Les notions de patrimoine et de développement durable
Patrimoine
Le projet de recherche R+0 ! vise à analyser les interactions entre les enjeux liés à la valorisation du patrimoine bâti et ceux liés au développement durable lors de transformations urbaines. Ces deux notions doivent aujourd’hui être intégrées lors de l’élaboration des projets urbains étant donné l’importance des enjeux qui y sont associés. Le patrimoine, étymologiquement les biens hérités du père, est défini comme l’ensemble « des objets culturels porteurs d’une part de l’histoire et de l’identité d’un groupe social et qu’il convient de préserver en tant que témoins identitaires » (AMIROU, 2000). On distingue plusieurs types de patrimoine, dont le patrimoine bâti qui existe sous de nombreuses formes. Jusqu’au XIXème siècle, ce terme désignait de petits groupes de monuments ou de sites jugés comme exceptionnels par des experts. Cependant, au cours de ces trente ou quarante dernières années, la définition du patrimoine bâti s’est considérablement élargie, en terme de typologie, de chronologie et de géographie mais aussi concernant les acteurs pouvant être déterminants dans ce domaine. Ainsi, la liste du patrimoine bâti inclut entre autres les bâtiments ou lieux religieux et spirituels, l’architecture vernaculaire, les villes, les cités ou les établissements humains, les parcs et jardins ou les paysages culturels. Il désigne donc tout édifice ayant une valeur de témoignage culturel et historique et représentant la mémoire et l’identité d’un territoire. En effet, « le patrimoine, parce qu’il se réfère aux héritages, crée la personnalité du territoire» (GUERIN, 2001). Il peut être trouvé n’importe où, dans n’importe quelle communauté, et peut être important pour n’importe quelle personne, groupe de personnes, communauté, nation, ou groupe de nations. Il peut exister parfois un accord sur les valeurs du patrimoine bâti, entre plusieurs personnes ou plusieurs groupes, mais il arrive aussi que ces valeurs ne soient pas partagées, voire même qu’elles soient contestées. Longtemps considéré comme un moteur de développement économique en raison de l’intérêt porté à l’attractivité touristique des centres-villes historiques, il est aujourd’hui perçu comme une ressource symbolique à préserver et à valoriser afin d’assurer sa transmission aux générations futures. Des mesures ont ainsi été mises en place par l’Etat afin d’assurer sa conservation, comme les Secteurs Sauvegardés en France. Ainsi, le patrimoine est une ressource essentielle contribuant à l’amélioration de la qualité de vie urbaine, et ses enjeux doivent être intégrés dès la conception du projet.
Le développement durable
Le développement durable, désignant un « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » d’après le Rapport Brundtland de 1987, a bénéficié d’un fort engouement à partir de la conférence de Rio en 1992, au point qu’il est aujourd’hui difficile de parler de développement sans lui adjoindre l’adjectif « durable ». Le concept est né à la suite d’un constat alarmant, émis par l’association internationale du Club de Rome en 1971 : le développement économique et la croissance démographique sont incompatibles avec la protection de la planète à long terme en raison de la surexploitation des ressources naturelles induite. A partir de la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement humain en 1972 à Stockholm, le concept d’ « écodéveloppement » apparait alors afin d’intégrer la prudence écologique et l’équité sociale dans les modèles de développement. Dès 1980, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature emploie le terme « Sustainable development ». Cependant, ce terme reste presque inaperçu jusqu’en 1987 où il est clairement défini dans le rapport « Notre Avenir à tous », appelé rapport Brundtland.« Environnement durable est synonyme de maintien du capital naturel. Il exige que nous ne consommions pas les ressources renouvelables, notamment en énergie et en eau, plus rapidement que la nature ne peut les remplacer, et que nous n’exploitions pas les ressources non renouvelables plus rapidement que les ressources renouvelables durables ne peuvent être remplacées. Environnement durable signifie aussi que la pollution ne doit pas être supérieure à la capacité de l’air, de l’eau et du sol à l’absorber et à la traiter » (Charte d’Aalborg, 1994). Le développement durable vise donc la création d’un environnement durable et induit la transformation des pensées et des pratiques à toutes les échelles. Cependant, la définition même du concept fait souvent débat, malgré la popularité et l’acceptation commune de ses finalités. En effet, c’est à la fois : – Un cadre conceptuel : un outil pour changer la vision prédominante du monde et adopter une vision plus holistique et équilibrée ; – Un processus : une façon de mettre en pratique les principes de l’intégration à travers le temps et l’espace dans toutes les décisions ; – Une finalité : déterminer les problèmes scientifiques d’épuisement des ressources, de soins de santé, d’exclusion sociale, de pauvreté, de chômage, … et les régler.Ce concept à trois dimensions inclut ainsi une grande diversité de politiques et de projets, si bien qu’il peut s’avérer difficile encore aujourd’hui d’effectuer des changements majeurs dans les actions et les comportements à cause notamment de la complexité des problèmes existants. Cependant, un consensus semble avoir émergé sur la nécessité d’agir localement pour résoudre un problème global, ce qui soulève de nombreux enjeux urbains. Satisfaire les besoins en santé, éducation, habitat, emploi, prévention de l’exclusion, équité, intergénérationnelle Créer des richesses et améliorer les conditions de vie matérielles Préserver la diversité des espèces et les ressources naturelles et énergétiques Economie Environnement Société équitable DURABLE vivable viable Figure 2: Les trois piliers du développement durable (LECOMTE D., 2008, sur le site Campus Responsable) 15 Aménagement durable Gestion des déchets Coût global Réseaux de transport Diversité sociale … Efficacité énergétique Gestion des risques Gestion des ressources Ainsi, au niveau territorial, le développement durable a pour première finalité la transformation des espaces et des pratiques de manière raisonnée en intégrant prioritairement les contraintes liées à la protection de l’environnement afin de limiter leur impact à court et à long terme. On parle ainsi d’ « écologie urbaine », qui vise une co-existence harmonieuse entre les différents êtres vivants et la nature pour que l’espace urbain interagisse avec son environnement. Aussi, une action ou un projet doit être capable d’améliorer les conditions de vie d’un groupe donné tout en préservant les options de développement de la population actuelle et future. Ce concept d’écologie urbaine doit ainsi rendre la ville agréable à vivre de manière à ce que les habitants s’approprient leur lieu de vie et soient naturellement encouragés à le maintenir, le mettre en valeur et l’améliorer.
Le couple patrimoine/développement durable
Patrimoine et développement durable sont donc deux notions pouvant être définies à priori comme étant contradictoires, puisque l’une vise à conserver l’existant alors que l’autre vise à transformer les espaces. De même, la durabilité promeut la densification des espaces et la reconstruction de « la ville sur la ville » afin de limiter l’étalement urbain, ce qui peut compromettre l’intégrité patrimoniale. Cependant, l’intégration des enjeux du développement durable est fondamentale pour assurer la sauvegarde du patrimoine, et inversement. En effet, la « ville durable » peut être définie comme un modèle opposé à la « ville fonctionnaliste » (Charte d’Athènes, 1933), qui ne doit pas faire table rase du passé mais au contraire intégrer les héritages urbains dans la reconstruction de la ville (EMELIANOFF, 2004). Ainsi, le patrimoine bâti peut être finalement considéré comme un moyen privilégié pour assurer la continuité des sociétés urbaines en tant que vecteur d’identité, et peut être assimilé à une ressource non renouvelable, qui doit être préservée et valorisée. La référence au patrimoine et sa nécessaire préservation et transmission serait même devenue l’un des modes de légitimation privilégiés de la durabilité à l’échelle planétaire (LAZZAROTTI, 2003). Malgré des finalités en apparence contradictoires, on constate d’importants croisements entre les objectifs du développement durable et ceux de la préservation patrimoniale. Par exemple, l’un des enjeux du développement durable est de « développer des approches transversales et des stratégies globales » (V. STEIN, 2003). Or cet objectif est également primordial au niveau patrimonial, puisque les actions de protection doivent être intégrées aux autres politiques d’aménagement du territoire, concernant notamment les espaces publics et les équipements socio-culturels. Il est ainsi nécessaire de prendre en compte plusieurs dimensions, telles que la connexion spatiale des activités et les relations entre les acteurs, de manière à coordonner les actions pour valoriser l’espace patrimonial et assurer la qualité de vie des habitants. Enfin, le patrimoine ne doit pas être sauvegardé de manière « nostalgique », ce qui conduirait à une accumulation des objets du passé sans véritable signification. Il s’agit donc de choisir des éléments symboliques pour les générations futures et de les intégrer dans l’espace existant pour assurer leur transmission dans le futur. Cette notion est ainsi conforme à la définition du développement durable donnée par le rapport Brundtland et citée précédemment. Ainsi, même si dans les faits il peut s’avérer difficile d’articuler des actions de protection patrimoniale avec des actions de densification des espaces urbains pour répondre aux enjeux énergétiques par exemple, ces deux notions doivent pourtant nécessairement coexister dans les projets d’aménagement afin d’assurer le respect des valeurs héritées tout en permettant un développement pérenne des territoires.