Station et territoire touristique
La station, lieu du tourisme
La station et le touriste
Le rapport du touriste à la station tient d’abord à l’étymologie du mot station, venant du latin statio, stare : se tenir debout, s’arrêter. La station est ainsi un lieu où l’on s’arrête, comme le confirment ses diverses déclinaisons, et la station touristique est donc le lieu spécifique de « stationnement » du touriste 1.
Pour préciser cette définition, il convient de s’interroger sur la question : qu’est-ce exactement que s’arrêter pour un touriste ? Si l’on s’en tient à la notion de mobilité, au sens qu’un touriste estquelqu’un qui se déplace, on voit tout de suite pointer une contradiction. Toutefois, on remarque qu’au delà de la mobilité, le touriste est avant tout quelqu’un qui parcourt un itinéraire, c’est-àdireunchemin balisé par un certain nombre de lieux qui sont autant de points d’arrêt. On exclut lesinévitables « escales techniques » (structurées de nos joursautour d’aires d’accueil et autres stations-services) pour souligner que ces pointsd’arrêt sont d’abord des « choses à voir ». Ce balisage par les points de vue et panorama divers est d’ailleurs ancré dans l’histoire du tourisme, notamment dans l’approche de l’espace citadin par les voyageurs de la Renaissance à aujourd’hui 2.
Ainsi, s’il n’y a plus contradiction entre être touriste et « stationner », reste la question de la durée. De nombreuses définitions du tourisme coexistent, etse télescopent parfois, mais il est généralement admis comme base communequ’un touriste est quelqu’un qui est amené à passer une nuit ou plus, en déplacement, en dehors de son domicile.
On pourrait alors considérer qu’une station est un lieu où un voyageur s’arrête pour passer au moins une nuit (on évacue pour l’instant la question de la durée maximum) et considérer que « il y a station lorsque le touriste peut trouver un hébergement sur son lieu de séjour » .
Toutefois, cette vision bute sur la prise en compte des excursionnistes, c’est-à-dire, selon la classification de l’O.M.T, les personnes partant en déplacement pour la journée. Or il existe en réalité deux types d’excursionnistes : ceux qui partent de leur domicile pour la journée, et ceux qui partent de leur lieu de séjour.
Un excursionniste peut donc être un touriste hébergé dans une autre station : il est incontestable que certaines stations exercent une attraction non seulement sur des clientèles qui vont se déplacer pour venir jusqu’à elles (touristes stricto sensu), mais également sur des clientèles qui sont déjà à proximité. Ceci nous amène à aborder la notion de territoire touristique.
Polarisation et territoires
Tout d’abord, on peut noter que le phénomène touristique est distribué dans l’espace selon des principes qui dépassent les notions de découpage administratif et que Georges Cazes 4 définit comme suit :
Les dimensions des territoires touristiques
Station et territoire : des systèmes complexes
Tout d’abord, la station ou le territoire touristique est le lieu de stratégies d’acteurs concurrentes ou tout au moins non cohérentes : si les acteurs du tourisme dans une station se reconnaissent généralement des intérêts liés, il n’en ont pas pour autant des objectifs communs 6 . Chacun d’entre eux a ses propres objectifs, ses propres problèmes, et sa stratégie est conduite par une rationalité limitée par ces éléments.
Ensuite, la station, et l’on retrouve là un problème bien connu en aménagement du territoire et développement local, est un lieu de recoupement entre des réseaux institutionnels et des réseaux informels..
Par ailleurs, cette difficile cohérence entre réseaux institutionnels et réseaux informels se retrouve largement dans la question du découpage territorial.
En effet, si l’on a jusqu’à présent considéré la station stricto sensu dans un cadre communal, le problème abordé ici prend une toute autre dimension lorsqu’il s’agit d’un territoire touristique fondé sur l’une des nombreuse formes d’intercommunalité.
On peut considérer que la conception actuelle de l’aménagement du territoire, reposant justement sur la mise en réseau et la synergie des acteurs locaux, entre autres au travers de la constitution de territoires pertinents (les « pays »), est très largement en opposition avec la notion de continuité territoriale sur laquelle reposent les découpages administratifs 7 . On a vu ainsi, dans des opérations de développement local mais aussi dans des opérations plus spécifiquement touristiques, des luttes au niveau institutionnel geler, retarder ou dévier de son objectif une opération.
Ces dérives sont des phénomènes bien connus en matière de développement local et plus particulièrement dans les politiques de pays 8 . On est également là dans un type de coopération très opportuniste, où prédomine le souci de se placer sous les robinets de financement, ce que le Professeur Jean Marieu appelle l’intercommunalité de guichet.
Les stations, et les territoires en général, qu’ils soient touristiques ou non, où se produisent des blocages au sein des réseaux d’acteurs, et tout particulièrement où se constate un manque d’efficacité de l’interface réseaux institutionnels/réseaux informels, sont des systèmes où l’information circule mal.
La station apparaît donc comme le lieu de croisement entre d’une part des réseaux institutionnels, qui cherchent à inscrire le système dans une trajectoire sélectionnée surles bases de leur logique et de leurs stratégies (régulations), d’autre part des réseaux informels ou des acteurs isolés, qui cherchent à modifier la trajectoire du système, au prix parfois d’une augmentation provisoire de l’entropie/du désordre.
L’enjeu commun à ces régulations-pouvoirs et équilibrations-contrepouvoirs est l’information, et le pilotage d’une station, comme pour tout système d’acteurs, territorial ou non, se joue entre autres sur la façon dont on fait circuler l’information.
Station et destination
Il est fréquent dans les professions touristiques d’utiliser le terme destination, soit pour parler généralement des bassins récepteurs, soit pour qualifier plus précisément toute structure territoriale destinée à recevoir des touristes. L’avantage de ce concept est de faciliter l’ajustement de l’échelle en considérant que tout territoire, quelle que soit sa taille, est une destination (actuelle ou potentielle) : une région peut être considérée comme une destination, dans la mesure où des touristes vont s’y rendre (on les classe comme on classe les pays, par ordre d’importance de fréquentation), alors qu’on ne parle pas d’une région comme étant une station. Toutefois, on doit formuler deux observations quant à ce concept.
Tout d’abord, la destination étant par définition le lieu où l’on doit se rendre, le but du déplacement, ce terme contient par essence la notion de projection, de futur, de mouvement : un touriste ne passe pas ses vacances dans une destination, il s’y rend. Par conséquent, gérer une destination c’est d’abord faire venir des touristes, alors que l’étymologie du mot station, détaillée précédemment, montre bien qu’il s’agit de les faire rester.
L’autre remarque concerne plus spécifiquement l’application du concept de destination à des territoires vastes, tels qu’une région. Dans la mesure où le nom et les limites du territoire concerné sont flous pour nombre de clientèles, il n’est pas du tout certain qu’un territoire puisse avoir une attractivité telle que les touristes s’y rendent : hormis quelques départements ou régions dont la notoriété est relativement forte, les clientèles vont choisir un lieu de séjour, ouune zone de circuit, avant de choisir un vaste territoire-destination. Même dans le cas de destinations très attractives, on peut penser que le seul fait de dire par exemple « venez en Tunisie » ou « venez sur la Côte d’Azur » ne suffit pas, et qu’il faut bien par derrière proposer de l’hébergement, des activités et des éléments attractifs plus précis et plus localisés
Sans remettre en cause la légitimité de l’action de promotion du tourisme par des niveaux régionaux, départementaux ou plus généralement intercommunaux, une politique de marque est-elle toujours possible au niveau d’un vaste ensemble de produits ? Peut-on répéter à l’envi l’opération Nestlé, quia fédéré toutes ses gammes sous cette marque ?
Une station est donc plus qu’une destination. On ne fait rester un touriste que s’il est venu, mais il ne vient souvent que parce qu’il a identifié des raisons de rester. Ce sont ces dernières qui sont au cœur de la démarche marketing car elles sont constitutives de la demande.
La spatialisation du rapport offre/demande
Autant les rapports de l’offre et de l’espace sont évidents, autant ceux de la demande et de l’espace méritent un approfondissement.
Certes, la première réaction est de souligner que ces rapports sont toutaussi évidents, dans la mesure où la demande se distribue dans l’espace en fonction de l’offre, et de nombreux travaux de géographie ont largement décrit cette distribution. Malheureusement, cette interprétation souffre du grave défaut de confondre demande et consommation.
Le fait que l’économie touristique ait longtemps été, et reste encore parfois, une économie de cueillette, n’exclut pas que l’on se pose la question de la nature de la demande, et se poser la question des rapports de la demande à l’espace, c’est se poser la question des désirs du consommateur par rapport à cet espace, et comment il se l’approprie. On souligne ensuite le fait que les rapports entre l’offre et la demande s’inscrivent dans la dimension distribution de l’espace touristique.
Le territoire est un espace construit, approprié. Le passage de l’espace au territoire peut être considéré comme un processus en trois phases : réification, structuration et dénomination de l’espace 10. Mais ce schéma s’applique d’abord aux groupes sociaux correspondant à des populations permanentes : aussi doit-on chercher d’autres explications ou modèles pour ce qui concerne les touristes. Un des schémas les plus couramment utilisés est celui de la distinction entre espace réel et espace imaginaire :
Le service public touristique local : un positionnement complexe entre marchés et maîtrise d’ouvrage publique
Depuis le phénomène de “ dérégulation ” qui s’est développé dans le monde depuis les années 80, les restrictions à l’application du droit de laconcurrence ont considérablement régressé. L’organisation touristique locale estsusceptible de devenir l’objet d’une activité privée.
Or la quasi totalité des cas relevés en Europe occidentale montre que l’organisation touristique locale n’est pas devenue une activité relevant pleinement du secteur privé. Tout au plus les politiques publiques d’aménagementet de développement touristique se sont adaptées, dans ce contexte, aux services rendus dans un environnement marchand, c’est-à-dire mouvant.
La décentralisation a clairement stipulé que les interventions de développement touristique local pouvaient relever d’un service public facultatif.
Domaine d’activité non relatif à des problèmes de souveraineté, ce service peut donc être géré localement par des organismes publics ou privés. Sous réserve,cependant, que les collectivités territoriales aient déterminé, au préalable, les activités de ce service public local et en aient précisé le fonctionnement.
Le service public est un régime qui touche une activité dès lors qu’ellerelève de l’intérêt général. Mais l’intérêt général n’est pas un concept juridiqueprécis, il est aussi politique. La commune ou le groupement de commune peuvent étendre leurs activités dans le cadre de leur compétence touristique dans un domaine traditionnellement réservé au privé si elles peuvent démontrer qu’il en est absent, défaillant et que la politique publique mise en place est bien d’intérêt général.
En effet, le secteur privé revendique de plus en plus le droit de gérer des activités et des services publics obligatoires ou facultatifs longtemps dévolus au secteur public. Cependant, le conseil municipal et, en cas de recours, le tribunal, sont seuls juges de l’opportunité de créer un service public touristique sil’intérêt général l’exige.
Pour lever une telle ambiguïté, il est impératif aujourd’hui de préciser clairement à quelles catégories d’usagers ces politiques publiques dedéveloppement ou d’aménagement touristique s’adressent. Si l’on considère ces politiques comme étant financées par les collectivités territoriales, il est clair que les contribuables locaux n’en bénéficient que par les retombées économiques indirectes, et non en tant qu’usagers. Doivent-ils les financer par le biais des budgets publics locaux ? Si oui, jusqu’à quel point ?
Le développement des enjeux d’aménagement territorial a rendu légitimes des missions touristiques très variées de la part des collectivités locales : au-delà des équipements, des aménagements et des hébergements qui fondent l’économie du tourisme, la collectivité offre des services ou des activités spécifiques qui génèrent des investissements importants. Si l’aménagement touristique, au sens strict du terme, s’inscrit dans la problématique générale de l’urbanisme d’une part et de l’exploitation des équipements d’autre part, l’accueil, l’information et la promotion de la commune relèvent bien d’un service public touristique local.
Les spécificités du service public touristique local
La légitime intervention des collectivités locales dans les politiques de développement touristique repose sur une conception du service public qui s’estconsidérablement développé depuis un demi siècle en s’écartant de sa base fondéepar le droit administratif. Ce concept est couramment utilisé depuis huit anscomme fondateur des politiques publiques touristiques locales. Le Conseil d’Etat,le Secrétariat d’Etat au Tourisme reconnaissent le tourisme comme faisant partie intégrante des deux catégories d’activités qui distinguent classiquement les services publics : ceux à caractère administratif, qui sont des services publics que seules les collectivités publiques peuvent assurer car elles sont les seules à détenir leur financement, qui relève de l’impôt (services d’accueil, d’information, de promotion touristiquesdela commune) ; ceux à caractère industriel et commercial qui sont majoritairement financés par des recettes tarifaires.
La loi de 1992 répartit les compétences entre les collectivités territoriales en matière de tourisme et précise les conditions de la mise en œuvre de la politique du tourisme dans la commune et la programmation locale du développement touristique. Ce texte entérine pleinement la mission et la finalité économique du tourisme, conférés au niveau local ou intercommunal. S’il appartient dorénavant clairement à la municipalité de mettre en œuvre ces services, elle n’est pas le seul acteur du développement et de l’aménagement touristique local : son action doit s’insérer dans une dynamique de projet avec d’autres collectivités, avec l’Etat et avec les forces économiques du territoire local. Ceci pour des raisons de mobilisation financière d’une activité de services parmi les plus capitalistiques qui soient.
Ce court texte de loi de treize articles, fondé sur des travaux préparatoires adoptés au Sénat et à l’Assemblée nationale en 1990, 1991 et 1992,donne à l’échelon local (communal ou intercommunal) un rôle fondamental de proposition, de coordination et de développement tou ristique en le déclarant clairement attributaire “ des programmes locaux de développement touristique, notamment dans les domaines de l’élaboration des produits touristiques, del’exploitation d’installations touristiques et de loisirs, des études, de l’animation des loisirs, de l’organisation de fêtes et de manifestations artistiques ”.
Pour mettre en œuvre ces missions conférées aux communes, les juristes ont eu recours à la notion de service public local. Reprenant dans la loi ceque Louis Rolland a qualifié, dans les années 30, les missions “ par nature ”, “ pardéfaut ”, “ par délégation ”, le législateur fixe les conditions partenariales dedéfinition et d’exercice des politiques publiques de développement, d’aménagement, d’accueil, d’information et de promotion touristique. L’enjeu est de taille : au premier plan dans l’économie des services, le tourisme est un des moteurs fondamentaux de la croissance du P.I.B. local maisest soumis à une concurrence forte des destinations.
La recomposition de l’économie des loisirs ne remet pas en cause l’existence du service public touristique local
Parce qu’elle implique une recomposition des temps sociaux, la réduction du temps de travail conditionne les rapports économiques et sociaux de la société future. Toutes les solutions adoptées, de l’annualisation à la modulation des horaires, du fractionnement à la diminution journalière ont des répercussions sur la gestion individuelle et collective du temps.
Réduction légale du temps de travail ou pas, le thème de l’accroissement du temps des loisirs est sous-jacent aux évolutions économiques et sociales actuelles. La montée en puissance du travail à temps partiel comme la généralisation de la souplesse bousculent les articulations établies et abolissent des frontières étanches. Éclaté, le travail s’imbrique et mord sur le temps de la vie sociale.