Présentation et caractéristiques de l’outil SVR
L’outil que nous avons développé pour répondre simultanément aux contraintes solaires et visuelles avec une même interface, présente des avancées dans le domaine de la modélisation inverse telle qu’elle fut exposée dans l’état de l’art de cette recherche. Il a comme premier apport, ce couplage de deux types de contraintes a priori assez éloignées (voir les approches différentes des deux thèses citées dans l’état de l’art – [Siret 97] et [Nivet 99]). Notre outil tente de pallier certaines erreurs des modèles actuels d’ensoleillement (direct ou inverse) dues à la négligence de certaines données physiques (§ 2.1.2.2). Il informe aussi les concepteurs de la précision des calculs de ce modèle par rapport à d’autres modèles d’ensoleillement.
Dans un premier temps nous évoquerons la précision des modèles d’ensoleillement actuels (§ 2.1.1), puis nous aborderons les notions propres à notre outil (§ 2.1.2) et enfin, la méthode de calcul des volumes de contraintes solaires et visuelles (§ 2.1.3).
La précision des modèles d’ensoleillement
La précision des modèles d’ensoleillement actuels est très convenable pour la majorité des calculs ou tracés d’ensoleillement dont un architecte a besoin dans sa pratique. Pour autant, des erreurs de précision peuvent en s’additionnant être, dans certains cas, dommageables pour le projet architectural. Lorsque la précision des modèles est primordiale pour la conception architecturale ou pour l’analyse a posteriori du projet d’architecte, mieux vaut en informer ce dernier. Les cas de mise en scène d’un lieu par des jeux d’ombre et de lumière à des instants précis de l’année (scénographie, muséographie, paysagisme, etc.) ou la recherche d’effets solaires sur des édifices historiques (archéologie, histoire de l’architecture, etc.) sont des situations de haute précision où la qualité des conclusions dépend entièrement du modèle d’ensoleillement.
La Terre tourne autour du Soleil en plus de 365 jours par an. La première erreur de calcul vient de là. Les années bissextiles rattrapent ce retard, mais ces années-là, la plupart des modèles d’ensoleillement ne tiennent pas compte de l’ajout d’un jour dans le calendrier de l’année civile et donc de la position apparente du soleil ce jour artificiel qu’est le 29 février. Ces années-là, la plupart des modèles d’ensoleillement donnent la même date d’équinoxe de printemps que pour l’année précédente ou suivante. Ce qui est faux. Ce type d’erreur est symptomatique et assez compréhensible. Il n’est pas lié directement au mouvement de la Terre autour du Soleil, mais à notre calendrier grégorien (année civile). Il sera abordé dans la section 2.1.1.2. En revanche, les erreurs liées aux variations des mouvements terrestres par rapport au Soleil durant l’année tropique (année solaire) sont plus complexes et demandent plus d’attention. Ils sont abordés dans la section suivante.
Les variations des trajectoires apparentes du soleil à moyen terme
L’inclinaison des rayons solaires sur Terre est directement liée à la position de la Terre par rapport au Soleil et aux autres astres. Sans repère, notre planète paraît immobile. Ainsi, sur Terre, comme dans le système solaire, le Soleil est notre repère espace-temps. La Figure 2-3 montre combien la qualification des saisons et le caractère cyclique de ces dernières semblent plus évidents lorsque l’œil humain est « projeté » au-delà de la trajectoire terrestre annuelle. En faisant cet effort de représentation, notre cerveau appréhende mieux les positions relatives de la Terre face au Soleil. Une telle représentation nous permet de comprendre l’importance de l’inclinaison de l’axe de la Terre par rapport à la normale du plan de l’écliptique (i.e. le plan de la trajectoire terrestre). Cette inclinaison de 23° 26′ est aussi, par conséquent, l’angle entre l’équateur terrestre et le plan de l’écliptique.
Nous considérons comme « mineure » l’influence, sur le calcul de l’ensoleillement, des phénomènes terrestres et astronomiques suivants : la polhodie (déplacement lent des pôles, relié aux repères terrestres et dû notamment à l’oscillation Chandlerienne et à la dérive lente des continents), le lent mouvement de rotation de l’orbite terrestre par rapport aux étoiles (période de 130 000 ans), le ralentissement de la vitesse de rotation de la Terre (environ une seconde tous les 600 ans) et la nutation de la Terre (mouvement de l’axe des pôles terrestres d’une amplitude maximale de 9 » de degré, provoqué par la précession de la lune). Dans ce dernier cas, la lune subit le même type de précession solaire que la Terre (voir explication ci-après de cette perturbation due à l’attraction du soleil). Cette précession de la lune se répercute sur celle de la Terre par ce phénomène de nutation. La période de la nutation étant en moyenne de 18,7 années, cela représente un basculement de l’axe des pôles d’un maximum de 0,0025° (9″) dans un intervalle de temps de 18,7 ans, soit pour une ombre portée de 10 mètres et une inclinaison des rayons solaires de 60°, une différence de 1 mm. Autrement dit, l’erreur d’un tracé solaire (en coupe par exemple) est de l’ordre de 0,01 % au maximum (entre deux dates éloignées d’environ 18,7 ans).
Contrairement aux phénomènes précédents, la précession planétaire et la précession luni-solaire sont des mouvements astronomiques pouvant être remarqués sur le moyen et long terme. Si nous voulions être très précis, nous dirions qu’ils sont potentiellement des sources d’erreurs de calculs solaires pour les modèles d’ensoleillement actuels. La Terre étant aplatie aux pôles et renflée à l’équateur, la précession luni-solaire est due à la différence des forces exercées sur cette déformation du volume terrestre, le “bourrelet” équatorial. La lune et le soleil forment ainsi un couple de forces qui « pèsent » sur ce bourrelet, tendant à rapprocher l’équateur du plan de l’orbite terrestre, ce qui transforme la rotation régulière de notre planète en un pseudo mouvement de toupie (cf. Figure 2-3). L’extrémité nord de l’axe de rotation de la Terre ne pointe donc pas toujours dans la même direction. Au lieu de se tenir en position fixe en direction de l’Etoile « polaire » (position actuelle), il se meut d’une manière lente (période d’environ 26800 ans), décrivant un pseudo mouvement conique dont le sommet est le centre de la Terre, et le ½ angle l’angle d’inclinaison de l’écliptique (entre 21° 59′ et 24° 36′ selon la précession planétaire décrite plus loin). Ce mouvement est appelé précession luni-solaire. Malgré sa périodicité très éloignée, il a pour conséquence de modifier progressivement la direction de l’axe des pôles terrestres mais aussi celle du point vernal (position de la Terre aux équinoxes, cf. Figure 2-3). Ainsi la date du printemps est tous les ans plus précoce (20 minutes plus tôt, hors de l’effet de changement du calendrier civil pour les années bissextiles).
Quant à la précession planétaire, il s’agit d’un effet de toupie de sens inverse à celui de la précession luni-solaire. C’est un mouvement conique dont le sommet est le centre de la Terre (cf. Figure 2-3). Elle est provoquée par les forces de gravitation des planètes du système solaire. L’axe de rotation de la Terre, tout en restant perpendiculaire au plan de l’équateur, décrit un cône. Ainsi, l’inclinaison de l’écliptique sur l’équateur terrestre (angle de 23° 26’ actuellement) n’est pas stable. Il ne s’agit que d’une valeur moyenne et temporaire, tandis qu’à long terme, l’écart oscille entre 21° 59’ et 24° 36’ avec une périodicité d’environ 41000 ans. De nos jours, il est descendant, mais ne dépassera jamais les 21° 59′. Actuellement, les rayons solaires diminuent de 0,47″ de degré par an, mais de moins en moins tous les ans. Ils stagneront autour de 21° 59′ (dans quelques 9300 ans) puis augmenteront jusqu’à 24° 36′. La précession planétaire s’ajoute donc au phénomène de la précession luni-solaire, de sorte qu’elle gène l’axe terrestre dans son mouvement régulier, transformant le cercle qu’il devrait décrire en une spirale s’élargissant ou diminuant au gré de l’obliquité. La combinaison de la précession planétaire, de la précession luni-solaire (et de la nutation) entraîne donc l’axe de rotation terrestre dans un mouvement de pseudo spirale autour du centre de la terre. Un calcul rapide montre que l’influence de la précession planétaire se traduit pour une ombre portée de 10 mètres et une inclinaison des rayons solaires de 60°, par une différence de 0.08 mm tous les ans. A l’échelle humaine cette variation peut donc être négligée mais pour des travaux de recherches d’historiens de l’architecture ou d’archéologues, cela peut représenter une erreur de l’ordre de 1 % entre un tracé solaire au Moyen Age et le même de nos jours.
Nous le verrons plus tard, notre modèle ne règle pas ce type de problèmes mais en informe les concepteurs, ce qui constitue une première étape pour pallier ces variations solaires. Il est alors possible, connaissant ce système de variations, de modifier manuellement ou par le calcul, l’inclinaison des rayons solaires. Ainsi, nous parlons à l’aube du XXIème siècle d’une inclinaison des pôles de 23° 26′, alors que durant la deuxième moitié du XXème siècle, les ouvrages traitant de l’ensoleillement parlaient encore d’une inclinaison de 23° 27′. Ceci est le signe qu’à moyen terme, ces variations sont identifiables.
D’autres erreurs potentielles de calcul de l’ensoleillement
D’autres phénomènes, hors des variations du système solaire, créent des erreurs de simulations solaires. Ils restent négligeables. Nous ne chercherons donc pas à les prendre en compte dans notre propre modèle d’ensoleillement, mais nous proposons de les aborder rapidement afin de les avoir à l’esprit et d’affiner nos calculs le cas échéant. Il s’agit de problèmes liés aux années bissextiles, aux dates d’équinoxes, au non-parallélisme des trajectoires apparentes du Soleil, etc. La longitude des lieux est prise en considération dans les modèles d’ensoleillement uniquement pour pouvoir comparer la hauteur du soleil, à une heure civile et une date données, pour deux lieux de même latitude mais de longitudes différentes. Or, en terme d’inclinaison des rayons solaires, pour une date et une heure solaire identiques, l’ensoleillement est très légèrement différent selon la longitude du lieu. Ainsi, entre deux lieux diamétralement opposés sur le cercle terrestre d’une même latitude (longitudes opposées), les rayons solaires pour une date identique et une heure solaire identique (le midi solaire par exemple) n’ont pas la même inclinaison. Pour le deuxième lieu, l’inclinaison des rayons a déjà diminué ou augmenté selon la date, de la moitié de la diminution (ou de l’augmentation) quotidienne du premier lieu, puisque la Terre n’a pas seulement tourné sur elle-même durant ces douze heures qui « séparent » ces deux points ; elle a aussi continué sa révolution autour du soleil. Elle a donc modifié sa position par rapport au soleil, d’où une inclinaison des rayons solaires différente. Cela représente une erreur potentielle maximale (durant les équinoxes) de 0,19° (0° 11′ 30″). Mais cela reste négligeable comparé aux dates souvent approximatives des solstices et des équinoxes (donc à l’ensemble des dates solaires annuelles) que les modèles d’ensoleillement prennent en compte. Ainsi par exemple, la date de l’équinoxe du printemps est souvent prise arbitrairement le 21 mars même si cette année là, il tombe le 20 mars. D’où une erreur sur l’inclinaison solaire deux fois plus importante (0,38°) pour un même lieu. De plus, cette date ne tient pas compte, des années bissextiles qui ajoutent un jour à l’année civile tous les quatre ans (en moyenne), décalant ces années là, les dates solaires des modèles informatiques ou analogiques (Girasol, Gnomon, Diagramme Solaire Horizontal, etc.) pour lesquels sont données uniquement des dates civiles. Autre phénomène non pris en considération dans les modèles informatiques, le non-parallélisme des trajectoires apparentes du Soleil implique une non-symétrie entre les azimuts de lever et de coucher du soleil (Figure 2-4, Figure 2-5 et Figure 2-6). Les trajectoires apparentes du Soleil ne sont donc pas une succession d’arcs de cercle parallèles mais une spirale sans fin.
