Synthèse des nanotubes de carbone par CCVD
Historiquement, les NTC ont été d’abord été synthétisés par des méthodes faisant appel à la sublimation du graphite4,18 (arc électrique et ablation laser). Puis l’équipe de Yacaman19 a montré que les NTC multiparois de Iijima correspondaient à certaines « nanofibres creuses » connues et synthétisées depuis des décennies par les méthodes de dépôt catalytique en phase vapeur (CCVD). D’une manière générale, ces méthodes consistent à apporter, à température relativement modérée (600-1200°C), un gaz carboné sur des particules métalliques catalytiques qui ont le rôle de sites de nucléation et de croissance pour la formation d’espèces carbonées filamentaires. Les filaments creux constituent la classe des tubes, à laquelle appartiennent les NTC multiparois au sens d’Iijima (arrangement des atomes de carbone en plans concentriques). Après la découverte des NTC monoparois préparés par les méthodes arc électrique et laser, de très nombreuses équipes ont repris l’étude des techniques de CCVD dans le but de produire des NTC de structure (nombre de parois, diamètre) contrôlée, à l’exclusion de tout autre forme de carbone (nanofibres, nanofilaments en arête de poisson, carboné polyaromatique, etc). Deux revues20,21 font le lien entre les travaux antérieurs et ceux postérieurs à la découverte des NTC monoparois. Il en ressort deux faits importants : (a) un NTC se forme à partir d’une nanoparticule (NP) métallique ; (b) les diamètres du NTC et de la NP sont généralement identiques ou voisins. La synthèse de NTC monoparois ou des petits NTC multiparois exige donc la présence de particules métallique de diamètre adéquate, à la température de formation des NTC.
La première synthèse sélective de NTC monoparois par CCVD est réalisée par l’équipe de Smalley22, par dismutation de CO à 850-1200°C sur des particules catalytiques nanométriques de Mo ou Fe/Mo supportées sur poudre d’alumine. Plus tard, les auteurs rapportent également une voie de synthèse23 d’un mélange de NTC monoparois et de NTC biparois par décomposition catalytique d’éthylène à la température de 700-850°C, sur des NP catalytiques de molybdène ou fer-molybdène supportées sur alumine. Il est observé que les NP de diamètre inférieure à 3 nm conduisent à la formation de NTC, tandis que les plus grosses subissent le phénomène d’encapsulation sous une coque graphitique. Les auteurs montrent par un calcul d’énergie de surface que la valeur de 3 nm correspond à la taille critique au-dessous de laquelle les NTC sont plus stables que les nanocapsules. De plus,d’après les faits expérimentaux, les auteurs formulent l’hypothèse que la formation de NTC monoparois est favorisée par un régime de réaction limitée par l’apport de carbone, contrairement à la formation de NTC multiparois qui requiert un régime de réaction limitée par la diffusion de carbone au sein des NP catalytiques, d’après Baker et al.24.
L’équipe NNC du CIRIMAT rapporte pour la première fois la présence de NTC monoparois dans des échantillons synthétisés avec un hydrocarbure (CH4) comme source de carbone25. Une autre originalité de la méthode employée consiste en la formation in situ des NP métalliques catalytiques par réduction sélective d’une solution solide d’oxydes, limitant donc leur coalescence avant la décomposition catalytique du méthane à leur surface. Des travaux du CIRIMAT26 ont confirmé que 90% des NTC monoparois et NTC biparois ont un diamètre externe inférieur ou égal à 3 nm, le diamètre interne des NTC biparois étant plus petit que le diamètre des NTC monoparois. Ces conclusions supportent le mécanisme de croissance par la base des NTC, dit mécanisme du yarmulke22 (Figure I.2), qui s’applique principalement aux NTC monoparois et aux NTC biparois. Dans ce modèle, une calotte de carbone (le yarmulke) se forme à la surface de la nanoparticule. Si la nanoparticule est suffisamment petite, le NTC peut croître. Une seconde calotte peut éventuellement se former sous la première, les deux parois croissant alors simultanément. Il pourrait a priori se former plus de parois mais en général les particules trop grosses (> 3-5 nm) se retrouvent encapsulées. La nanoparticule subit essentiellement des interactions attractives avec le substrat et y adhère définitivement.
Les travaux du CIRIMAT sur la formation de NTC ont montré que dans les conditions de CCVD utilisées, les NTC obtenus étaient soit majoritairement des NTC biparois, si le catalyseur est sous forme de poudre28, soit des NTC monoparois s’il est sous forme de mousse29. Ces faits mettent en évidence l’importance de la mise en forme d’un catalyseur de composition donnée pour la sélectivité de la synthèse de NTC.
Les mécanismes précis de nucléation et de croissance des NTC ne sont cependant pas définitivement élucidés. En effet, il est possible d’observer des NTC où la NP se trouve à l’extrémitélibre, suggérant un mécanisme de croissance par le sommet (Figure I.3). Ce mécanisme tend surtout à être observé pour la formation de NTC multiparois.
Propriétés des NTC
Les diverses études portant sur le comportement mécanique des NTC rapportent des propriétés remarquables32,33,34. La stabilité élevée de la double liaison C=C au sein du système polyaromatique du graphène assure aux NTC une rigidité exceptionnelle traduite par un module d’Young E particulièrement élevé dans la gamme 0,7 – 1,3 TPa, qui dépend peu du diamètre et de l’hélicité35. Ces valeurs théoriques ont été validées expérimentalement à partir de l’observation MET de l’amplitude de vibration thermique d’un NTC monoparoi36 ou par des tests mécaniques sous pointe d’AFM sur des NTC monoparois individuels.
De plus, les NTC possèdent une grande flexibilité, qui se caractérise par la tolérance à des taux de déformation en traction élevés38 (de l’ordre de 5%) ou des torsions élevées sansrupture39. Ce comportement (déformations élastiques non-linéaires) semble être principalement dû au réarrangement réversible des atomes sous contrainte40, par réhybridation sp²-sp3. La rupture d’un NTC monoparoi apparaît pour une contrainte locale de l’ordre de 100 GPa, qui varie théoriquement selon l’hélicité des NTC38. La structure de bande électronique caractéristique d’un NTC peut être déterminée en première approximation dans le modèle des liaisons fortes42,7, sur la seule considération de la bande π et en négligeant les effets d’hybridation dus à la courbure de la structure du tube. Le modèle prévoit en première approximation : un caractère métallique d’un NTC monoparoi (n, m) si (n – m) = 3 l, où l est un nombre entier ; un caractère semiconducteur pour les NTC (n, m) tels que (n – m) ≠ 3 l, avec une largeur de bande interdite variant en 1/ØNTC. La classe des NTC semiconducteurs représente ainsi deux tiers des NTC monoparois.
Toutefois, la prise en considération de l’effet de courbure sur la structure de bande induit l’ouverture d’un gap de bande variant en 1/ØNTC², pour les NTC vérifiant la relation nm = 3 l, l ≠0. Ceux-ci doivent donc être considérés comme des semi-conducteurs à petits gaps (SCPG). Seuls les NTC (n, n) dits armchair sont donc véritablement métalliques.
De manière générale, les NTC monoparois possèdent une conductivité élevée43 qui peut se traduire par des densités de courant électrique de l’ordre de 109 A/cm².
Tombler et al.37 observent une diminution réversible de deux ordres de grandeur de la conductance pour des NTC métalliques en imposant un haut taux déformation (3%) à l’aide d’un AFM. Dai et al.44 établissent un classement du facteur de jauge piezorésistif β de NTC monoparois : βSCPG>βsemiconducteur > βmétallique, les changements de résistance absolus étant les plus importants pour les NTC SCPG. En accord qualitatif avec les faits observés, la théorie sur les propriétés électromécaniques des NTC suggère que les NTC (n, n) sont moins sensibles à la déformation car ils conservent leur symétrie et donc leurs propriétés électriques tandis que les NTC de moindre symétrie (SCPG et SC) présentent une variation de l’énergie de gap en tension.
Globalement, la théorie prédit l’anisotropie magnétique des NTC monoparois45.
Qualitativement, les susceptibilités parallèle χ// et perpendiculaire χ⊥ respectent les relations suivantes46 : χ// – χ⊥ < 0 et χ⊥ < 0. L’anisotropie magnétique se traduit expérimentalement par l’orientation des NTC en suspension, selon la direction des champs magnétiques appliqués, à partir de valeurs relativement élevées47 (supérieurs à 10 T pour des NTC de longueur inférieure à 300nm).
Finalement, les modèles théoriques48,49 prévoient une conductivité thermique exceptionnellement élevée pour les NTC monoparois, comprise dans la gamme 1000-6000 W/m.K à température ambiante. Une étude50 sur des NTC monoparois individuels àtempérature ambiante aboutit à une valeur de conductance thermique proche de 2000 W/m.K, associée à une puissance thermoélectrique de l’ordre de 50 µV/K.
Nanoélectronique
Dans la filière technologique classique, qui repose sur les composés silicium, la réduction des dimensions caractéristiques des circuits électroniques atteint progressivement une limite en performances, et en avantages économiques, ce qui s’oppose à la célèbre loi de Moore qui prédit sur une progression régulière des avancées technologiques. Ceci constitue la motivation principale pour la quête de solutions de rupture, par le développement de procédés de fabrication novateurs et d’architectures originales impliquant des NTC42,55.
Dispositifs nanoélectroniques
Les premiers travaux de recherche portant sur la réalisation d’élément actif de type transistor à effet de champ basé sur un NTC (NTC-FET) visaient à remplacer la structure ducanal source-drain par un NTC. En 1998, Tans et al.56 rapportent pour la première fois lafabrication d’un NTC-FET à haut gain réalisé en déposant aléatoirement des NTC monoparois semiconducteurs sur un substrat de silicium muni d’électrodes métalliques (source et drain) reposant sur une grille SiO2 (Figure I.4).
Par ailleurs, la même équipe57 a mis en évidence la nature de fil quantique et observé le transport avec blocage de Coulomb à température ambiante au sein d’un NTC-FET. La problématique majeure dans la fabrication de dispositifs nanoélectronique est essentiellement due aux phénomènes de résistance de contact entre les NTC et les canaux électriques.
L’intérêt des NTC pour le secteur de la nanoélectronique dépend du niveau de complexité accessible aux architectures basées sur les NTC. Dans ce cadre, les résultatssuivants apparaissent de bonne augure : la réalisation d’un dispositif intégré impliquant deuxNTC-FET59 ; l’élaboration des dispositifs électroniques à plusieurs terminaux, impliquant desintersections de NTC60 ; la fabrication de mémoires non-volatiles reposant sur le principe d’un interrupteur électromécanique61.
L’une des exigences majeures de la nanoélectronique réside dans la fabrication parallèle et fiable de dispositifs : les premiers résultats obtenus dans ce sens sont dûs auxperformances de la croissance localisée62,63 (Figure I.5).
Des approches nouvelles sont envisagées afin d’atteindre des densités de circuitsupérieures à celles des dispositifs de silicium classiques :
− des circuits électroniques à partir de NTC interconnectés ou à multiples branches. Il est en effet possible de réaliser des connexions de segments d’hélicité différente aumoyen de défauts topologiques pentagone-heptagone64,65. La conception de blocs debase pour la nanoélectronique, de type métal-semiconducteur ou métal-isolant-métal66,justifie l’intérêt pour ces jonctions.
− La seconde voie concerne la réalisation de transistors verticaux67 dont les dimensions latérales peuvent être limitées à 10 nm : cette caractéristique répondrait aux exigences fixées par l’industrie des semiconducteurs pour le futur68.
Nanomécanique et nanoélectromécanique
En vertu de leurs propriétés mécaniques, les NTC de type monoparoi ont été tout d’abord employés pour les pointes d’AFM82 et sont actuellement fabriquées commercialement par Daiken Chemical Company. La modification covalente des extrémités des NTC par ajout de ligands à fonctions chimiques ou biologiques, permet de sonder spécifiquement les espèces chimiques et biologiques83. Les performances des NTC au sein d’un système électromécanique ont été mises en évidence dans le projet de muscles artificiels84,85, nécessitant des tensions électriques de quelques volts, soit quelques ordres de grandeur inférieure à celles employées pour les piezoélectriques ou les actuateurs électrostrictifs. Toutefois, les avancées dans de nombreux secteurs technologiques sont attendues de l’introduction de NTC au sein de NEMs. Très tôt, l’équipe de Globus86 a développé théoriquement des machines moléculaires dont les éléments essentiels sont des NTC : la réalisation pratique des tels dispositifs pourrait ouvrir la voie à des applications en nano-mécanique.
Le concept de nanopinces principalement exploré par l’usage de NTC multiparois87,88 constitue également un défi intéressant pour la caractérisation et la manipulation à l’échelle nanométrique. Par ailleurs, l’usage des NTC en tant que ressort de torsion a été démontré au sein d’un nano-résonateur activé électrostatiquement89.
Les propriétés électromécaniques des NTC ont été étudiées par le groupe de Dai90 qui a mis en évidence les variations de conductance sous l’effet de contrainte mécanique. Cette caractéristique a été mise à profit par l’équipe de Mc Euen91 au sein d’un oscillateur électromécanique (Figure I.7). Dans ce type de NEMS, les modes d’oscillation d’un NTC monoparoi, reliant les électrodes source et puits, sont activés et détectés par voie électriquecapacitive (la fréquence de résonance est de l’ordre de 1-100 MHz). La conception d’un nanointerrupteur électromécanique est également rapportée par l’équipe de Aluru92 : en raison de sa grande élasticité, un NTC peut être déformé réversiblement sous l’action d’une force électrostatique.
Intégration par manipulation post-synthèse
Les progrès réalisés dans les voies de synthèse et de purification – sélection aboutissent à la production d’échantillons de NTC, de caractéristiques (nombre de paroi, diamètre et longueur) données. Les échantillons de NTC produits se présentent le plus souvent sous la forme de suspensions : celles-ci permettent de mettre en oeuvre divers procédés de manipulation, qui impliquent le contrôle des forces, de courte ou de longue portée, qui régissent le comportement des NTC.
NTC en suspension
La manipulation de NTC en suspension requiert un faible taux d’agrégation de NTC sous forme de faisceaux, de manière à disposer d’objets individuels. Par ailleurs, leur mise en suspension constitue une opportunité d’effectuer des procédés de sélection des NTC selon leurs propriétés.
Les opérations de mise en suspension et de purification des échantillons de NTC peuvent être conjointes. La purification des échantillons consiste à effectuer éventullementun traitement oxydant destiné à éliminer le carbone amorphe110, puis à opérer une attaqueacide (HCl, HNO3) visant à éliminer les traces de catalyseur, en conservant l’intégrité desNTC111. L’opération de mise en suspension peut nécessiter l’emploi de tensioactifs112, qui permettent la stabilisation de NTC individuels en suspension dans la phase liquide. Or, la présence de ces tensioactifs requiert souvent une étape de rinçage des NTC aprèsintégration138. Par conséquent, les techniques de solubilisation par l’emploi de charges ioniques, en milieu aqueux113 ou organique114, constituent des voies intéressantes car elles dispensent de recourir à l’emploi de tensioactifs.
Des techniques de séparation variées sont reportées dans la bibliographie : en fonction de la morphologie ou du comportement électrique des NTC. La combinaison de ces deux types d’approche constitue une voie intéressante dans la mesure où des NTC de diamètre comparable et de comportement électrique donné (métallique ou semiconducteur) possèdentdes structures électroniques similaires : après le tri, les NTC sélectionnés peuvent donc être indifféremment employés dans certains dispositifs. Ainsi, l’équipe de Lee115 rapporte une technique de destruction sélective des NTC métalliques de diamètre inférieur à 1,1 nm par attaque préférentielle des ions NO2 + sur les NTC à densité d’états élevée au niveau de Fermi. L’équipe de Strano112 propose quant à elle une méthode de séparation des NTC enfonction de leur longueur (< 500 nm) et de leur diamètre (compris entre 0,5 et 1 nm), par l’emploi combiné des techniques d’électrophorèse sur gel, de chromatographie sur colonne, et d’électroélution.
Enfin, Chattopadhyay et al.116 puis l’équipe de Saito117, ont développé une méthode de mise en suspension sélective des NTC, par affinité sélective des molécules tensioactives à groupement amine sur les NTC, semiconducteurs ou métalliques selon le type de molécule employé.