Des moyens de gestion pluriels et conciliants
Il existe une pluralité de modes de gestion des aires marines protégées. Très souvent, les gestionnaires optent pour plusieurs modes à la fois pour remplir les objectifs qu’ils se sont assignés. Il existe une foule de possibilités. Les gestionnaires ont pour ambition de concilier les impératifs écologiques et les impératifs économiques : protéger l’environnement tout en permettant aux activités humaines d’exister. Ce difficile équilibre s’obtient par divers biais. Les gestionnaires bénéficient d’un large choix : ils peuvent utiliser les moyens principaux de gestion (section 1) ou les moyens secondaires (section 2).
Les moyens principaux
La voie contractuelle
Les gestionnaires des aires marines protégées disposent de l’outil contractuel pour mener une politique environnementale équilibrée, modérée dans ses effets économiques. Ils peuvent passer des contrats, des conventions avec les représentants des usagers des espaces naturels afin d’encadrer leurs activités et de les rendre compatibles avec l’ambition de protection de l’environnement. Ces contrats n’ont pas nécessairement de
Les moyens de gestion diversifiés face à l’inévitable défi de la conciliation force probante maisconstituent néanmoins des éléments incitatifs importants. Le législateur, dans les textes, consacre cette possibilité contractuelle au seul bénéfice dessites Natura 2000 et des espaces du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres. Il reste muet à propos des autres aires marines protégées. Cependant, la pratique nous enseigne que cet oubli législatif n’est en rien rédhibitoire : les gestionnaires des autres aires marines protégées peuvent passer des accords avec des usagers afin de réglementer l’impact environnemental.Le législateur est en revanche très volubile quand il s’agit des sites Natura 2000. Les gestionnaires peuvent encadrer contractuellement une activité se déroulant sur une zone Natura 2000 de deux façons différentes : le contrat Natura 2000 et la charte Natura 2000.
Un contrat Natura 2000 est une convention conclue entre l’Etat (et la région ou la collectivité territoriale de la Corse) et des propriétaires ou usagers de terrains inclus dans la zone Natura 2000. Cette convention a pour objet d’engager le propriétaire ou l’usager à respecter les orientations fixées dans le document d’objectifs en échange d’uneaide financière de la part de l’Etat ou de la région. Le contrat a une durée de 5 ans.
L’Etat contrôle la bonne exécution des obligations du cocontractant comme l’énonce l’article R.414-15 du code de l’environnement : « Le préfet, conjointement avec le commandant de la (Décr. no 2017-744 du 4 mai 2017, art. 6) «zone terre» pour ce qui concerne les terrains relevant du ministère de la défense, et l’autorité compétente de la région ou, en Corse, de la collectivité territoriale de Corse signataires du contrat s’assurent du respect des engagements souscrits dans le cadre des contrats Natura 2000.». « A cet effet, des contrôles sur pièces sont menés par les services déconcentrés de l’État (Décr. no 2015-959 du 31 juill. 2015, art. 4-2o) «, par les services de la région ou, en Corse, de la collectivité territoriale de Corse» ou (Décr. no 2009-340 du 27 mars 2009, art. 10-I) «l’Agence de services et de paiement». Ceux-ci peuvent, après en avoir avisé au préalable le titulaire du contrat, vérifier sur place le respect des engagements souscrits. »
L’Etat, la région ou la collectivité territoriale de la Corse peuvent prendre des mesures contraignantes si le cocontractant manque à ses obligations contractuelles. En vertu de l’article R.414-15-1 du code de l’environnement, la contrepartie financière peut être remise en cause.
Les gestionnaires du site Natura 2000 de la baie de Goulven (Finistère), par exemple, ont utilisé le contrat Natura 2000 à de multiples reprises notamment afin de restaurer des dunes ou encore de protéger des oiseaux210.
Outre le contrat Natura 2000, les gestionnaires de cette catégorie d’aires marines protégées disposent de la charte Natura 2000. La charte 2000 ressemble au contrat Natura 2000 : le cocontractant s’engage à respecter les objectifs environnementaux de la zone Natura 2000 (article R.414-12 du code de l’environnement) et est contrôlé (R.414- 12-1 du code de l’environnement). Cependant, le cocontractant ne bénéficie pas d’une aide financière en échange de ses engagements : « La charte Natura 2000 comporte un ensemble d’engagements définis par le document d’objectifs et pour lesquels le document d’objectifs ne prévoit aucune disposition financière d’accompagnement ».
Les gestionnaires des autres types d’aires marines protégées (parc national, réserve naturelle, parc naturel marin, espaces du Conservatoire de l’espace littoral et des rivageslacustres) n’ont pas un pouvoir contractuel consacré par le législateur, mais il n’existe pas moins. Par exemple, le Parc national des Calanques a conclu un partenariat avec plusieurs offices de tourisme (Marseille, Cassis, La Ciotat et Bouches-du-Rhône tourisme) en vue d’améliorer la sensibilité des touristes à l’importance des enjeux environnementaux qui caractérisent la zone212. Ainsi, parmi les engagements consentis par les offices de tourisme, la formation de leurs employés à la thématique de l’environnement figure en bonne place. Ces derniers doivent être capables de délivrer des informations relatives au parc des Calanques et à sa réglementation aux touristes. Le Parc des Calanques n’est pas un exemple isolé. D’autres parcs nationaux suivent le mouvement contractuel, dont le Parc national de Port-Cros. Les gérants de ce parc national ont décidé, par exemple, de conditionner la possibilité de se livrer à des activités de plongée dans les cœurs marins à la signature d’un règlement qui contient toutes les normes pertinentes213. De manière plus générale, le parc national de Port-Cros a conclu un partenariat avec une association de plongée, Plongée Hyères214.
Au niveau national, les gestionnaires des parcs nationaux ont créé un label, « Esprit Parc national », qui a pour but de valoriser les activités, les services et les produits qui respectent l’environnement des espaces des parcs nationaux. Ainsi, les professionnels qui adoptent un comportement écologique sont récompensés par la délivrance du label qui leur permet de se distinguer sur le marché.
La réserve naturelle, à l’instar du parc national, profite aussi des bienfaits de la contractualisation des rapports avec les usagers et professionnels. La réserve naturelle nationale de la baie de l’Aiguillon215 (au nord de la Rochelle) illustre ce mouvement. Les gestionnaires de la réserve ambitionnaient de relancer la culture des prés salés. Ils se sont réunis avec tous les acteurs intéressés dont les représentants des agriculteurs. Cela a abouti à une relance de l’agriculture dans cet espace encadrée par un cahier des charges qui liste des règles garantissant la protection de l’environnement.
Les parcs naturels marins ne sont pas en reste non plus. La passation d’accords ne leur est pas étrangère comme en témoigne l’exemple du parc naturel marin d’Iroise (Finistère). Ce dernier a mis en place un label à l’instar des parcs nationaux avec l’ « Esprit Parc national », qui a pour but de valoriser une pêche des ormeaux de Molène respectueuse de l’environnement216. Les pêcheurs, pour prétendre à ce label distinctif, doivent observer certaines règles relatives notamment aux quotas et aux périodes de pêche. C’est du donnant-donnant. De même, l’Agence des aires marines protégées (devenue l’Agence française pour la biodiversité) a conclu un partenariat avec le comité national des pêches maritimes et des élevages marins le 28 septembre 2010 en vue de concilier la pratique de la pêche et les exigences de protection de l’environnement.
La voie réglementaire
Outre la voie contractuelle, les gestionnaires des aires marines protégées disposent d’un autre outil : la réglementation. Cette réglementation est très diverse et généralement tend à prendre en compte l’existence d’activités économiques et ne se traduit que rarement par des interdictions générales et fermes.
Cette volonté de conciliation s’exprime à travers la pluralité des types de réglementations. Les personnes chargées de la gestion des aires marines protégées peuvent édicter des règles qui ont un champs d’influence spatial restreint (on les appellera les règles spatiales), des règles qui instaurent des périodes d’interdiction (les règles temporelles), des règles qui combinent les deux, et des normes qui s’affranchissent complètement de ces deux notions.
Les gestionnaires des aires marines peuvent instaurer des règles qui ont une portée spatiale limitée. Cela permet de préserver l’environnement raisonnablement, c’est-à-diresans porter préjudice indûment aux acteurs économiques d’une région. C’est le principe du zonage. Ce principe a été consacré par la loi et par la pratique.
Par exemple, le législateur à travers les articles L.331-1 et L.331-16 du code de l’environnement a associé le concept de zonage réglementaire à celui de parc national : « Il est composé d’un ou plusieurs cœurs, définis comme les espaces terrestres et maritimes à protéger, ainsi que d’une aire d’adhésion, définie comme tout ou partie du territoire des communes qui, ayant vocation à faire partie du parc national en raison notamment de leur continuité géographique ou de leur solidarité écologique avec le cœur, ont décidé d’adhérer à la charte du parc national et de concourir volontairement à cette protection. Il peut comprendre des espaces appartenant au domaine public maritime (L. no 2016-1087 du 8 août 2016, art. 160-I-1o) «ou au plateau continental et aux eaux sous souveraineté ou sous juridiction de l’État, en conformité avec la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, conclue à Montego Bay le 10 décembre 1982, notamment ses parties V, VI et XII».
Ainsi un parc national est composé de deux types de zones : le ou les cœurs et les aires d’adhésion. Ces zones se différencient par le degré de la rigueur réglementaire : les cœurs sont l’objet d’une protection plus importante. Le parc national recèle une autre richesse. En effet, une troisième zone peut segmenter encore davantage l’espace d’un parc national : la réserve intégrale. Cette zone peut être instaurée à l’intérieur du cœur. Il s’agit de mettre en place une protection encore plus exigeante en vue de la réalisation d’un objectif scientifique (article L.331-16 du code de l’environnement). Le Premier ministre a le pouvoir de mettre en place ces réserves comme en témoigne le décret n°2007-757 du 9 mai 2007. Par ce biais, le Premier ministre a créé une réserve intégrale au sein du parc national de Port-Cros. D’ailleurs, d’une manière générale, ce parc dispose d’un espace qui est très segmenté par différents zonages réglementaires. Le zonage du parc national de Port-Cros concerne nombre d’activités économiques. Il existe ainsi un zonage relativement à l’activité de pêche qui varie selon sa nature (loisir ou professionnelle). Par exemple, la pêche de loisir est complètement proscrite dans certaines zones, dans d’autres elle est autorisée seulement pour la pêche à la traîne (annexe 1). Cette diversité se retrouve aussi dans le zonage des activités de pêche professionnelle (annexe 2) : dans certains espaces, les engins de pêches sont interdits, ce sont certaines techniques de pêches qui sont proscrites (hameçons et ligne). Mais il existe aussi des réglementations spatiales qui se rapportent à la circulation des navires :il existe des endroits où les navires ne peuvent pas mouiller, embarquer ou circuler (annexe 3). Les gestionnaires du Parc national de Port-Cros ont usé à plein régime de la possibilité de segmenter l’espace afin de concilier les impératifs économiques et écologiques. Cette possibilité de segmenter le cœur d’un parc national marin n’est pas prévue par la loi qui évoque seulement le concept de réserve intégrale. Ainsi le zonage est consacré à la fois par la loi et la pratique. Mais le Parc national de Port-Cros n’est pas le seul parc à mobiliser ainsi des moyens de zonage. Le Parc national des Calanquessuit lamême logique, notamment en matière de pêche. Cette politique de la réglementation spatiale se traduit par la mise en place de zones de non prélèvement (ZNP), des zones où la pêche est complètement interdite220. Les gestionnaires du Parc ont décidé d’en créer sept qui recouvrent à peu près dix pour cent du territoire du cœur. Mais il ne faudrait pas croire que le procédé du zonage est propre au parc national. D’autres catégories d’aires marines protégées sont friandes de cet outil. Le législateur a prévu la possibilité de créer un périmètre de protection autour d’une réserve naturelle.
Cela permet notamment d’empêcher la nuisance de constructions qui se situeraient à proximité d’une réserve. Cette ouverture au zonage réglementaire a été permise par l’article L.332-16 du code de l’environnement : «Le conseil régional, pour les réserves naturelles régionales, ou le représentant de l’État, pour les réserves naturelles nationales, peut instituer des périmètres de protection autour de ces réserves. En Corse, la décision relève de l’Assemblée de Corse lorsque la collectivité territoriale a pris la décision de classement.» Ces périmètres sont créés après enquête publique (L. no 2010-788 du 12 juill. 2010, art. 240-I-1o) «réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du présent code» sur proposition ou après accord des conseils municipaux. — [ C. rur., art. L. 242-15 .] »
Le préfet dispose du pouvoir de création d’un périmètre de protection (R.332-28). Outre le périmètre de protection, les gestionnaires des réserves naturelles ont l’opportunité, à l’instar des gestionnaires des parcs nationaux notamment, de procéder à un découpage de l’espace afin d’instaurer des régimes juridiques différents. La réserve de la baie de Saint-Brieuc illustre cette possibilité. La majeure partie de la réserve fait l’objet d’une protection renforcée. Le zonage est un phénomène qui concerne d’autres catégories d’aires marines protégées, notamment le parc naturel marin. Par exemple, les responsables du parc du Golfe de Lion, dans leur plan de gestion, ont intégré le concept de segmentation juridique de l’espace. Ainsi dans le plan de gestion du parc naturel marin, est prévu de « mettre en place des zones de protection des zones fonctionnelles »
Les zones fonctionnelles étant des zones primordiales pour les espèces comme les aires d’alimentation ou de reproduction. Le plan de gestion contient d’autres références au procédé du zonage. Les gestionnaires sont encore plus clairs dans leur intention relativement à l’exploitation des ressources naturelles du parc : ils souhaitent instituer « une réglementation zonale ». Enfin, encore dans le plan de gestion, ils préconisent la mise en œuvre de «zones de repos biologique » concernant l’exploitation halieutique de la mer.
Les réglementations spatiales ne constituent pas le seul moyen de protéger de façon équilibrée l’environnement. Le compromis peut s’obtenir en empruntant d’autres voies. La réglementation temporelle, c’est-à-dire les règles qui se basent sur des périodes, est une alternative ou un complément aux segmentations spatiales. Les gestionnaires desaires marines protégées l’ont intégrée dans leur politique de préservation de l’espace marin. Ainsi, par exemple, la réserve naturelle de la Baie de Somme est le théâtre d’une réglementation temporelle. L’arrêté n°47/2017226, par son article premier, interdit la pêche à pied des coques à partir du 9 juin 2017 alors que celle-ci était autorisée depuis le 1 juin 2017.
Les réglementations temporelles peuvent se combiner avec les réglementations spatiales. Le Parc national de Port-Cros est un adepte de cette combinaison qui est utilisée au sujet de la plaisance et de la plongée notamment. Par exemple, dans une certaine zone, le mouillage des navires est proscrit du 1er juillet au 31 août. Mais la réglementation des aires marines protégées ne se résume pas à un florilège de normes dont le champs d’application est restreint soit temporellement soit spatialement.
Il existe des règles qui s’affranchissent de ces limites pour s’appliquer de manière permanente et sur l’intégralité d’une aire marine protégée. Ces règles peuvent porter sur l’activité de pêche par exemple. Au sein du Parc national des Calanques une réglementation sur la quantité de poissons pêchés est en vigueur. Le Parc a mis en place des quotas. Ainsi, au sein du Parc national des Calanques, concernant la pêche embarquée, un navire n’a pas le droit de pêcher plus de 20 kilogrammes de poissons par jour (des prises additionnelles sont néanmoins autorisées relativement à certaines espèces)227. De même des interdictions pures et simples de pêcher certaines espèces sont aussi en place : le Parc national des Calanques interdit la pêche sous-marine des raies et requins. Le Parc national de Port-Cros énonce aussi des interdictions absolues, notamment en matière de plongée sous-marine. Le règlement 2017 de la plongée sousmarine proscrit tout contact avec les espèces marines, de même qu’il interdit de les nourrir. Ce sont des réglementations plus sévères que les règles spatiales ou temporelles mais contribuent malgré tout à l’établissement d’un compromis entre laréalisation des objectifs environnementaux et la perpétuation des activités économiques qui sont présentes dans l’aire marine protégée. En effet, il s’agit d’interdictions absolues en ce qu’elles ne sont pas limitées dans le temps et dans l’espace. Cependant, ces interdictions portent seulement sur des éléments précis (un type d’engin de pêche par exemple) qui sont particulièrement problématiques pour l’environnement marin, si bienqu’elles ne remettent pas en cause la bonne marche de la vie économique de l’aire. Outre les moyens principaux, il existe aussi des moyens secondaires.
Les moyens secondaires
La voie pénale
Le législateur a prévu des sanctions importantes en cas de non-respect de l’environnement en général et de l’environnement marin en particulier. Ce système pénal est un élément de conciliation en ce qu’il incite fortement les acteurs du monde économique à faire preuve de modération dans la mise en œuvre de leurs activités et à observer les réglementations souples mises en place. La menace pénale est l’une des garantes du bon comportement des professionnels et usagers. Si les gestionnaires des aires marines protégées peuvent se permettre d’accorder une importante liberté aux acteurs économiques, de se montrer conciliants, c’est aussi parce qu’ils ont la possibilité de s’appuyer sur un arsenal pénal important.