Les modèles de traitement du nombre et du calcul
Les études de cas de double-dissociation et les premiers modèles
Les travaux en neuropsychologie et notamment l’étude des cas de double-dissociation ont permis de rendre compte de deux types de traitements distincts : un traitement exact du nombre et un traitement approximatif. En effet certains patients peuvent subir, suite à une lésion, un déficit au niveau du traitement exact alors que leurs capacités de traitements approximatifs sont conservées (Dehaene et Cohen, 1991). D’autres au contraire, présentent des difficultés au niveau approximatif mais peuvent conserver certaines capacités de calcul exact.
A cet argument viennent s’ajouter les découvertes en neuro-imagerie qui ont permis de montrer que des réseaux neuronaux distincts sont impliqués dans les différents types de traitements des nombres. Ainsi, face à un calcul non verbal et analogique, le sillon intra-pariétal serait activé. Quand on réalise un calcul verbal nécessitant une compréhension, les zones cérébrales impliquées dans le traitement du langage s’activeraient simultanément à l’activation du sillon intra-pariétal. Ces deux circuits relativement indépendants mais qui communiquent permettent de mieux comprendre le fonctionnement lors des traitements numériques.
Les études de cas ainsi que les données en neuro-imagerie ont permis d’élaborer des modélisations de la manière dont on traite le nombre et le calcul. Les premiers modèles s’opposaient sur la question de savoir si le traitement des nombres était sémantique ou non. Le modèle asémantique de Deloche et Seron (1987) s’intéresse au transcodage et se base sur l’analyse psycholinguistique des erreurs produites par des patients aphasiques. Ils observent qu’il existe deux types d’erreurs différentes : sémantiques (« 203 » écrit 21003) ou lexicales (109 écrit 107).
Le modèle est constitué de deux étapes : l’étape lexicale (informations sur la classe et la position des nombres) puis l’étape sémantique (règles de transcodages). Toutefois, le traitement n’est pas forcément sémantique lorsque le transcodage s’appuie sur la morphologie des motsnombres. Ce modèle présente la limite majeure de ne pas considérer la représentation analogique. De plus, il n’explique pas l’origine des erreurs. Mc Closkey, Caramazza et Basili (1985) proposent un modèle plus étendu que celui de Deloche et Seron. Ils différencient un système lié à la compréhension, un autre lié à la production ainsi qu’un système lié au calcul et introduisent une représentation sémantique entre ces trois Les modèles de traitement du nombre et du calcul 20 modules.
Le système de compréhension permet de traduire le nombre écrit ou verbal sous forme interne tandis que le système de production passe d’une représentation interne à un format symbolique. Ces deux systèmes sont distingués pour l’oral et pour l’écrit. Le système de calcul permet de traiter les mots, les signes et les procédures de calcul ainsi que de stocker les faits arithmétiques. Le passage par le système sémantique serait obligatoire. Toutefois, ce modèle a été critiqué puisqu’il ne considère pas le traitement lié à la quantité et au code analogique.
De plus, des études ont montré qu’il n’était pas obligatoire de passer systématiquement par une représentation sémantique. A ce jour, les auteurs se positionnent plutôt en faveur d’un accès à une information sémantique dans certains traitements numériques. Nous allons maintenant développer deux modèles dominants reposants sur ce postulat et sur lesquels nous basons notre travail: le modèle de Dehaene et Cohen (1995) et le modèle de von Aster et Shalev (2007). Ces modèles sont, à ce jour, les plus complets et les plus récents.
L’élaboration d’un modèle anatomique et fonctionnel de la construction du nombre (Dehaene)
Dehaene (1992), tout comme McCloskey (1992), considère l’importance de la représentation analogique dans la construction des apprentissages numériques. Ainsi, en 1992, Dehaene introduit une modélisation fonctionnelle du traitement numérique qui permet de rendre compte des processus impliqués dans les différentes tâches numériques. Par la suite, ce modèle sera affiné notamment d’un point de vue anatomo-clinique (Dehaene et Cohen, 1995). C’est un des modèles les plus exploités actuellement car il dispose d’appuis neuro-anatomiques et de données empiriques solides (Fayol, 2012).
Ce modèle (cf. Figure 1) distingue trois codes de traitement, chacun étant associé à des activités numériques particulières : un code non-symbolique (grandeurs, quantité ; versant analogique) et deux codes symboliques (oral et écrit). Ces derniers sont considérés comme des codes asémantiques tandis que le code analogique contiendrait la sémantique des nombres – « le sens des nombres » – et serait indépendant du langage. C’est par connexion avec le code analogique que les symboles numériques et les calculs acquièrent ensuite une signification numérique.