Les modèles spectraux d’état de mer
Les modèles spectraux d’état de mer, qui résolvent l’équation d’évolution du spectre d’énergie des vagues (1.45), sont couramment utilisés pour la prédiction des états de mer car ils permettent de s’affranchir des détails du mouvement des vagues. Trois générations de modèles de vagues se sont succédées, s’appuyant sur des connaissances physiques de plus en plus importantes et sur l’accroissement des capacités informatiques.
Modèles de 1ère et 2ème génération
Les premiers modèles spectraux d’état de mer ont été élaborés dans les années 1950 – 1960 (Gelci et al., 1957). Ils s’appuient sur les théories de Miles (1957) et Phillips (1957) pour la génération des vagues par le vent et sur le concept de saturation universelle de Pierson & Moskowitz (1964). Les interactions non-linéaires sont traitées comme un phénomène secondaire et négligées ou paramétrisées très sommairement. Ces modèles sont appelés « modèles de 1ère génération » (1G) (cf. SWAMP Group, 1985). Dans les années 1970, des mesures plus précises, avec notamment le projet JONSWAP (Hasselmann et al., 1973), ont permis une meilleure connaissance de la physique des vagues et ont montré l’importance des transferts non-linéaires dans la modélisation des états de mer. Les modèles de 2ème génération (2G) apparaissent alors, prenant en compte les premières paramétrisations des interactions non-linéaires vague-vague (e.g. Barnett, 1968; Ewing, 1971; Hasselmann et al., 1976) et comprenant un couplage entre les différentes composantes spectrales. Ces paramétrisations souffrent de certaines limitations ; en particulier elle sont conçues pour des cas idéalisés et ne permettent pas de reproduire les observations dans des situations complexes. On pourra se référer au SWAMP Group (1985) pour une description des caractéristiques et une classification des modèles de 1ère et 2ème génération.
Modèles de 3ème génération
Le développement de la méthode de calcul des interactions non-linéaires DIA (Hasselmann et al., 1985) a marqué le début des modèles de 3ème génération. Dans ces modèles, chaque composante spectro-angulaire du spectre de variance évolue « librement » sous l’action combinée des différents processus physiques pris en compte. Le terme de transfert nonlinéaire Snl n’est plus paramétrisé, mais calculé à partir de l’expression (1.64) de manière plus ou moins approchée (i.e. en considérant un nombre plus ou moins important de configurations vérifiant (1.65)). La méthode DIA permet aux modèles de résoudre l’équation d’évolution (1.45) pour des applications opérationnelles à des coûts de calculs raisonnables, sans imposer de restriction sur la forme du spectre. Le premier modèle de 3ème génération (3G) est le modèle WAM (WAMDI Group, 1988; Komen et al., 1994), qui a été implémenté pour des applications dans le domaine océanique ou les mers continentales. A la suite de WAM, d’autres modèles comme WAVEWATCH III (Tolman, 1991, 2002), SWAN (Booij et al., 1999) ou TOMAWAC (Benoit et al., 1996a), puis plus récemment le modèle CREST (Ardhuin et al., 2001) ont été développés. Le modèle SWAN (Ris, 1997; Booij et al., 1999) est le premier modèle de 3ème génération conçu spécialement pour les applications côtières, incluant les effets de déferlement bathymétrique et les interactions non-linéaires entre triplets de fréquences. Des développements apportés à la version WAM-Cycle 4 du modèle WAM ont permis d’améliorer son fonctionnement en eau peu profonde (Monbaliu et al., 1999, 2000). Certains modèles de recherche incluent aujourd’hui des méthodes de calcul quasi-exactes du terme Snl, comme la méthode WRT (Webb-Resio-Tracy) (Webb, 1978; Resio & Perrie, 1991), ou la méthode GQM (Gaussian Quadrature Method) (Lavrenov, 2001) (voir description dans le chapitre 2). Les temps de calcul de ces méthodes sont encore trop importants pour des applications pratiques à grande échelle. Néanmoins, grâce aux améliorations de ces méthodes et aux outils informatiques de plus en plus puissants, on peut espérer un calcul quasi-exact des interactions non-linéaires dans un avenir proche.
Le modèle TOMAWAC
Le logiciel TOMAWAC (acronyme de TELEMAC-based Operational Model Addressing Wave Action Computation) d’EDF R&D, intégré au sein du système TELEMAC, a été développé au Laboratoire National d’hydraulique et Environnement (LNHE) par Michel Benoit et Frédéric Marcos en 1995-1996 (Benoit et al., 1996a,b). Entre 1996 et 1998, les fonctionnalités de TOMAWAC ont été étendues au domaine côtier, principalement dans le cadre de la thèse de Françoise Becq-Girard (Becq, 1998). La modélisation des processus physiques d’interactions non-linéaires entre triplets de fréquences (« triad interactions ») et de déferlement est alors ajoutée. TOMAWAC est aujourd’hui un outil utilisé au sein d’EDF pour plusieurs projets, mais également hors EDF par plusieurs universités et bureaux d’études. Récemment, il a permis de construire un Atlas Numérique d’états de mer (Benoit & Lafon, 2004), par simulation rétrospective des 25 dernières années à partir des champs de vent ré-analysés de la base ERA-40 du Centre Européen de Prévision Météorologique (ECMWF). L’originalité du code TOMAWAC réside dans l’utilisation de maillages non-structurés de type « éléments finis » pour mailler le domaine maritime et côtier, alliée à un schéma de propagation basé sur la méthode des caractéristiques (i.e. non-soumis à des conditions de stabilité sur le nombre de Courant). 1.4 Aspects numériques Les simulations entreprises dans le cadre de cette thèse sont réalisées avec un modèle d’état de mer basé sur le code TOMAWAC, simplifié sous certains aspects : • on se place en grande profondeur d’eau car la méthode de calcul quasi-exacte des interactions non-linéaires que nous utilisons n’est pas étendue au cas de la profondeur finie ; • on utilise un maillage spatial simplifié pour effectuer : 1. des simulations en 0 dimension (0D), i.e. comprenant un seul point en espace (homogénéité spatiale) : reproduction de l’évolution temporelle d’un spectre d’état de mer soumis aux termes sources en fonction de la durée d’action du vent, cas de durée limitée par exemple. 2. des simulations à une dimension d’espace (1D), c’est à dire comprenant N points selon l’axe des x, et homogènes selon l’axe des y : cas de fetch limité ou oblique. En revanche, plusieurs options ont été ajoutées, et devront être incorporées dans une nouvelle version du modèle d’état de mer TOMAWAC (ce qui sera fait après la thèse) : • nous avons implémenté de nouvelles méthodes pour la modélisation des termes de génération par le vent, de dissipation et de transfert non-linéaire en eau profonde ; • la possibilité d’utiliser un pas de temps dynamique pour l’intégration en temps des termes sources est proposée ; • une nouvelle option a été ajoutée pour le calcul du limiteur de croissance ; 26 Chapitre 1. Eléments sur la modélisation spectrale des états de mer • enfin, il possible de ne pas imposer de queue diagnostique dans les hautes fréquences du spectre.
Discrétisation
La densité spectrale de variance F est une fonction de 5 variables (f, θ, x, y, t). La discrétisation concerne donc les deux variables spectro-angulaires, mais aussi les variables d’espace et de temps. En ce qui concerne la discrétisation temporelle, nous verrons qu’elle peut s’effectuer à l’aide de pas de temps fixes ou dynamiques (variables au cours du temps) dans la partie suivante.
Discrétisation spectro-angulaire
Le spectre directionnel de variance (ou d’action) de l’état de mer est décomposé en un nombre fini de fréquences (f) et de directions de propagation des vagues (θ). Le domaine fréquentiel [f1, fmax] est discrétisé en considérant une suite de NF fréquences en progression géométrique : fn = f1q n−1 pour n allant de 1 à NF où q est la raison de la suite géométrique. On a donc fmax = f1q NF −1 . Les directions de propagation sont régulièrement réparties sur [0, 2π], avec une résolution angulaire notée ∆θ. Dans les simulations exposées ci-après, on utilise généralement des résolutions angulaires de 5 ◦ à 10◦ .
Discrétisation spatiale
Dans le modèle TOMAWAC, le domaine de calcul spatial (qui peut être cartésien ou sphérique) est discrétisé à l’aide d’un maillage d’éléments finis triangulaires. La taille de la maille peut ainsi être variable sur le domaine spatial, ce qui permet de raffiner le maillage dans certaines zones d’intérêt, en particulier à l’approche des côtes. Les simulations réalisées dans cette thèse s’appuient sur un maillage simplifié, qui pourra être réduit à un point (0D) ou à N points selon l’axe des x, avec une résolution ∆x. ∆x pourra être choisi fixe ou en progression géométrique : ∆xn = ∆x1q n−1 pour n allant de 1 à N.
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