Les narrations se réapproprier l’histoire

Les narrations se réapproprier l’histoire

 Suivant l’analyse que fait G. Genette des relations intertextuelles (Genette, 1982), nous analyserons, premièrement, des pratiques métatextuelles, des relations de « commentaire » qui unissent un texte à un autre texte dont il parle, en le citant (même si dans certains cas, on le verra, on peut ne pas avoir de citation) : une telle analyse sera effectuée dans les forums de discussion et les blogs. Ensuite, nous passerons à l’analyse de pratiques hypertextuelles, dans lesquelles le greffage du texte postérieur n’est pas celui du commentaire : l’hypertexte est un texte dérivé, apocryphe, qui se construit à travers des pratiques de transformation ou d’imitation. Ce sera le moment d’analyser les productions de vidéos, le fan art, les fanfictions. spectateur, suite au visionnage d’un film ou d’un épisode d’une série télévisée, a toujours été celui d’engager, avec les personnes qui l’accompagnent, une communication qui, dans la plupart des cas, se transforme en discussion autour du spectacle vu. Quelle est la forme que prennent ces discussions ? Quelles pratiques heuristiques s’offrent à nous pour rendre compte de ces usages ? Nous n’irons pas jusqu’à affirmer, avec F. Truffaut, que « tout le monde a deux métiers, le sien et critique de cinéma » (cité par Jullier, 2002). Chaque spectateur, pendant et après le visionnage d’un spectacle, se trouve dans la condition de mettre en œuvre une série complexe de délibérations autour du produit qu’il consomme, fonctionnant sur la comparaison de différents points de vue autour de ce qui, du film, « lui parle » et qui arrivent à constituer le « film comme texte et comme discours » (cf. Soulez, 2011 : 11). Cette activité « intime» du « spectateur ordinaire » se différencie de la posture du critique professionnel. Cette dernière présuppose l’adresse d’un jugement de goût dépendant de l’entendement sur le film, conçu comme une déclaration de vérité, en direction d’un public.

Nous doutons que tout spectateur se sente capable d’émettre un jugement sur son expérience (qui reste un événement très personnel, mettant en jeu le vécu et des émotions qui, par définition, sont un sujet intime) dans tout type de contextes. À tout moment, le poids des surdéterminations sociales et culturelles agit comme un frein à la libre expression du goût autour de l’expérience de l’audiovisuel (cf. Jullier, 2002). L’émission d’un jugement de goût pose le problème de l’intersubjectivité. Dans l’acte de juger, j’attribue à mon sentiment particulier, dérivant de la situation dans laquelle je me trouve, une valeur universelle ; la rencontre avec d’autres spectateurs trouble mon jugement : mon corps en situation, ainsi que le rapport avec les autres, façonne un contexte, dans lequel la notion kantienne de jugement de goût comme valeur objective, « indépendante de l’attrait et de l’émotion » perd son sens. Si, pour Kant, le goût a « toujours un rapport avec l’entendement » et se présente comme une « satisfaction désintéressée et libre », que faire de la présence de compagnons dans l’expérience, des émotions qui prennent le pas sur mon entendement ? Comment communiquer mon jugement ? À l’heure du « Web 2.0 », le geste de commenter l’expérience d’un film ou d’une série télévisée est une pratique diffuse, simplifiée par le fait qu’elle est accompagnée par la possibilité de choisir l’espace, donc le contexte culturel et social, dans lequel émettre son jugement. L’expression de soi est rendue possible, même en l’absence physique de compagnons dans l’expérience : elle se réalise grâce à la possibilité de se connecter à Internet suite au visionnage du film ou de la série (mais de plus en plus le spectateur est déjà connecté pendant le spectacle, grâce aux téléphones portables ou aux smartphones qui donnent accès à Internet). Ainsi, l’abolition de la confrontation in presentia et la construction d’une identité virtuelle semblent offrir à l’internaute une plus large liberté de commenter, de mettre en œuvre ses facultés critiques et de construire des formes variées d’adresse à une communauté de réception. Sur le Net, la construction de discours autour du spectacle se réalise dans des espaces maîtrisés par les spectateurs, territoires qui réduisent (ou donnent l’illusion de réduire, comme certains exemples nous le montreront) le risque lié à l’expression d’un jugement Si l’acte critique consistait, pour J. Douchet, à partager son enthousiasme pour un film, en adoptant une posture entre celle d’auteur et celle de l’amateur, il nous semble nécessaire de dépasser ce dualisme relevant d’une distinction institutionnelle appartenant au passé et peu adaptée à la réalité du quotidien des espaces en ligne. Sur Internet, le premier changement consiste dans le dépassement du problème de la publication officielle : l’activité critique est exposée aux jugements des autres, donc ouverte à des changements de perspective. Le produit de l’acte critique devient un objet public et changeant.

 

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *