Les numéraux
Les numéraux cardinaux
En minyanka, la numération est quinaire pour les nombres inférieurs à 10, décimale pour les nombres inférieurs à 20, et vigésimale pour les nombres supérieurs à 20. Voici les nombres de 1 à 20 : nì ŋgi ̀ ̰́ un ʃɔ ̀ɔ ou ʃɔ ̀ɔ nì1 deux ta ̀a rì trois ʃìʃɛ̀ ɛrɛ̀ ~ ʃɛ̀ ɛrɛ̀ quatre káŋgúró2 cinq gáanì six gáráʃɔ ̀ɔ ~ gáráʃɔ ̀ɔ nì sept gáráta ̀a rì huit gáráʃɛ ̀ ɛrɛ̀ neuf kɛ̰́ ̀ dix kɛ̰́ nì3 ni ̀ŋgi ̀ (10+1) onze kɛ̰́ nì ʃɔ ̀ɔ (10+2) douze kɛ̰́ nì ta ̀a rì (10+3) treize kɛ̰́ nì ʃɛ̀ ɛrɛ̀ (10+4) quatorze kɛ̰́ nà ŋgúró (10+5) quinze kɛ̰́ nì gǎanì (10+6) seize kɛ̰́ nì gàráʃɔ ̀ɔ (10+7) dix-sept kɛ̰́ nì gàráta ̀a rì (10+8) dix-huit kɛ̰́ nì gàráʃɛ̀ ɛrɛ̀ (10+9) dix-neuf gɛ̰́ɲɛ̰́ ɛkɛ̰́ ~ gɛ̰́ɲɛ̰́kɛ̰́ vingt Comme nous pouvons le constater, les numéraux de 1 à 4 sont monomorphématiques. En revanche, les mots désignant les nombres se trouvant entre 7 et 9 sont formés à partir de gárá auquel s’adjoignent les mots désignant 2, 3 et 4. A partir de ce constat, on peut estimer qu’historiquement gáanì ‘six’ est constitué de gárá dont le r intervocalique s’est amuï et de nì ŋgi ̀ ‘un’ dont la deuxième syllabe s’est estompée. L’analyse des mots désignant 7, 8 et 9 permet de postuler que gárá a dû signifier ‘cinq’ dans un état reculé de la langue, même si le mot gbaara désigne ‘six’ actuellement dans certains parlers minyanka comme celui de Yorosso cf. Dombrowsky-Hahn (2015 : 241). Dans le mot káŋgúró ‘cinq’, ká- semble être un ancien préfixe dont l’origine serait le nom kɛ ̰́ŋì ‘la main’, car on le rencontre dans les noms appartenant au champ lexical de la main ; ex : kándálì ‘la paume’, kámbɛ̰́ lì ‘le doigt’, kámbɛ̰́ʒíŋì ‘l’ongle’, kálòkì ‘l’aisselle’, kà-dì-kì (main-manger-DEF.CLk) ‘la main droite’. Quant à ŋgúró, il semble provenir de la forme nominalisée de kùrû ‘plier’ qui est ŋgùrù. Ainsi, le sens étymologique de káŋgúró serait ‘poing’, littéralement ‘main pliée, fermée’. De nos jours, à partir du nombre 30, les locuteurs utilisent spontanément les mots empruntés au bambara bien que leurs équivalents existent en minyanka. Les deux formes sont présentées ci-dessous. Formes minyanka Formes empruntées au bambara Signification gɛ̰́ɲɛ̰́kɛ̰́ nì kɛ̰́ (20+10) bí sàbà (dizaine trois) trente gɛ̰́ɲɛ̰́kɛ̰́ nì kɛ̰́ nì ni ̀ŋgi ̀ (20+10+1) bí sàbà ní ni ̀ŋgi ̀ (10×3+1) trente-un gɛ̰́ -ʃɔ ̀ɔ (20×2) bí ! náaní (dizaine quatre) quarante gɛ̰́ ʃɔ ̀ɔ ní kɛ̰́ (20×2+10) bí ! dúurú (dizaine cinq) cinquante gɛ̰́ -tà a rì (20×3) bí !wɔ̰́ɔrɔ̰́ (dizaine six) soixante gɛ̰́ ta ̀a rì ní kɛ̰́ (20×3+10) bí !wólóvìlà (du bam. bí !wólónwùlà) soixante-dix gɛ̰́ -ʃɛ̀ ɛrɛ̀ (20×4) bí ! sékí, (du bam. bí ! séegín) quatre-vingts gɛ̰́ ʃɛ̀ ɛrɛ̀ ní kɛ̰́ (20×4+10) bí kɔ̀nɔ̀ ndɔ ̰́ (du bam. bí kɔ̀nɔ̀ntɔ̰́n) quatre-vingt-dix gɛ̰́ -kàŋgúró (20×5) kɛ̀mɛ̀ cent A partir de cent, on n’utilise quasiment que des termes bambara ou hybrides (bambaraminyanka) kɛ̀mɛ̀ cent kɛ̀mɛ̰́ -nɛ̀ ʃɔ̰́ ɔ (cent-CLp deux) ou kɛ̀mɛ̰́ fìlà (bambara) deux cents kɛ̀mɛ̰́ -nɛ̀ ta ̰́a rí (cent-CLp trois) ou kɛ̀mɛ̰́ sàbà (bambara) trois cents kɛ̀mɛ̰́ -nɛ̀ ʃɛ̰́ ɛrɛ̰́ (cent-CLp quatre) ou kɛ̀mɛ̀ nàaní (bambara) quatre cents etc. A partir de mille, on utilise wáʕá ; du bambara wáa ‘mille’. Le ‘million’ se dit mílíyɔ ̂, et le ‘milliard’ mílíyáarû wáʕá kélé (mille un) mille wáʕá-là ʃɔ̰́ ɔ (mille-CLp deux) ou bien wáʕá fìlà deux mille wáʕá-là tá̰ a rí (mille-CLp trois) ou bien wáʕá sàbà trois mille mílíyɔ ̰́ nì ŋgi ̀ (million un) ou bien mílíyɔ ̰́ ŋgélé un million mílíyɔ ̰́ -nɔ̀ ʃɔ ̰́ɔ (million-CLp deux) ou bien mílíyɔ ̰́ fìlà deux millions mílíyáarí nì ŋgi ̀ (milliard un) ou bien mílíyáarí kélé un milliard mílíyárá-là ʃɔ ̰́ɔ (milliard-CLp deux) ou bien mílíyárí fìlà deux milliards Pour le comptage d’argent, on utilise wárí-bí-lé (argent-graine-INDF.CLl) pour ‘5 FCFA’4 , (litt) ‘une graine d’argent’ et pour les autres montants, on postpose un numéral cardinal au nom wárí-p-yáa (argent-graine-CLt), (litt) ‘graines d’argent’. Ainsi, nous avons : wárí-bí-lé (argent-graine-INDF.CLl) 5 FCFA wárí-py-áa ʃɔ ̰́ɔ (argent-graine-CLt deux) 10 FCFA wárí-py-áa ta ̰́a rí (argent-graine-CLt trois) 15 FCFA wárí-py-áa ʃɛ̰́ ɛrɛ̰́ (argent-graine-CLt quatre) 20 FCFA wárí-py-áa káŋgúró (argent-graine-CLt cinq) 25 FCFA wárí-py-áa gáanì (argent-graine-CLt six) 30 FCFA wárí-py-áa gáráʃɔ ̀ɔ (argent-graine-CLt sept) 35 FCFA wárí-py-áa gáráta ̀a rì (argent-graine-CLt huit) 40 FCFA wárí-py-áa gáráʃɛ̀ ɛrɛ̀ (argent-graine-CLt neuf) 45 FCFA wárí-py-áa kɛ̰́ (argent-graine-CLt dix) 50 FCFA A partir de gɛ̰́ɲɛ̰́kɛ̰́ nì kɛ̰́ ou bí sàbà ‘trente’, on utilise rarement le nom wárípyáa. En effet, on utilisera bí sàbà pour ‘cent-cinquante francs’ si l’on parle d’argent, et pour ‘trente’ si l’on parle d’autres choses.
Emplois syntaxiques des numéraux cardinaux
Les numéraux cardinaux se postposent au nom qu’ils déterminent et ne s’accordent pas en classe. Les mots ni ̀ŋgi ̀ ́ ‘un’, ʃɔ ̀ɔ ‘deux’, ta ̀a rì ‘trois’ et ʃìʃɛ̀ ɛrɛ̀ ‘quatre’ qui sont à ton bas, prennent un schème tonal haut lorsqu’ils sont précédés d’un ton haut ou d’un ton bas suivi de ton haut flottant (4-1), (4-2). (4-1) Cí-yé ʃíʃɛ̰́ ɛrɛ̰́ wá mè arbre-INDF.CLy quatre être.PRS.AFF 1SG.EMPH mó kɛ̰́ rɛ̰́ -ʕɛ̰́yì nì. POSS champ-DEF.CLk dans ‘Il y a quatre arbres dans mon champ.’ (4-2) Wú yá fa ̀ʕa ̀ndè-ɲɛ ̀ ʃɔ ̰́ɔ ní kùlùʃì-yè 3SG.CLw PFV.AFF chemise-INDF.CLy deux et pantalon-INDF.CLy ta ̰́a rí ʃɔ̰́ ca ̰́-ʕa ̰́ɲí ! ní. trois acheter marché-DEF.CLk dans ‘Il a acheté deux chemises et trois pantalons au marché.’
Les numéraux cardinaux et l’expression de la définitude
En minyanka, il est possible d’utiliser un groupe nominal du type N + numéral à la forme indéfinie ou à la forme définie. On utilise la forme indéfinie du nom suivie d’un numéral pour exprimer la valeur d’indéfini et la forme définie du nom suivie du numéral qui s’accorde toujours en classe W définie pour exprimer la valeur du défini (4-3), (4-4). L’exemple (4-4) comporte deux phrases ; dans la première, le nom cíyé ‘arbres’ est à la forme indéfinie, dans la deuxième, le suffixe du défini se substitue à celui de l’indéfini. (4-3a) Fa ̀ʕa ̀ndè-ɲɛ ̀ kɛ̰́ wá wù má. chemise-INDF.CLy dix être.PRS.AFF 3SG.CLw BEN ‘Il a dix chemises.’ (4-3b) Wú fà ʕa ̀ndè-ɲì kɛ̰́ -ɔ̀ bɛ̰̌ɛ wá cɔ ̀ . 3SG.CLw chemise-DEF.CLy dix-DEF.CLw tous PRF.AFF déchirer ‘Toutes ses dix chemises sont déchirées.’ (4-4) Káfɛ̰́ lɛ̰́ -ʕɛ̰́yì wà cì-yè ta ̀a rí kɔ̰́ ca ̀ . vent-DEF.CLk PRF.AFF arbre-INDF.CLy. trois arracher faire.tomber Yí cí-yí ta ̰́a rû 3PL.CLy arbre-DEF.CLy trois.DEF.CLw bɛ̰̌ɛ wá ló-cí-yì. tous être.PRS.AFF karité-arbre-DEF.CLy ‘Le vent a arraché trois arbres. Tous les trois sont du karité.’ Pour l’emploi de ni ̀ŋgi ̀ ́ ‘un’ à la forme définie, cf. §4.1.2.3.
L’emploi de nḭ̀ŋgḭ̀ ̰́‘un’ avec la valeur de ‘pareil’
Lorsque ni ̀ŋgi ̀ ́ ‘un’ est utilisé dans un énoncé d’identification du type ‘c’est X’, il figure en position de sujet et l’énoncé se traduit par ‘c’est pareil’ (4-5). (4-5a) Nì ŋgi ̀ y-í. un CLy-ID ‘C’est pareil.’ (en parlant au moins de deux choses, d’où l’accord en classe Y) (4-5b) Ni ̀ŋgi ̀ mbá mɛ̀ . un ID.NEG NEG ‘Ce n’est pas pareil.’ (en parlant au moins de deux choses) Cette construction de ni ̀ŋgi ̀ ̰́‘un’ s’emploie exclusivement pour les non-humains. Lorsque nì ŋgi ̀ ̰́‘un’ est postposé à la copule wá ‘être.PRS’ ou bé ‘être.PST’, l’énoncé se traduit par ‘X et Y sont les mêmes’. Cette construction s’emploie pour les humains et les non-humains ; le sujet de la copule doit être nécessairement au pluriel (4-6), (4-7). (4-6) Tùpì-lélè bɛ̰́ ɛ wá nì ŋgi ̀ . personne-CLp tous être.PRS.AFF un ‘Toutes les personnes sont pareilles.’ (4-7) Ma ̀nù nì ʃú-rì wǎa nì ŋgi ̀ mɛ ̰́ . riz.DEF.CLw et tô-DEF.CLt être.PRS.NEG un NEG ‘Le riz et le tô ne sont pas pareils.’
L’emploi adjectival de nḭ̀ŋgḭ̀ ́
‘un’ Il existe des constructions où ni ̀ŋgi ̀ ̰́ ‘un’ fonctionne comme un adjectif et s’accorde en classe avec le nom qui le précède. Ces constructions se traduisent par ‘le même N’ ou ‘l’autre N’ selon le contexte. (4-8) Má yá jò-mɔ̀ ɲé-mì jó 2SG PFV.AFF parole-INDF.CLy DEM.CLy-REL dire mè má, wú yá hɔ̀ɔrì 1SG.EMPH à 3SG.CLw PFV.AFF retourner y-éré nì ŋgì -ɲì nà. CLy-EMPH un-DEF.CLy sur ‘Il a répété ce que tu m’avais dit.’ (litt) ‘Les paroles que tu m’as dites, il a répété la même chose.’ (4-9) Kǔ-ukò ʃɔ ̰́ɔ bé t-ɛ̂ : village-CLt deux être.PST.AFF CLt-ID.EMPH nì ŋgi ̀ -nî mɛ̀ -kɛ̰́ bé Yáŋga ̀ʕa ̀ɲì, un-DEF.CLl nom-INDF.CLk être.PST.AFF Yangasso ni ̀ŋgi ̀ -nî mɛ̀ -kɛ̰́ bé Sófɔ̰́ lɔ̰́kà ʕa ̀ɲì. un-DEF.CLl nom-INDF.CLk être.PST.AFF Sofolosso ‘C’étaient deux villages : l’un s’appellait Yangasso, l’autre Sofolosso.’ Dans l’énoncé (4-9), le modifieur nì ŋgi ̀ -nî s’accorde avec le nom kù-lì (village-DEF.CLl) ‘le village’, lequel est syntaxiquement non exprimé, mais peut être restitué devant le modifieur.
Les numéraux cardinaux en fonction de prédicat second
Creissels & Sambou (2013 : 287) définissent le prédicat second (ou extension prédicative du nom) comme se “rapportant au sujet ou à l’objet de la proposition et succède immédiatement, ou bien au constituant sujet ou objet auquel il se rapporte, ou bien à un pronom de rappel coréférent de ce constituant”. En minyanka, tous les numéraux cardinaux peuvent être utilisés en fonction de prédicat second, auquel cas ils sont précédés d’un pronom de rappel, sauf ni ̀ŋgi ̀ ̰́ ‘un’, lequel ne peut jamais être utilisé dans cette fonction ; c’est le déterminant yɛ̰́ ‘seul’ qui le remplace dans cette position (4-10b). (4-10a) Nu ̀ nì ŋgi ̀ wá pà. vache.CLw un PRF.AFF venir ‘Une (seule) vache est venue.’ (4-10b) Nu ̀ wà pà, wú yɛ̀ . vache.CLw PRF.AFF venir 3SG.CLw seul ‘La vache est venue seule.’ (4-10c) *Nu ̀ wà pà, wú nì ŋgi ̀ . vache.CLw PRF.AFF venir 3SG.CLw un Lorsqu’un numéral cardinal est utilisé en fonction de prédicat second, il porte le suffixe du défini de la classe W et succède immédiatement à un pronom de rappel si et seulement si le nom auquel il se rapporte a pour référent un non-humain (4-11), (4-12). Mais lorsque le nomtête a pour référent un humain, le pronom de rappel est obligatoirement séparé du numéral au défini par le nom ʃɛ ̀ -ɛ (personne-CLp) ‘personnes’ (4-13). (4-11) Nì-ɲì wà bànà, yí ta ̀a rû. vache-DEF.CLy PRF.AFF blesser 3PL.CLy trois.DEF.CLw ‘Les trois vaches sont blessées.’ (litt) ‘Les vaches sont blessées, elles trois.’ (4-12) Cí-yí wá tò, yí ʃɛ̀ ɛrɔ̂. arbre-DEF.CLy PRF.AFF tomber 3PL.CLy quatre.DEF.CLw ‘Les quatre arbres sont tombés.’ (4-13a) Ɲɔ̰́ ʕɔ ̰́ -yé wá pà, pí ʃɛ̀ -ɛ ta ̰́a rû. papa-ASS PRF.AFF venir 3PL.CLp personne-CLp trois.DEF.CLw ‘Papa et ses compagnons sont venus ; ils sont trois au total.’ (litt) ‘Papa et ses compagnons sont venus, eux trois personnes.’ (4-13b) *Ɲɔ̰́ ʕɔ ̰́ -yé wá pà, pí ta ̀a rû. papa-ASS PRF.AFF venir 3PL.CLp trois.DEF.CLw