Les téléchargeurs de pédopornographie
La pédopornographie étudiée ces dernières années étant celle obtenue sur support numérique, nous utiliserons dans cet article la notion de « téléchargeur » de pédopornographie. Ce terme, utilisé par certains auteurs francophones (Coutanceau et al., 2010; Vlachopoulou et Missionier, 2018), permet de considérer à la fois les concepts de « consommation », de « possession » et de « consultation », sans induire les notions d’addiction ou de passivité. Le profil des téléchargeurs de pédopornographie étant hétérogène, il n’est pas possible de dresser un profil-type de ceux-ci (Rimer, 2020). Cela explique pourquoi un grand nombre d’études et de métaanalyses ont tenté de les comparer à d’autres délinquants sexuels (Armstrong et Mellor, 2016; Babchishin et al., 2015; Brown et Bricknell, 2018; Henshaw et al., 2018; Jung et al., 2013; Ly et al., 2018; McManus, 2015; Raymond, 2015). Il est important de garder en mémoire que ces études se basent uniquement sur des individus identifiés par le système judiciaire, ce qui constitue un biais pour généraliser les résultats (Beier et al., 2015).
Que ce soit en comparaison avec les autres types d’auteurs à caractère sexuel (Babchishin et al., 2015; Brown et Bricknell, 2018; Jung et al., 2013; Raymond, 2015) ou avec des « mixtes », donc qui ont été condamnés pour téléchargement de pédopornographie et agressions sexuelles (Armstrong et Mellor, 2016; Babchishin, et al., 2015; Henshaw et al., 2018; Ly et al., 2018; McManus, 2015; Raymond, 2015), les téléchargeurs de pédopornographie seraient plus susceptibles d’avoir un emploi et d’avoir un plus haut niveau d’éducation ou de qualification, seraient plus souvent célibataires, auraient moins d’antécédents judiciaires et seraient moins à risque de récidive. Certains auteurs précisent cependant que les individus condamnés pour pédopornographie, pour d’autres infractions sur internet ou pour agression sur enfants ont un profil similaire au niveau des relations intimes et sexuelles, des traits de personnalité, de l’histoire psychiatrique et de l’histoire criminelle (Jungs et al., 2013). Pour Brown et Bricknell (2018), le profil des téléchargeurs « may be different to that of other types of sexual offenders, especially those who commit contact sexual offences against children » (p. 9). Quant à la question du lien entre téléchargement de pédopornographie et passage à l’acte sexuel dans le monde non virtuel, s’il est certain que l’un n’exclut pas l’autre (Hannah et al., 2018; Rimer, 2020), il est parfois précisé qu’un grand nombre de téléchargeurs de pédopornographie « ne commettra pas d’agression sexuelle avec contact » (Raymond, 2015, p. 4). Pour Babchishin, Hanson et Vanzuyken (2015), l’utilisation de la théorie des activités routinières (Cohen et Felson, 1979) permet de distinguer les téléchargeurs de pédopornographie, les agresseurs sexuels et les délinquants sexuels « mixtes » en fonction de l’opportunité d’accès. Pour eux, les trois types de délinquants seraient des individus motivés par la commission de délits sexuels, mais se différencieraient par l’accès aux enfants et à internet : le téléchargeur aurait accès à internet, le délinquant sexuel aurait accès aux enfants, le délinquant mixte aurait accès aux deux (Babchishin et al., 2015).
Les moyens permettant l’arrêt du téléchargement de pédopornographie
Choix du vocabulaire Nous avons hésité entre l’utilisation des termes « désistance », « évitement de la récidive » et « arrêt » pour qualifier la fin du téléchargement de matériel pédopornographique. La désistance est un terme utilisé par de nombreux chercheurs, mais différentes significations y sont attachées en fonction de la littérature. Certains auteurs utilisent ce mot pour signifier la fin des infractions (Farral et Bowling, 1999) ou l’arrêt pendant une période déterminée (Farrington et Hawkings, 1991; Warr, 1998). Certains considèrent qu’il s’agit d’un réel changement de perception (Cooley et Sample, 2018; Farmer et al., 2012) et, pour d’autres, il s’agit d’un long processus continu (Clarke et Cornish, 1985; Luckenbill et Best, 1981). Des auteurs vont même jusqu’à distinguer la désistance primaire, le moment sans crime, et la désistance secondaire, le changement d’une identité de délinquant à une identité de non-délinquant, comme Maruna (2000). De plus, plusieurs chercheurs ayant étudié la pédopornographie utilisent ce mot sans le définir (Knack, 2019; Merdian et al, 2017; Merdian et al., 2020). Cette absence de consensus nous amène à penser que l’utilisation de ce mot ne participe pas à la clarté de notre contenu. Nous avons aussi écarté le vocable « évitement de la récidive », car nous ne voulions pas laisser penser que nous parlions exclusivement de la récidive légale des articles 54 à 57bis du code pénal belge, donc de la situation d’un individu qui commet une nouvelle infraction après une condamnation définitive. Notre recherche concerne les actions et non les condamnations. De plus, cette récidive a souvent été abordée sous le prisme d’échelles, comme par exemple la Child Pornography Offender Risk Tool (Eke et al, 2018), la Statique-99 (Hanson et Thomton, 1999, cité dans Pham, 2006) et la Sexual Violence Risk-20 (Boer et al., 1997, cité dans Pham, 2006). Notre recherche n’a pas pour but de remettre en question ce type d’instruments, mais de nous distancer des divers items, afin de nous axer sur la spécificité des comportements. Notre choix s’est ainsi porté sur l’« arrêt », traduction possible du terme utilisé dans une étude de Booxbaum et Burton en 2013 étudiant les « self-reported methods of cessation of adult male child abusers ». Par ce terme, il sera plus simple de comprendre « ne pas télécharger de la pédopornographie » et, ainsi, ne pas laisser la possibilité d’imaginer « ne plus avoir envie de pédopornographie » ou « ne plus être condamné pour pédopornographie ». C’est cette même étude qui nous a fait préférer le terme « moyen », à celui de « stratégie » et de « technique ».
Théories étiologiques du téléchargement de pédopornographie En droit belge, est considérée comme un auteur d’infraction à caractère sexuel (AICS) toute personne ayant enfreint les articles 371/1 à 389 du Code pénal1. La pédopornographie est donc considérée comme une infraction à caractère sexuel, tout comme en France (art 227-23 du Code pénal français et art 706-47 du Code de procédure pénale français) et au Canada (art 163.1 et 490.011 du Code criminel canadien), par exemple. Il s’agit certainement d’une explication au fait que les modèles utilisés pour les téléchargeurs de pédopornographie sont ceux développés pour l’entièreté des AICS. Cependant, des auteurs remettent en doute cette transposition et vont jusqu’à préciser que c’est celle-ci qui a pour conséquence de limiter la connaissance des téléchargeurs de matériel pédopornographique (Elliott et Beech, 2009). Ces propos sont confirmés par une étude très récente (Merdian et al., 2020). Sur ce constat, se sont ainsi développés, ces dernières années, des modèles, parfois inspirés de modèles étiologiques développés pour les AICS, reconnaissant la spécificité du téléchargement de la pédopornographie. Nous avons relevé quatre études récentes abordant les causes du téléchargement et de son maintien (Knack et al., 2019; Merdian et al., 2020; Morgan et Lambie, 2018; Steely et al, 2018). Une étude exploratoire a eu pour objectif de comprendre les téléchargeurs de pédopornographie grâce à des entretiens semi-structurés. Quatre thèmes ont émergé des douze entretiens : les expériences développementales (des difficultés au début de la vie familiale, des expériences négatives à l’école, un développement sexuel difficile, des difficultés dans les relations intimes), les raisons du premier téléchargement de pédopornographie (le stress, la progression à partir de matériel légal, la solitude et l’isolement), l’explication du maintien de ce téléchargement (le fait de surmonter des émotions négatives, l’addiction, le déni) et les expériences de traitement (Morgan et Lambie, 2018).
Dans une étude de 2018, des chercheurs ont voulu déterminer le début et le maintien du téléchargement de matériel pédopornographique via des entretiens semi-structurés de vingt-cinq personnes arrêtées pour ces faits. Le début du téléchargement est expliqué par la transition de la pornographie adulte à celle impliquant des enfants, par une recherche active ou comme conséquence d’un accident. Ceux qui ne disent pas qu’il s’agissait d’un accident indiquent qu’ils ont commencé car ils avaient un intérêt pour l’innocence et l’inexpérience des mineurs ou pour faire quelque chose d’immoral et illégal, par curiosité ou en raison de leur isolement ou de leur frustration. Le maintien du téléchargement est expliqué par l’attrait de l’innocence et de l’inexpérience, mais aussi par le frisson, le risque et la gratification que cela procure (Steely et al., 2018). Une troisième étude a fait émerger divers thèmes provenant d’entretiens de téléchargeurs de pédopornographie questionnant les causes du passage à l’acte : la gratification sexuelle (le manque de partenaire, l’intérêt sexuel pour les tabous ou pour les enfants), l’autorégulation émotionnelle (les problèmes interpersonnels, la dépression et le stress), la facilitation du comportement (l’excitation sexuelle hyperfocalisée, l’évasion, la recherche de nouveauté, la dépendance) et le maintien du comportement (le conditionnement et l’obsession). Le conditionnement concerne les individus qui n’ont pas d’intérêt sexuel pour les enfants, mais qui ont développé un intérêt pour la pédopornographie, alors que la compulsion est plus à mettre en lien avec une sorte d’addiction à ce type de contenus (Knack et al., 2019).
Validité et fidélité
Soucieux de prendre en compte les concepts de validité et de fidélité, nous avons veillé à plusieurs éléments tout au long de la recherche. Tout d’abord, nous avons organisé un double pré-test. Le premier pré-test était une consultation avec sept professionnels (assistants sociaux, criminologue, psychiatre et psychologues). Leur expérience avec les téléchargeurs de pédopornographie nous a aiguillés sur l’ordre des questions, le vocabulaire, la formulation des questions et la précision des thématiques. Le deuxième pré-test était un entretien avec un téléchargeur de pédopornographie qui est inclus dans cette recherche. Cet entretien nous a permis de nous exercer à aborder tous les thèmes avec fluidité et nous entraîner dans la relation avec l’interrogé. L’enregistrement de cet entretien a permis au chercheur de s’entendre parler et ainsi de corriger son intonation ou la formulation des questions. Ce double pré-test a ainsi permis d’améliorer tant la structure que le contenu des entretiens suivants. Ensuite, les divers entretiens ont été menés dans les locaux de la prise en charge habituelle des interrogés et réalisés par le même chercheur. Les questions ouvertes abordaient les mêmes thématiques lors de chaque entretien et les questions du questionnaire n’ont pas varié d’un entretien à l’autre. C’est pourquoi l’entretien réalisé lors du pré-test a été conservé au sein de cette étude. Cependant, l’un des entretiens a été écourté par le chercheur lorsque l’émotion était trop forte pour le participant à l’étude.
Cet entretien n’a pas été repris dans l’analyse des données, mais permet une mise en perspective des résultats dans la partie relative à la discussion. La retranscription des entretiens et l’analyse thématique ont permis de conserver le sens des propos des répondants et ainsi de rendre les résultats valides. Il est important pour nous de préciser que cette retranscription a été faite exclusivement par le chercheur, sans l’aide d’un quelconque logiciel de retranscription qui nous aurait posé des questions éthiques. Quatre personnes ont refusé l’enregistrement audio, mais ceci a été compensé par une prise de notes la plus précise possible. Certaines phrases jugées importantes ont été notées telles qu’elles ont été prononcées afin de ne pas perdre le sens des propos. Quant à la question de savoir si les résultats peuvent être généralisés à l’entièreté des autres hommes condamnés pour téléchargement de pédopornographie et suivis dans un service spécialisé pour AICS, nous pensons que oui. En effet, les informations que nous avons recueillies auprès de huit Parquets de Belgique (cf. annexe 7) vont toutes dans la même direction quant à l’issue des dossiers pour pédopornographie. Il n’y a pas de directives du Collège des procureurs fédéraux pour harmoniser les pratiques, mais il semble unanime qu’il n’y a pas de classement sans suite (sauf quand le téléchargement a lieu dans un contexte d’humour ou sans malveillance), qu’il y a peu de médiation pénale et encore moins de transaction pénale, et que la mesure la plus demandée est le sursis probatoire. Les poursuites judiciaires semblant être homogènes sur le territoire belge, il semble cohérent d’affirmer que le profil des personnes suivies dans les services spécialisés différerait uniquement en fonction des caractéristiques démographiques des régions. Nous pensons que ces différences ne devraient pas constituer un obstacle à la généralisation des résultats à l’ensemble de la Belgique.
1. Abstract |