Forme de l’information
Claire et complète
Le chirurgien-dentiste doit, au cours d’un entretien individuel, donner à son patient une information accessible et intelligible. Cela signifie que le praticien doit utiliser un vocabulaire adapté au niveau de compréhension du patient en évitant un langage trop technique et/ou des détails superflus.
L’information délivrée doit être adaptée au cas du patient de sorte que toutes les données médicales transmises soient comprises par ce dernier, compte tenu de ses connaissances en médecine, de ses facultés intellectuelles, et de ses éventuelles difficultés linguistiques.
Ainsi, le praticien de santé doit jouer un rôle véritablement pédagogique envers son patient (« docteur » vient du verbe latin docere qui signifie enseigner, instruire), en simplifiant, répétant et en échangeant autour d’éventuelles questions du patient. Il doit s’assurer que le patient comprenne clairement ce qui lui est expliqué, et qu’il soit capable de le reformuler avec ses propres mots.
Il est important de préciser que l’information ne peut être considérée comme complète que si, aux éléments précédemment cités, ont également été explicitement définis et précisés :
– le montant des honoraires du praticien, fixés avec tact et mesure, et des remboursements éventuels par les organismes sociaux principaux et accessoires
– les diverses alternatives thérapeutiques envisageables dans son cas, et du rapport bénéfice/risques de chacune d’entre elles ;
– les risques fréquents et graves associés à l’alternative thérapeutique choisie ;
– les conséquences prévisibles en cas de refus de soins.
Appropriée
Cette information médicale doit être appropriée aux circonstances. Pour cela, elle doit tenir compte des différents facteurs suivants :
– Le patient : Des troubles mentaux liés à la maladie ou à l’âge ne doivent pas constituer une raison de se taire. Il est nécessaire, au contraire, de parler et d’expliquer à chaque personne, en exploitant toutes les possibilités de compréhension du patient ;
– La maladie et son pronostic : le chirurgien-dentiste n’informera pas son patient de la même façon d’une lésion carieuse à un stade débutant et d’une lésion cancéreuse à un stade avancé ;
– Le moment de l’évolution d’une pathologie qui se prolonge : le praticien et le patient peuvent se trouver dans la nécessité d’adapter l’information délivrée et les thérapeutiques envisagées initialement. Il est important que le praticien ne prenne pas de position de principes figées, qui pourraient devenir inadaptées et le mettre en porte-à-faux.
Loyale
Le chirurgien-dentiste doit respecter les règles morales, éthiques et déontologiques de la profession en exposant par exemple aussi bien les bénéfices que les risques fréquents et graves d’une thérapeutique pour un patient.
Il se doit de dire la vérité à ses patients, quelles que soient les circonstances, en veillant bien entendu à ne pas avoir une franchise brutale, crue, et sans cœur. On ne ment pas à quelqu’un qui doit être respecté. L’intention de tromper (dol), est une faute en droit général. Elle peut être la cause de nullité d’un contrat et la source d’engagement de la responsabilité du chirurgiendentiste.
Preuve de l’information
Selon l’article 1315 du Code Civil, « celui qui réclame l’exécution d’une obligation, ou qui s’en prétend libéré, est responsable de la charge de la preuve ». Ainsi, en cas de litige, ilincombe au patient la charge de la preuve d’un manquement du chirurgien-dentiste à l’une de ses obligations.
Cependant, la jurisprudence a évolué en 1997 (4) de façon spécifique concernant l’obligation d’information du patient avec un renversement de la charge de la preuve. Elle précise en effet que « celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit apporter la preuve de l’exécution de cette obligation ».
Dans ce cadre, le professionnel de santé, tenu à une obligation particulière d’information vis-àvis de son patient, doit donc apporter lui-même la preuve de l’exécution de cette obligation. Unrenversement de la charge de la preuve a donc été opéré pour ce cas particulier de l’obligation d’information.
Il est à noter que cette preuve porte aussi bien sur l’existence de l’information donnée au patient que sur son contenu, et elle peut être apportée par tout moyen.
Ainsi, la responsabilité du chirurgien-dentiste sera engagée s’il n’a pas donné, ou n’est pas en mesure de prouver qu’il a donné à son patient l’information nécessaire, claire, loyale, complète et appropriée ; et que celui-ci a par voie de conséquence été privé de sa possibilité de faire un choix éclairé.
En outre, cette information doit être continue : le praticien est tenu d’informer son patient en pré-opératoire, mais également en per-opératoire et en post-opératoire : il s’agit de la notion essentielle de continuum de l’information.
Dans le cas contraire, si le patient n’a pas reçu cette information claire, loyale, complète et appropriée, en pré, per et post-opératoire, il pourra être considéré, d’un point de vue expertal, comme victime d’une « perte de chance ». En effet, on considère que l’absence d’information, ou la délivrance d’une information incomplète, l’a privé de la possibilité de refuser la solution thérapeutique ayant causé son préjudice.
La notion de perte de chance
Il est important de distinguer la notion de perte de chance de la notion de préjudice.
La perte de chance est évaluée, et chiffrée, par le « degré de probabilité », présentée sous la forme d’un pourcentage.
Le préjudice du patient, quant à lui, est évalué en fonction de l’état réel de la victime. Seul le préjudice résultant de la perte de chance pourra alors être réparé.
En cas de préjudice, le juge sera chargé d’évaluer si le fait du praticien a entrainé une perte de chance, et, le cas échéant, si cette perte de chance a participé au dommage final du patient.
Le consentement libre et éclairé du patient
L’accord du patient également appelé « consentement », est un prérequis nécessaire à tout acte d’investigation et de soins. « Il doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir » (5).
Le patient a le droit d’accepter ou de refuser ce que le chirurgien-dentiste préconise : cette liberté du patient est une exigence éthique fondamentale, faisant suite à son devoir d’information (6).
Un délai de réflexion ou d’acceptation doit être accordé au patient pour qu’il puisse réfléchir avant de s’engager dans les stratégies de soins proposées. D’un point de vue théorique, la loi définit ce délai comme étant le délai avant l’expiration duquel le destinataire de l’offre ne peut manifester son acceptation ou un délai de rétractation, qui est le délai avant l’expiration duquel son bénéficiaire peut rétracter son consentement (7). À l’issue de ce délai uniquement, le contrat pourra donc être signé par le patient. Toutefois, la durée du délai de réflexion qui doit être laissé au patient n’est pas définie, légalement. Ainsi, logiquement, il est communément admis que le délai de réflexion laissé au patient doit être inversement proportionnel au degré d’urgence de la situation clinique.
Situation de mise en application de cette obligation
Prenons l’exemple d’un patient sans antécédents particuliers, nécessitant le remplacement d’une dent absente en place de 46.
Le praticien propose la réalisation d’un implant unitaire ainsi que d’une prothèse sur implant pour réhabiliter prothétiquement le patient et rétablir une mastication fonctionnelle.
Aucune autre alternative thérapeutique n’est proposée au patient qui accepte, après un délai de réflexion de quelques semaines, l’unique proposition thérapeutique du praticien.
Au cours de la chirurgie implantaire, le chirurgien-dentiste lèse le nerf mandibulaire inferieur droit.
La responsabilité du chirurgien-dentiste est alors engagée : il n’a pas délivré une information claire, loyale, complète et appropriée à son patient. Le consentement donné par celui-ci pour cette solution implantaire n’était donc pas éclairé.
Par conséquent, la « perte de chance » du patient sera retenue dans ce cas : le patient, s’il avait été informé des risques fréquents et graves (dont la lésion du nerf mandibulaire inférieur fait partie) liés à cette solution thérapeutique et de l’existence d’alternatives thérapeutiques de réhabilitation prothétique (bridge, appareil amovible) aurait eu la possibilité de refuser cette proposition implantaire et aurait donc pu se soustraire au risque de lésion nerveuse auquel il a été exposé à son insu et dont il a été victime.
OBLIGATION DE MOYENS
Définition
Le Code de Déontologie dentaire (8) énonce dans l’article R4127-204 que le chirurgien-dentiste ne doit en aucun cas exercer sa profession dans des conditions susceptibles de compromettre laqualité des soins et des actes dispensés ainsi que la sécurité des patients.Il doit également veiller à ne pas effectuer des actes, donner des soins ou formuler des prescriptions dans les domaines qui dépassent sa compétence professionnelle. Pour cela, il doit prendre, et faire prendre par ses adjoints ou assistants, toutes les dispositions nécessaires.
L’arrêt Mercier (9) définit pour la première fois cette notion pilier de la médecine en précisant que les soins prodigués ne doivent pas être quelconques, mais consciencieux, attentifs, et réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science.
Ainsi, même si l’amélioration de l’état de santé du patient ne peut être une certitude, les chirurgiens-dentistes, tout comme l’ensemble des professionnels de santé, sont obligésdéontologiquement, éthiquement, et juridiquement de mettre en œuvre tous les moyens conformes aux recommandations professionnelles dont ils disposent et/ou qui existent afin d’arriver à ce résultat : il s’agit de l’obligation de moyens.
La loi, dite Kouchner, du 4 Mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé en France s’exprime au travers de l’obligation de proposer et de mettre en œuvre toutes « les thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées » (10). Cette obligation de moyens s’applique à tous les professionnels de la santé et à tous les actes médicaux.
Situation de mise en application de cette obligation
Reprenons l’exemple du patient victime d’un défaut d’information, à qui le chirurgien-dentiste traitant a lésé le nerf mandibulaire inférieur en mettant un implant en place de 46. Supposons que ce chirurgien-dentiste n’a suivi aucune formation sur la réalisation de ce type d’acte.
Le praticien a donc réalisé cette chirurgie dans des conditions susceptibles de compromettre la sécurité de son patient. Sa responsabilité sera donc également engagée pour la lésion nerveuse dont il est responsable car il n’a, dans ce cas, pas respecté son obligation de moyens.
OBLIGATION DE RÉSULTATS
Définition
À la différence de l’obligation de moyens où le praticien s’engage à faire tout son possible et à mettre en œuvre toutes les ressources et techniques existantes et recommandées pour atteindre son objectif de traitement, il s’engage, dans le cadre de son obligation de résultats, à obtenir de façon certaine le résultat attendu lors de la signature du contrat de soins. Il s’agit d’une sorte de « prestation médicale » pour laquelle le professionnel de santé s’engage. A ce titre, en tant que fournisseur et ou fabriquant d’une prothèse, le chirurgien-dentiste est donc soumis à une obligation de résultats : sa responsabilité est engagée s’il fournit un appareil avec un défaut (15)
Cas d’une infection nosocomiale faisant suite à l’intervention d’un praticien en cabinet libéral
Les professionnels libéraux, quant à eux, n’ont en revanche pas à apporter la preuve d’une cause étrangère. En effet, dans le cadre de soins réalisés en ambulatoire, les patients s’exposent, dès leur sortie du cabinet, à toutes sortes d’infections probables. L’établissement d’un lien direct et certain entre l’acte médical et la contraction d’une infection est donc impossible. Ainsi, l’absence de faute en termes de normes d’hygiène et d’asepsie au cabinet dentaire suffit à exonérer le praticien de l’engagement de sa responsabilité sur ce point. Prenons le même exemple d’un patient chez qui des avulsions dentaires multiples sont indiquées. Le patient accepte, cette fois-ci, que celles-ci soient réalisées dans un cabinet dit « de ville ». Les soins sont également réalisés en une seule fois mais cette fois-ci sous anesthésie locale. Immédiatement après l’intervention, le patient quitte le cabinet et rejoint son domicile. Dans un délai de moins de 48 heures après l’intervention, une infection O.R.L. se déclare chez ce patient.
Dès lors que le patient a quitté le cabinet dentaire, il a pu être exposé à toutes sortes de germes de l’environnement, potentiellement à l’origine d’une telle contamination. Le chirurgiendentiste ne sera, dans ce cas, considéré comme « responsable d’une infection nosocomiale contractée à son cabinet » que si la victime prouve une faute d’asepsie du praticien et l’existence d’un lien direct et certain entre cette faute et son infection ORL. Il est donc fort peu probable que la responsabilité du praticien puisse être juridiquement engagée dans ce cas.
OBLIGATION DE SÉCURITÉ
Définition
Cette obligation consiste à ne pas exposer le patient à un danger ou un risque médical quelconque. Ainsi, le chirurgien-dentiste se doit d’assurer la sécurité du patient en utilisant de façon adéquate et prudente l’ensemble des moyens nécessaires à la réalisation de la stratégie médicale mise en place.
Cette obligation pesant sur le chirurgien-dentiste s’applique sur les moyens suivants :
Innocuité des médicaments ou produits administrés ou injectés
1. Le patient ne doit pas subir de dommages résultant de l’emploi de produits défectueux en application de l’article 1386-7 du Code Civil, issu de la loi du 19 mai 1998, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (exemple de perfusions sanguines, ou d’utilisation de membranes PRF).
2. Le praticien ne doit pas utiliser un médicament n’ayant pas reçu d’autorisation de mise sur le marché, ou encore un matériel non homologué ou destiné à un autre usage (18). Il en est, de même, si le dommage subi par un patient résulte de la prescription ou de l’administration d’une surdose médicamenteuse (Civ. 1ère, 7 décembre 1999, Bull. n° 337).
A titre d’exemple, au cours d’une chirurgie implantaire, certaines précautions sont à prendre notamment pour éviter d’endommager le tissu osseux et de compromettre l’ostéo-intégration en surchauffant celui-ci.
Pour ce faire, il est indispensable de procéder à une irrigation abondante et continue de l’os avec de l’eau stérile ou une solution saline stérile au cours de son forage.
En cas d’utilisation d’une solution d’irrigation non stérile, par exemple, le chirurgien-dentiste ne respecte pas son obligation de sécurité envers son patient et sa responsabilité sera nécessairement et logiquement engagée à ce niveau en cas de préjudice du patient.
C’est également le cas si le praticien réalise cette chirurgie sans masque ou bien sans gants stériles.
Innocuité des matériels invasifs, dispositifs médicaux ou instruments utilisés
L’arrêt du 9 novembre 1999 (19) et l’arrêt rendu le 7 novembre 2000 (20) ont émis l’idée qu’un praticien était également tenu à une obligation de sécurité en ce qui concerne les matériels et matériaux utilisés pour l’exécution d’un contrat de soins. C’est donc notamment le cas, dans notre discipline, des matériels réutilisables ou aiguilles jetables entre autres, mais également des implants dentaires, matériaux de comblements osseux, etc.
L’ACCIDENT MEDICAL NON FAUTIF
Définition
Comme mentionné précédemment, en cas de dommage, il est à la charge du patient de prouver l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre le manquement du chirurgien-dentiste à une ou plusieurs de ses obligations et le dommage dont il est victime (13).
Dans certains cas particuliers d’accidents médicaux, le praticien n’a commis de manquement à aucune de ses obligations et un dommage est pourtant présent : on parle alors d’une responsabilité sans faute ou d’un accident médical non fautif (AMNF) et la responsabilité du praticien ne sera pas engagée. Cette notion a été évoquée pour la première fois par le conseil d’état dans l’arrêt Bianchi du 9 avril 1993 (25). Cet arrêté fait état de l’engagement de la responsabilité d’un service public hospitalier dans le cas où l’exécution d’un acte médical (nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade), qui présente un risque dont l’existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, est directement responsable de dommages, sans rapport avec l’état initial du patient, comme avec l’évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d’extrême gravité.
Elle a ensuite été confirmée par l’arrêt du conseil d’état du 3 novembre 1997 (26) qui insiste sur l’application de ce régime aussi bien dans le cas d’actes non thérapeutiques que thérapeutiques, avec le cas du décès d’un enfant suite à une anesthésie générale en vue d’une opération de circoncision.
Le législateur intervient par la suite au travers de l’article L.1142-I et II du Code de la Santé Publique (10) qui stipule que les professionnels et établissements de santé, services et organismes dans lesquels sont pratiqués des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables de leurs actes uniquement en cas de faute.
Situation de mise en application de cette obligation
Un chirurgien-dentiste spécialisé en orthopédie dento-faciale et un stomatologue prennent en charge une patiente âgée de 10 ans ne présentant aucun antécédent médical, pour le dégagement chirurgical d’une canine maxillaire incluse, avant la pose d’une plaque de Hawley dans le cadre du traitement d’une dysharmonie dento-maxillaire majeure (27). Une anesthésie locale est réalisée par le stomatologue qui procède ensuite au dégagement de la canine incluse avant que le chirurgien-dentiste spécialisé en orthopédie dento-faciale ne commence à mettre en place le collage d’un bouton d’ancrage sur la couronne de cette dent.
Au cours de cette étape, l’enfant devient subitement pâle, présente des convulsions, une raideur corporelle puis sombre dans le coma avant de décéder.