Les remblaiements par les déchets
Il peut paraître exagéré d’affirmer que les remblaiements des points bas par les déchets est une solution courante à Touba (environ 10%). Tout cela pour dire que le phénomène du remblaiement par les ordures ménagères est une pratique ancienne et répandue dans la cité (Cf. graphique 3).
En effet, en l’absence de réseau de drainage des eaux pluviales, beaucoup de quartiers se retrouvent dans les eaux durant plusieurs semaines. Il se développe ainsi chez les populations une pratique très courante consistant à utiliser les ordures ménagères (OM) comme matériaux de remblaiement des zones inondables (Diawara, 2009). Ce sont les services des charretiers privés qui sont sollicités gracieusement par les populations pour niveler les points bas.
Les incinérations à l’air libre
Les incinérations à l’air libre sont une autre forme de traitement des DSM à Touba (Cf. graphique 3). L’enquête auprès des ménages a révélé que c’est une pratique très courante dans certains quartiers (environ 18%) notamment ceux qui sont au voisinage du chemin de fer. Or, le brûlage des DSM notamment des plastiques peut contribuer à la dégradation de la qualité de l’air en libérant des gaz, de la poussière et des particules toxiques. Les dioxines sont une vaste famille d’hydrocarbures chlorés dont les molécules sont parmi les plus dangereuses créées par l’homme. Elles sont classées par l’OMS dans le groupe des « 12 salopards » : une douzaine de produits chimiques dangereux qui sont des polluants organiques persistants (CNIID, 2012).
C’est d’autant plus préoccupant que les déchets plastiques peuvent représenter entre 15 à 20% des DSM (Müller, Böni, Wittmann, 2012). De même, les chiffonniers procèdent au brûlage des câbles, des fils et autres appareillages électriques afin de récupérer le cuivre, matériau fortement prisé par les ferrailleurs.
Les enfouissements non contrôlés
De nombreuses observations (Kane, 2004 ; Kare, 2004 ; Kane et Sow, 2005) ont confirmé que les enfouissements non contrôlés (environ 24%) sont une autre forme de traitement des DSM (Cf. graphique 3). Le recours de cette pratique est surtout noté pendant la fête de tabaski et le grand Magal, moments pendant lesquels sont constatés des pics de consommation.
Dans les foyers comme sur les terrains vagues, ce sont de grands trous qui sont creusés pour l’enfouissement d’un maximum de déchets surtout les matières impropres à la consommation provenant de l’abattage des animaux domestiques.
A ce sujet, karé (2004) souligne « qu’une importante quantité d’ordures fait l’objet d’enfouissement par des initiatives individuelles à l’occasion du Magal ».
PROBLEMATIQUE DES DECHARGES DE TOUBA
Selon la définition, une décharge est une installation couvrant une grande superficie où sont enfouis différents types de déchets en mélange, dans des conditions techniques plus ou moins réglementées. En France par exemple, il existe trois types de décharges vers lesquelles sont orientés les déchets en fonction de leur dangerosité. Les décharges de classe 2 accueillent les déchets solides ménagers et assimilés (CNIID, 2012).
Cependant dans les pays en développement (PED), les décharges existantes sont loin de remplir ces conditions techniques évoquées. Elles sont beaucoup plus des décharges brutes voire dépotoirs sauvages que des décharges réglementées (Cissé c, 2012 ; Diawara, 2009 ; Thonart et Diabaté, 2005 ; Zmirou et al. 2003). C’est pourquoi Ngnikam parle de l’existence de deux types de décharges en Afrique : il s’agit de la décharge contrôlée ou tolérée, lieu où il est admis des déchets solides ménagers (DSM) et de la décharge sauvage (2001). Aujourd’hui, ces décharges sont rebaptisées « centre d’enfouissement technique » (CET) ou « centre de stockage de déchets » (CSD) certainement avec le souci « de faire disparaître dans l’inconscient collectif toute image négative » (CNIID, 2012).
La mise en décharge demeure le moyen le plus économique et donc le plus utilisé pour l’élimination des déchets (Chofqui et al. 2006 ; Tabet-Aoul, 2001 ; Thonart et Diabaté, 2005).
Selon Vernier (2012), c’est environ 50% des déchets des Américains et des Européens qui sont mis en décharge contre 5% chez les Japonais. A Touba, c’est moins de 50% des DSM qui sont mis en décharges selon les enquêtes ménages (2012).
Cependant, cette pratique bon marché présente des risques de dégradation de l’environnement et de la santé des populations.
Quelques caractéristiques générales sur les décharges de Touba
La CRTM dispose de deux décharges publiques qui se localisent dans les villages de Darou Salam et de Tindody. A l’origine, ces décharges étaient des carrières de sable exploitées pour l’édification de certaines infrastructures. Par exemple, la carrière de Darou Salam était destinée à la construction de la grande mosquée de Touba. Celle de Tindody était exploitée pour les besoins en sable de construction de maisons. Avec l’urbanisation galopante, à partir des années 2000, le Conseil Rural de Touba en a fait des décharges publiques afin de lutter contre la prolifération des dépotoirs sauvages. Ce sont des décharges sauvages à ciel ouvert qui ne sont ni contrôlées, ni clôturées et dont l’accès est totalement libre.
Aujourd’hui, les décharges de Touba sont au cœur des habitations, rien ne les isole de celles-ci.
Elles continuent de recevoir les OM de la ville sans aucune forme de traitement. C’est la raison pour laquelle nous sommes tentés de croire que ces décharges sont de véritables bombes écologique. Non seulement, elles ont fini de défiguré l’espace, mais encore s’y ajoutent les nombreuses nuisances visuelles et olfactives.
Concernant ces risques, Tabet-Aoul (2001) souligne : «Les déchets constituent une menace pour la santé humaine et l’environnement et principalement pour les populations voisines desdécharges publiques, à cause des nuisances olfactives et des émissions gazeuses dont certaines sont toxiques comme la dioxine, les acides chlorhydrique et fluorhydrique et les métaux lourds dont les concentrations dans l’air sont très importantes à proximité des décharges».
Typologie des décharges de Touba et risques sur l’environnement
Touba appartient au climat tropical de type sahélien avec une saison sèche plus longue (environ 9 mois) que la saison des pluies (environ 3 mois). Nous fondant sur ces considérations climatiques qui influent sur l’activité biologique des décharges, nous pouvons affirmer que celles-ci sont sèches et fossilisées. Autrement dit, elles se définissent plus par la fossilisation des déchets organiques par dessiccation que par la dégradation microbiologique. La dégradation des déchets est beaucoup plus de type physico-chimique que microbiologique du fait d’une pluviométrie et d’une humidité des sols faibles (Thonart et Diabaté, 2005).
LES RISQUES SANITAIRES SUR LA POPULATION
La question des risques sanitaires liés aux déchets solides ménagers (DSM) reste complexe et donne lieu à de nombreuses interrogations tant les incertitudes scientifiques sont difficiles à lever (Gareau, 2008 ; Zmirou et Dor, 2005).
En effet, Niang (2008) souligne « Le risque est défini comme la probabilité qu’une personne a d’être infectée par une maladie. Certains comportements individuels sont considérés comme augmentant cette probabilité ».
Aujourd’hui, il est admis que la santé est une notion globale, déterminée par quatre types de facteurs : les caractéristiques biologiques et génétiques, les comportements personnels, les performances du système de santé (la qualité des soins de santé) et l’environnement au sens large. L’OMS estime que le quart des pathologies dans le monde relève de facteurs environnementaux modifiables (Besancenot, 2005 ; OMS, 2008). Les déchets en sont, sans contredit, une tendance de plus en plus lourde (Zmirou, 2010).
C’est vrai qu’il semble difficile d’établir la relation de cause à effet entre la mauvaise gestion des DSM et certaines maladies. C’est d’autant plus complexe que les effets de certains contaminants sur la santé des populations apparaissent des années après la contamination. C’est le cas par exemple, de certains cancers qui se manifestant 15 ans voire 20 ans ou plus après l’exposition aux substances toxiques (Gareau, 2008). Aussi, tous les déchets ne représentent pas de danger pour la santé humaine. Ce qui pose problème est, bien entendu, leur gestion. Seuls les déchets toxiques, infectieux et radioactifs requièrent de sévères précautions de gestion (Zmirou, 2010)
En revanche, la dégradation de l’environnement comme facteur potentiel influant négativement sur la santé est établi par plusieurs études (Cissé, 2012 c ; Howard, 2004 ; Niang, 2008 ; Wood, Simpson-Hébert et Sawyer, 1998 ; Zmirou et Dor, 2005).
Effectivement, un environnement insalubre favorise la propagation des maladies et cela peut nuire au bien-être physique et affectif (Howard, 2004). De même de l’environnement domestique et social renseigne sur les conditions d’existence des populations.
De nombreuses observations (Cissé, 2001 a ; Mbow, 2003 b ; Onibokum, 2002) ont montré que la pauvreté et la dégradation de l’environnement sont les deux problèmes les plus épineux touchant les centres urbains en Afrique.
A ce sujet, Cissé (2001a) note « Cette dégradation de l’environnement en milieu urbain affecte particulièrement les pauvres, dont les groupes les plus vulnérables… Ces catégories sociales sont confrontées à de graves problèmes de santé publique avec une forte mortalité attribuableaux maladies d’origine hydrique, aux infections respiratoires, à la malnutrition ».
Les risques sanitaires liés aux mauvaises pratiques
A Touba, les pratiques de la gestion des DSM sont un facteur de risque sanitaire. Par exemple, les incinérations à l’air libre ainsi que les feux qui se déclenchent dans les décharges sontsource d’inquiétude. Les fumées se dégageant de ces incinérations peuvent provoquer des affections respiratoires. Mais ce qu’il faut craindre le plus, c’est la libération des substances toxiques pouvant s’accumuler et provoquer des problèmes au niveau du développement, léser le système immunitaire et causer des cancers (CNIID, 2012).
ENSEIGNEMENTS ET PROPOSITIONS
A Touba, le cadre de vie est de plus en plus gangréné par la mauvaise gestion des DSM. Cela constitue un grave problème sur le plan environnemental et sanitaire. Touba connaît un développement spectaculaire sans intégrer la problématique environnementale. Or, la production des déchets est inhérente au développement économique ainsi qu’à l’accroissement de la population.
Les populations souffrent essentiellement de maladies d’origine féco-orale (dysenterie, parasitoses intestinales, diarrhées, typhoïde) et vectorielle (paludisme). La mauvaise gestion des DSM est un grand facteur de risque à la permanence de ces pathologies.
En conséquence, face à ces problèmes de santé, il faut avoir une démarche éco systémique permettant de saisir les relations entre l’environnement, l’intérêt des individus et des collectivités pour les questions de santé, l’hygiène personnelle et collective, les soins de santéet la maladie.
A ce sujet, Niang (2008) note « … L’analyse de la dégradation des cadres de vie (système de collecte d’ordures, d’évacuation des eaux usées, etc.) observables dans les grandes villes africaines, en particulier dans les quartiers les plus pauvres, permet de restituer le paludisme dans les contextes sociaux et politiques de sa reproduction. En fait le type d’habitat, la densité de la population et la relation aux gîtes des anophèles ne sont que des variables géographiques ou écologiques, ils renvoient également aux questions relatives à la répartition des revenus,aux relations sociales et aux rapports de pouvoir qui influencent l’organisation et l’occupation de l’espace ». D’où la pertinence du concept « d’infrastructure de santé ».