Les objets théoriques du cadre sémiologique du cours d’action

Cours le choix d’un cadre théorique, tutoriel & guide de travaux pratiques en pdf.

Le cadre sémiologique du cours d’action

Le cadre sémiologique du cours d’action a initialement été développé par Jacques Theureau et Leonardo Pinsky dans le champ de l’ergonomie (Viau-Guay, 2010). Ce cadre tire ses origines des champs disciplinaires qui s’intéressent à l’action humaine tels que l’anthropologie cognitive, la sémiologie et l’analyse conversationnelle et, plus particulièrement, aux pratiques ou activités des individus et à leurs articulations collectives (Theureau, 2004, 2006).
Le cadre sémiologique du cours d’action s’appuie sur un certain nombre de postulats qui sont présentés dans les lignes qui suivent. Ces postulats sont : l’autonomie des systèmes vivants, la conscience préréflexive, la médiation sémiologique, l’autodétermination et l’autoconstruction (Durand, Ria, et Veyrunes, 2010a).

L’autonomie des systèmes vivants

Le premier postulat sur lequel le cadre sémiologique du cours d’action s’appuie est celui de l’autonomie des systèmes vivants qui provient des travaux sur la notion d’autopoïèse de Varela, (1989) et Maturana, Humberto et Varela, Francisco, (1994). Ce postulat envisage l’activité humaine comme étant le couplage d’un système autonome (acteur) et de son environnement (personnes, culture, lieux physiques, etc.). L’acteur est considéré comme un système fermé (organisation close et cohérente), mais ouvert aux interactions avec son environnement de manière à maintenir et reproduire une cohérence dans son organisation (Theureau, 2004, 2006). Les interactions forment donc les éléments d’un couplage asymétrique qui prend la forme d’un dialogue continu où l’acteur réagit à ce qui lui paraît pertinent ou à ce qui le perturbe dans son environnement (Durand et al., 2010a; Viau-Guay, 2009) et modifie, à chaque instant, son organisation interne de manière à conserver la cohérence de cette organisation.
Autrement dit, l’acteur définit ou s’approprie son environnement que (Merleau-Ponty, 1945) nomme son « monde propre » et se transforme par le biais des interactions avec cet environnement de manière à se construire ou adapter son « corps propre » (Durand, Ria, et Veyrunes, 2010b; Haué, 2003; Theureau, 2006). Dans le même sens, puisque les interactions entre l’acteur et son environnement sont continues, la frontière entre ce « monde propre » et ce « corps propre » est en transformation constante (Haué, 2003; Theureau, 2006). Par exemple, un enseignant passe par un processus d’appropriation lorsqu’il utilise un nouveau logiciel. Ce processus d’appropriation intègre cet outil dans son « monde propre » et met en oeuvre la capacité du « corps propre » à s’en servir dans ses interactions avec son environnement. Au fil des utilisations, ce logiciel vient à être intégré dans la construction du « monde propre » de l’enseignant.
De ce postulat fondé sur l’autopoïèse découle également le principe que l’ensemble des acteurs qui se retrouvent dans ce même environnement interagissent avec ce dernier et que par conséquent, ils interagissent entre eux. Ainsi, pour Theureau (2006), le couplage entre les acteurs et leurs environnements oblige à considérer l’activité comme n’étant ni uniquement individuelle, ni uniquement collective, mais comme étant à la fois individuelle-collective et collective-individuelle. Pour Theureau (2006), l’ensemble des interactions entre les acteurs et leurs environnements forme la culture dans laquelle vit chacun des acteurs.
Ainsi, par la présence du couplage entre un acteur et son environnement, l’action humaine doit être vue comme un dialogue entre eux (Theureau, 2004, 2006). Dans ce sens, notre objet d’étude, c’est-à-dire les pratiques d’enseignement qui comprennent les approches ou actions concrètes (approches d’enseignement) et les orientations (conceptions) qui les guident, doit être analysé en fonction des interactions entre les acteurs (nouveaux professeurs) et leur environnement professionnel (individus, culture, outils technologiques, lieux physiques, etc.).

L’existence d’une conscience préréflexive

Le deuxième postulat sur lequel est basé le cadre sémiologique du cours d’action découle du postulat précédent. En effet, l’importance qui est accordée aux interactions entre un acteur et son environnement amène la considération de l’expérience et du vécu de l’acteur qui se construisent sur ce couplage. Selon Jacques Theureau : « l’activité humaine à tout instant est accompagnée chez l’acteur considéré de conscience préréflexive ou expérience » (Theureau, 2006, p.42). Ainsi, selon ce chercheur, dans l’activité humaine, il y aurait une conscience préréflexive ou une expérience, dont une partie serait consciente, mais également une partie qui serait inconsciente ou “préréflexive”. Cette conscience préréfléchie ne serait pas un ajout à l’activité, mais une constituante à part entière de cette dernière (Viau-Guay, 2010). De plus, selon Theureau (2006), sous un certain nombre de conditions favorables, il est possible d’obtenir la description et l’explicitation de cette partie implicite de l’activité. Puisque cette partie est montrable, racontable et commentable par l’acteur, elle peut être étudiée empiriquement.
Cette partie inconsciente de l’activité est importante, car elle change les éléments à considérer dans un projet de recherche qui s’intéresse à l’activité humaine ou aux pratiques d’enseignement. Il ne suffit plus d’observer un acteur dans son environnement et de fournir une analyse d’un point de vue extrinsèque (Theureau, 2004, 2006). Il faut accéder au point de vue intrinsèque où l’acteur décrit sa propre activité (Haué, 2003; Theureau, 2006; Viau-Guay, 2009), point de vue qui peut comporter des jugements perceptifs, proprioceptifs et mnémoniques d’actions, de communications, de sentiments et d’interprétations (Theureau, 2004). Sur le plan méthodologique, pour accéder à cette partie inconsciente de l’activité, une implication du chercheur sera nécessaire dans le couplage de l’acteur et de son environnement afin que ce dernier puisse donner accès à sa conscience préréfléchie et à son expérience (Haué, 2003).
Ce postulat d’une conscience préréfléchie implique que nous pourrons, pour ce doctorat, documenter la partie préréfléchie des pratiques d’enseignement et que l’observation unique des nouveaux professeurs n’est pas suffisante pour documenter ces pratiques d’enseignement.

La médiation sémiologique

Le cadre sémiologique du cours d’action repose sur un troisième postulat issu des travaux en sémiologie réalisés par le philosophe C.S. Peirce (1931-1935). Selon ce chercheur, la pensée peut être décrite comme un enchaînement de composantes du signe en relation. Pour lui, la pensée humaine se déroule non pas au sein de structures mentales par lesquelles surviennent des opérations de traitement et de production de symboles, comme le décrit l’approche cognitiviste de la cognition (Haué, 2003). Selon Peirce, la pensée ou l’activité humaine se décrit dans un contexte spécifique (objet), en fonction de perceptions (representamen) et de lien avec les actions passées (interprétant) (Viau-Guay, 2010), tous des éléments qui correspondent à des composantes du signe.
Ainsi, pour ce doctorat, le domaine sémiologique proposé par (Theureau, 2004, 2006) dans le cadre sémiologique du cours d’action, fournit un cadre d’analyse des pratiques d’enseignement qui respecte la complexité des liens entre les éléments de notre objet d’étude (conceptions éducatives, approches éducatives, perceptions et influences environnementales, etc.) et l’évolution des interactions entre l’acteur et son environnement (Haué, 2003). Ce cadre théorique nous fournit également un langage pour arriver à décrire cette activité (Theureau, 2004).

L’autodétermination de l’activité

Le quatrième postulat sur lequel le cadre sémiologique du cours d’action repose est celui voulant que l’activité soit le résultat d’un processus d’autodétermination. Selon Durand et al. (2010b), deux idées sont sous-jacentes à ce postulat. La première est que l’activité ne soit pas une prescription issue de processus cognitifs ou de déterminants contextuels comme la culture, les autres acteurs sociaux, etc. La seconde est que l’activité n’est que le passage d’une indétermination vers une détermination. En partant du principe que le dialogue (interactions) entre l’acteur et son environnement est continu, à chaque instant, l’action procède:
a) à partir d’une indétermination où de multiples possibilités sont offertes (tout ce qui pourrait advenir à l’instant t en fonction des contraintes de la culture, de l’histoire, de l’environnement, etc.);
b) à une actualisation de certaines de ces possibilités (les autres demeurant ouvertes) sous forme d’accomplissements situés ou actualisés; et
c) à une généralisation s’opérant par un processus de construction de types (qui vont contribuer à constituer les possibilités à l’instant t + 1) (Durand et al., 2010b; p.23).
Le passage de l’indétermination à la création et à l’accomplissement à chaque instant permet de construire trois registres pour l’analyse de l’expérience par l’acteur : le potentiel, l’actuel et le virtuel (Durand et al., 2010a). Autrement dit, ce processus d’autodétermination de l’activité permet à l’acteur de raconter l’histoire passée, de décrire le moment présent et d’entrevoir le futur (Theureau, 2006). Ce postulat est important pour l’analyse de notre objet d’étude. Il permet d’envisager l’analyse des pratiques d’enseignement en temps réel, mais également à partir des descriptions de l’action et des réflexions sur l’action qui se sont déroulées dans le passé.

 L’autoconstruction de l’activité

Le cinquième et dernier postulat sur lequel le cadre sémiologique du cours d’action repose est celui du processus d’autoconstruction permanent de l’activité. Comme l’indiquent Durand et al. (2010a), l’acteur apprend de façon continue par son interaction avec son environnement. À chaque instant, le flux continu d’interactions amène l’acteur à construire des types pour l’action (Theureau, 2004). On peut comparer ces types à des connaissances. Ces types mis en lien avec les activités passées et futures peuvent alors renforcer ou affaiblir les types déjà existants de manière à créer de nouveaux types (Durand et al., 2010a).
Ce cinquième postulat est intéressant par rapport à notre objet d’étude puisqu’il permet d’entrevoir que le cadre sémiologique du cours d’action permet de comprendre les processus d’apprentissage des acteurs qui se déroulent lors de la réalisation des activités et donc, dans le cas qui nous concerne, les pratiques d’enseignement. L’identification des processus de modification des types (connaissances) pourrait aider à comprendre par quel(s) cheminement(s) les connaissances des nouveaux professeurs se modifient au fur et à mesure de la mise en œuvre de leurs pratiques d’enseignement. De plus, il serait possible d’identifier des pistes utiles pour d’éventuelles activités de développement professionnel pour les nouveaux professeurs.
En résumé, selon Theureau (2004), ces cinq postulats qui sous-tendent le cadre sémiologique du cours d’action, nous amènent à considérer l’action, l’activité ou dans le cas qui nous intéresse, les pratiques d’enseignement comme :
« … une activité cognitive (donnant lieu à construction et manifestation de savoirs), incarnée (hors de toute division entre corps et « esprit » ou « psyché »), située (y compris socialement) (co-construite par le corps et l’environnement matériel et social de chaque acteur), indissolublement individuelle et collective (ni individuelle, ni collective, mais individuelle-collective et collective-individuelle), cultivée (dépendant d’une culture encore plus partagée entre plusieurs acteurs que la situation), vécue (en particulier donnant lieu à une conscience pré-réflexive à tout instant). » (Theureau, 2004, p. 255).

Les objets théoriques du cadre sémiologique du cours d’action

Au cours de son développement, le cadre sémiologique du cours d’action, qui selon Theureau (2006) est un programme de recherche sur l’action humaine, a permis la mise en place et l’expérimentation de trois objets théoriques pour analyser l’activité humaine. Ces objets théoriques sont : le cours d’action, le cours d’expérience et le cours de vie relatif à une pratique.

Le cours d’action

Le cours d’action est le premier objet théorique à avoir été développé. Il est particulièrement adapté aux problématiques de recherche qui gravitent autour de la conception technique dans la mesure où il permet d’observer les relations entre l’activité humaine et les caractéristiques de l’environnement où cette activité a lieu Theureau (2004, 2006). Le cours d’action se définit ainsi :
L’activité d’un acteur dans un état déterminé, engagé activement dans un environnement physique et social, déterminé et appartenant à une culture déterminée, qui est significative pour l’acteur ou encore, montrable, racontable et commentable par lui à tout instant de son déroulement à un observateur-interlocuteur moyennant des conditions favorables (Theureau, 2006; p. 46).
Comme l’indique Viau-Guay (2010), cette définition comporte deux volets. Le premier indique que la description de l’activité (cours d’action) se compose d’une description extrinsèque (environnement, état de l’acteur, etc.) et d’une description intrinsèque portant sur ce qui est significatif pour l’acteur. Le second volet indique que seule la partie « montrable, racontable et commentable » de l’activité est à expliciter auprès d’un observateur-interlocuteur. Mentionnons que : « Cette définition exclut volontairement les dimensions inconscientes de l’activité.» (Viau-Guay, 2010; p. 126).
Malgré le fait que le cours d’action ne permet de décrire l’activité qu’à un niveau de surface, puisqu’il ne permet pas de rendre compte de la partie inconsciente de l’activité (Theureau, 2006), cet objet théorique permet de couvrir la globalité de l’activité et est suffisamment fécond pour contribuer à l’amélioration de situations, notamment celles liées au monde du travail ou de la formation (Viau-Guay, 2009, 2010). Par exemple, le cours d’action a été utilisé dans des situations de travail pour analyser l’activité des contrôleurs du trafic ferroviaire sur de grands territoires (Dufresne, 2001). Il a aussi été utilisé pour analyser l’activité de la vie quotidienne en lien avec l’utilisation de produits et de services tels que la conduite automobile (Villame, 2004) et des dispositifs de contrôle d’énergie domestique (Haué, 2003). Finalement, il a été utilisé pour analyser l’activité d’enseignement de stagiaires en classe afin de concevoir et modifier leurs dispositifs de formation (Ria et al., 2006).

 Le cours d’expérience

Le cours d’expérience est le deuxième objet théorique qui a été développé au sein du cadre sémiologue de l’action. Le cours d’expérience constitue une précision du cours d’action et a été développé pour décrire plus finement l’expérience vécue par les acteurs, notamment par rapport aux processus d’apprentissage et aux émotions ressenties (Viau-Guay, 2010). Selon Theureau (2006), le cours d’expérience représente la construction du « sens pur » de l’acteur au fur et à mesure du déroulement de son activité.

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