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Étude sur la justice transitionnelle et la réconciliation nationale en Guinée (2013)
Association guinéenne de sciences politiques AGSP Étude réalisée entre novembre 2012 et juin 2013 ✓ Nature de la mission réalisée (contexte, « cahier des charges ») Depuis 1990, des mécanismes susceptibles de combattre les violations massives des droits humains ont été initiés afin de garantir les droits et libertés des hommes en tout temps et en tout lieu. Plus qu’une réponse à une culture d’impunité, la justice transitionnelle et la réconciliation nationale semblent communément représenter une étape vers l’État de droit. La République de Guinée a connu une période de transition entre le 22 décembre 2008 (date du coup d’État après la mort du général Lansana Conté) et le 21 décembre 2010 (date d’investiture du président Alpha Condé après l’élection présidentielle). Le pays a été exposé à des tensions de tous ordres, résultant de nombreuses décennies de violences politiques et de mauvaise gouvernance. C’est dans ce contexte que j’ai dirigé, en tant que président de l’Association guinéenne de sciences politiques, la première étude, depuis l’indépendance du pays, sur la justice transitionnelle et la réconciliation nationale à travers une démarche scientifique. Les douloureux évènements de juin 2006 et de janvier et février 2007, les problèmes entre les forces de défense et de sécurité (militaires et policières) en 2008, l’avènement du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) au pouvoir après le coup d’État de 2008, les agressions régulières des citoyens et les violences du 28 septembre 2009, ont profondément secoué les populations guinéennes. La présidentielle de 2010, et toutes les autres élections qui ont suivi, ont également connu de graves incidents qui ont largement contribué au repli identitaire et communautaire, affectant fortement le tissu social. En plus du lourd passif politique hérité des précédents régimes, la nouvelle ère issue de l’élection présidentielle de 2010 a exacerbé les frustrations et attisé les tensions entre la mouvance et l’opposition. Au cours de ces dernières décennies, de nombreux projets allant dans le sens de la réconciliation nationale ont été portés par la plupart des gouvernements formés après 1984, à la mort du premier président Sékou Touré. En 2008, le Premier ministre Ahmed Tidiane Souaré a créé un ministère chargé de la réconciliation nationale au sein de son gouvernement. Mais, si les politiques ont longtemps nourri leurs discours, et quelquefois leurs actions, avec cette question, le constat a N° de dossier: 2018/29 Université de Bordeaux 351 cours de la Libération 33405 TALENCE Cedex www.u-bordeaux.fr 44 montré que le processus n’était pas amorcé et que le pessimisme d’un aboutissement du processus était palpable. Dans son rapport intitulé « Rétablissement de l’État de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit », l’ancien secrétaire général des Nations unies, Koffi Annan, affirme : « Il ressort clairement de notre expérience de ces dernières années qu’il n’est possible de consolider la paix dans la période qui suit immédiatement la fin du conflit et de la préserver durablement, que si la population est assurée d’obtenir réparation à travers un système légitime de règlement des différends et l’administration équitable de la justice. » Il présente ainsi à juste titre la justice transitionnelle comme un moyen de consolidation de la paix. Pour sortir durablement de la violence, il conviendrait de recourir à des mesures de réparation réellement adaptées : celles de la justice transitionnelle. La réconciliation nationale est un long processus d’acceptation et de déculpabilisation dans l’opinion publique d’une nation, après un ou des épisodes honteux de l’histoire récente du pays. La démarche de réconciliation nationale semble double : elle permet aux victimes de s’exprimer publiquement et invite les auteurs d’exactions à reconnaître leurs actes. Le constat à l’issue des travaux exploratoires a montré que la situation sociopolitique de la Guinée est restée très précaire ; elle pouvait se transformer et basculer à tout moment en conflit. Les problèmes politiques et sociaux qui ont secoué le pays depuis la première république ont entraîné de graves conséquences. En effet, l’ethnostratégie, l’abus d’autorité et les arrestations ont donné naissance à la division, à l’ethnicité, à la haine et à des tensions entre les populations, mais aussi entre les acteurs politiques. Le processus démocratique a cédé alors progressivement la place à une dérive, une division ethnique, qui a attisé les sentiments de frustration. Dans cette période de tension qui avait tendance à perdurer à cause des innombrables problèmes politiques, économiques et sociaux qui ont engendré un sentiment national fragile, la division sociale et ethnique a semblé être une véritable entrave à l’évolution de la construction de la nation guinéenne et au développement du pays. Au cours de ces dernières années, la Guinée a connu plusieurs commissions sur la réconciliation, mais malheureusement, celles-ci n’ont eu aucun effet positif. C’est pourquoi, sous ma direction, l’Association guinéenne de sciences politiques a jugé utile de faire un travail de recherche sociologique sur les causes de l’effritement du tissu social, empêchant une réconciliation nationale effective. Pour répondre à cette problématique, j’ai défini cinq dimensions de recherche et un total de 47 questions, en plus des données sociodémographiques : 1. L’accès et la répartition des richesses nationales. 2. L’exacerbation de la question ethnique et les partis politiques en Guinée. 3. Les stéréotypes, les préjugés et la question du droit des femmes. 4. La violence des régimes politiques. 5. La réconciliation nationale.
La question de départ
le point de départ pour la mobilisation des connaissances dans le cadre de cette mission a été la formulation d’une question de recherche pour clarifier les intentions, les perspectives spontanées, et pour marquer la première étape de la rupture avec les préjugés. Comme tout chercheur, j’ai établi les trois critères généraux pour évaluer la question de recherche : la clarté, la faisabilité et la pertinence. La question de départ RUPTURE CONSTRUCTION CONSTATATION L’observation L’état de l’art La méthodologie de la recherche L’analyse des informations L’exploration Lectures Les conclusions N° de dossier: 2018/29 Université de Bordeaux 351 cours de la Libération 33405 TALENCE Cedex www.u-bordeaux.fr 47 La clarté : une question de recherche doit être précise, c’est-à-dire que son sens ne doit pas prêter à confusion. Donc, c’est une question que chacun comprend, qui est concise (pas trop longue) et univoque (qui ne peut s’interpréter que d’une seule manière). La faisabilité : j’ai évalué la faisabilité de la question de recherche en tenant compte des contraintes qui se posaient, notamment en m’assurant que les connaissances et les ressources (financières, logistiques et humaines) mobilisées permettaient d’apporter des éléments de réponse valables. La pertinence : j’ai déterminé ensuite la pertinence de la question par rapport à la situation sociopolitique de la Guinée après l’élection présidentielle de 2010, avec pour objectif une quête de connaissance et non pas une démonstration. Le but était de comprendre les phénomènes étudiés, liés aux causes de l’effritement du tissu social en Guinée et de l’échec des programmes de réconciliation nationale. Une question de recherche s’énonce et s’explicite en montrant en quoi elle est importante sur le plan heuristique (par exemple, parce qu’il n’existait pas de réponse en l’état sur la question de la justice transitionnelle et de la réconciliation nationale en Guinée). L’exploration : le temps important consacré aux lectures et aux entretiens exploratoires m’a permis de mieux orienter l’objet d’étude et de faire un état de l’art sur la littérature qui existe en Guinée autour de la thématique. Le premier constat, décevant, est celui de l’absence de tout document scientifique élaboré. Ensuite, il n’existe que quelques rapports de la commission du Conseil national de transition (CNT) sur le projet de réconciliation nationale basée sur une mobilisation des forces religieuses du pays pour des séances de prières. Enfin, les témoignages sont fondés sur des récits non vérifiables. Cette situation rendait d’autant plus nécessaire la multiplication des entretiens à titre exploratoire auprès d’universitaires et d’anciens dignitaires des régimes qui se sont succédé en Guinée, pour éclairer la première étape de la recherche. N° de dossier: 2018/29 Université de Bordeaux 351 cours de la Libération 33405 TALENCE Cedex www.u-bordeaux.fr 48 La méthodologie de la recherche Dans le cadre de cette étude, j’ai privilégié une enquête par questionnaire avec des questions à la fois ouvertes et fermées, permettant de collecter les informations nécessaires pour répondre à la problématique. Le choix d’une méthode qualitative est lié à une nécessité de cohérence entre la méthode et la technique, mais aussi à l’adéquation entre la méthode et l’étude. Pour l’élaboration des questions, j’ai respecté toutes les règles en vigueur pour éviter les biais. Élaborer des questions prend du temps et demande un minimum d’exploration de l’objet choisi (lectures, entretiens exploratoires, etc.) en plus des critères de formulation des questions. Ces questions ont servi à collecter des informations dans le but de répondre à la problématique de départ et de vérifier les hypothèses de recherche. Mais, pour pouvoir faire l’objet d’une vérification empirique, une hypothèse doit être falsifiable, c’est-à-dire revêtir un caractère de généralité (ce qui lui offre la possibilité d’être testée indéfiniment). De plus, les questions doivent permettre en même temps de vérifier en permanence les hypothèses. L’observation. Observer quoi ? Observer qui ? Observer comment ? Un questionnaire de type quantitatif a servi de base pour recueillir des informations auprès d’un échantillon de type « quotas » de 2 000 personnes à Conakry, sur un total de 879 611 personnes, en suivant la répartition ci-après pour les cinq communes : 120 personnes à Kaloum, soit 6 % ; 220 personnes à Dixinn,soit 11 % ; 190 personnes à Matam,soit 9 % ; 770 personnes à Matoto,soit 39 % ; et 700 personnes à Ratoma, soit 35 %. Cet échantillon tient compte du poids démographique de chaque commune. En plus de ces 2 000 personnes, j’ai organisé l’établissement de la liste de toutes les associations de victimes recensées en Guinée pour des entretiens semi-directifs. J’ai effectué le plan d’échantillonnage présenté ci-après pour tous les quartiers de Conakry, en tenant compte du poids électoral tel que fourni dans le fichier électoral et en précisant le nombre de personnes à interroger.
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