui servent d’outils de formation de leurs propres conseillers, autant que d’instruments d’aide au diagnostic stratégique de leurs clients.
LES STRATEGIES TECHNOLOGIQUES
Dès 1980, le marketing stratégique va, au plan de la recherche en stratégie, être battu en brèche et dépassé par les approches qui s’efforcent d’intégrer d’autres préoccupations que le simple couple produit-marché dans l’analyse d’activité. En fait, on passe de cette conception produit-marché à une trilogie technologie-produit-marché… telle qu’elle avait été proposée par Igor Ansoff, dès 1965.
La raison en est bien simple. Les années 70 avaient été celles d’une remise en cause des marchés de biens de consommation individuels, liée à la saturation des besoins dans les sociétés industrialisées avancées (Amérique et Europe du Nord). Dès le milieu des années 70, se profile une autre menace : la montée de technologies nouvelles de production et d’organisation qui vont modifier considérablement les conditions d’exploitation des activités. Touchant en premier lieu les procédés et processus de production, elles vont rapidement concerner les autres fonctions (commercialisation, logistique, conception, finance, administration, etc.) en particulier par le renouvellement des systèmes d’information dans les organisations, et entre organisations. Au total, on passe d’une approche très « segmentée » à une vision de plus en plus intégrative des problèmes liés à la business strategy (stratégie d’activités).
En 1980, l’Américain Derek Abel publie Defining the Business (Définir l’Activité). Il y définit l’activité à partir de trois dimensions : les fonctions du produit, les groupes de clients et les technologies alternatives :
— Les fonctions du produit correspondent aux services attendus de la part du produit (bien et/ou service) que l’on compte utiliser. En fait, le produit inclut une sorte de « panier de service, que l’utilisateur hiérarchisera : prix, facilité d’emploi, esthétique, prestige, etc. Mais elles correspondent également aux qualités que le producteur attribue au produit, soit en fonction de ce qu’il sait faire, soit en fonction de sa propre perception de la hiérarchie des besoins des utilisateurs, Il est clair qu’il risque d’y avoir des hiatus entre ces deux conceptions des fonctions d’un produit! — Ce hiatus est d’autant plus probable que les attentes des clients sont diverses: d’où la nécessité de faire des regroupements, en fonction de divers critères propres aux études marketing (segmentation des marchés), pour obtenir des hiérarchies de fonctions homogènes par type de clientèle. — Enfin, Abell introduit le problème de la technologie au cœur de l’analyse d’activités, au même plan que l’analyse marketing proprement dite. Ce faisant, il fait chorus avec tout un mouvement de recherche en stratégie, qui, au début des années 80, s’intéresse aux conséquences des ruptures technologiques en cours à cette époque, non seulement sur la gestion de la production, mais sur la stratégie d’activités.