Les modèles biogéochimiques des écosystèmes aquatiques

Les modèles biogéochimiques des écosystèmes aquatiques

Les modèles biogéochimiques sont développés dans le but de comprendre et prévoir les variations spatio-temporelles des éléments chimiques (oxygène dissous, carbone, azote, phosphore…) sous l’action de l’activité biologique (bactéries, phytoplancton, zooplancton,…) et de phénomènes physiques (dispersion, sédimentation, aération, …). Une fois validés, ces modèles peuvent servir d’outil de gestion pour évaluer les impacts d’une pollution, d’une réduction de pollution, ou du changement climatique sur la qualité du milieu.
Les études portant sur la modélisation de l’oxygène dissous permettent d’améliorer les connaissances des facteurs responsables de la formation des zones hypoxiques et d’identifierla contribution individuelle de chaque processus biogéochimique et physique (Lopes et al., 2008 ; Peña et al., 2010 ; Talke et al., 2009 ; Testa et al., 2014). De plus, l’impact del’urbanisation des zones côtières peut être simulé en insérant des apports de matièressupplémentaires. Les modèles deviennent des outils utiles pour la gestion de la qualité des eaux côtières, des fleuves, des rivières ou des lacs. Ils peuvent aussi être utilisés pour tester des scénarii de remédiation des événements d’hypoxie, par exemple en diminuant les apports de nutriments ou de matière organique (Cerco etal., 2000 ; Justić et al., 2007 ; Skerratt et al.,2013 ; Vanderborght et al., 2007 ; Wild-Allen et al., 2009). L’objectif final d’un modèle biogéochimique est de devenir un outil d’aide à la décision pour les politiques de gestion de l’eau.

Principe des modèles biogéochimiques

Afin de reproduire de manière réaliste les cycles biogéochimiques de l’écosystème aquatique, il est important de porter une attention aux différents forçages qui s’appliquent. Le couplagedu modèle biogéochimique à un modèle hydrodynamique est essentiel afin d’avoir unereprésentation réaliste de la dynamique des éléments biogéochimiques (Peña et al., 2010).
Selon les environnements et les processus biogéochimiques qui s’y déroulent, il peut êtreaussi nécessaire de coupler les modèles biogéochimiques avec un modèle de transportsédimentaire (dépôt, remise en suspension, floculation des particules ; Cugier et Le Hir,2002), avec un modèle diagénétique (réactions biogéochimiques qui ont lieu dans la couchesédimentaire ; Soetaert et al., 2000 ; Soetaert et Middelburg, 2009) ou avec un modèle de dynamique de populations biologiques (trophie, développement d’une espèce ; Blauw et al.,2008).
Les modèles biogéochimiques varient suivant les processus représentés : de la croissance du phytoplancton vu comme une seule entité homogène pour les plus simples à la descriptiondétaillée de plusieurs compartiments du réseau trophique pour les plus complexes. Lespremiers modèles biogéochimiques du milieu aquatique consistaient en un modèle NPZ(Nutriments, Phytoplancton, Zooplancton ; Steele, 1962), puis les détritus ont été ajoutés dansles modèles NPZD (Nutriments, Phytoplancton, Zooplancton, Détritus). Le nombre de variables d’état peut être augmenté en divisant les compartiments en sous-groupes. Par exemple, en prenant en compte différents types de phytoplancton (comme les diatomées, cyanobactéries, dinoflagellés …), de zooplancton (comme les micro- et méso- zooplancton) et de nutriments (l’ammonium, les nitrates, le phosphate et les silicates) (Billen et al., 1994).
De plus, si l’on s’intéresse au cycle complet de plusieurs éléments (carbone, azote, phosphore, oxygène dissous), des compartiments tels que la matière organiquedissoute/particulaire carbonée, azotée, et phosphorée pourront être ajoutés (Peña et al., 2010).
Lors de la construction du modèle biogéochimique, en plus de devoir choisir le nombre et le type de variables, il est nécessaire de choisir les processus les plus significatifs et lesformulations qui permettront de simuler au mieux les interactions entre chacune des variables. Ces choix sont faits en fonction de la problématique scientifique et de la zone d’étude. Les connaissances de l’écosystème et les mesures expérimentales réalisées in-vitro ou in-situ sont alors extrêmement utiles pour choisir les variables, les processus et leursformulations.
Dans le cas d’un système eutrophe et stratifié, il sera important de bien représenter la photosynthèse et les processus de croissance et de mortalité du phytoplancton. De plus les processus liés à l’activité du zooplancton pourront être décrits (la croissance, la prédation, le broutage et la mortalité) par le modèle. Inversement, pour un système turbide et mélangé, la photosynthèse ne sera pas toujours utile à simuler ; par contre la dynamique de la matière en suspension devra généralement être prise en compte. Les processus simulés généralement dans les modèles pour chacune des variables sont détaillés dans le tableau I.6.

Différents modèles biogéochimiques

De nombreux modèles biogéochimiques ont étés développés afin d’étudier les problèmes d’hypoxies dans les zones côtières. Parmi les modèles largement utilisés par la communauté scientifique dans les estuaires ou baies on peut citer: CE-QUAL-ICM (Cerco et Cole, 1994), RCA (Hydroqual, 1995 ; Zhang et Li, 2010), Mike-ECOLab (Mike3-EcoLab, 2005), CAEDYM (Hamilton et Schladow, 1997), EFDC (Park et al., 1995) (Tableau I.7). Tous ces modèles peuvent être appliqués à plusieurs systèmes aquatiques (rivières, baies, estuaires…) et pour différents problèmes environnementaux. Ce sont des modèles aquatiques écologiques multi-paramètres qui permettent d’étudier les effets de l’eutrophisation sur l’écosystème et d’évaluer ses impacts environnementaux. Leur structure permet d’activer ou de désactiver certaines variables pour adapter ou simplifier le modèle selon la problématique de l’environnement. Par exemple, ces modèles biogéochimiques ont été utilisés pour étudier l’impact de l’eutrophisation sur la formation de l’hypoxie sur la baie de Chesapeake (par l’utilisation des modèles CE-QUAL-ICM : Bever et al., 2013, et RCA : Testa et al., 2014), sur la rivière de Perles (Pearl River Delta en Chine par l’utilisation du modèle RCA : Hu et Li, 2009, Zhang et Li 2010), sur l’estuaire de Yangtze (par l’utilisation du modèle EFDC : Li et al., 2009, Zhang et al., 2011) ou encore sur la baie Perdido aux États-Unis (par l’utilisation du modèle EFDC : Xia et al., 2011). Sur l’estuaire de l’Elbe, le modèle EcoLab a permis de mettre en lien les chutes d’oxygène à la remise en suspension de la matière organique
(Hammrich et Schuster, 2014). Les modèles biogéochimiques ont aussi été utilisés pour étudier les blooms de phytoplancton sur le détroit Puget Sound aux États-Unis (par l’utilisation du modèle CE-QUAL-ICM : Khangaonkar et al., 2012). L’exploitation du modèle EcoLab a permis de trouver des solutions de gestion pour limiter les blooms de cyanobactéries sur l’estuaire de Himmerfjärden en Suède (Liungman et Moreno-Arancibia,2015). Les résultats du modèle CAEDYM ont permis de montrer l’atténuation des blooms de dinoflagellés par le broutage du zooplancton sur l’estuaire du fleuve Swan en Australie (Griffin et al., 2001).
Pour les estuaires macro-tidaux, et en particulier ceux situés en France, d’autres types de modèles ont été développés pour étudier la qualité de l’eau. Sur l’estuaire de la Seine, le modèlebiogéochimique RIVE a été développé par Billen et al. (1994) et Garnier et al. (1995). Afin de simuler l’ensemble du système, RIVE est couplé à plusieurs modèle hydrosédimentaires :SENEQUE (Ruelland et Billen, 2002) pour les sous-bassins amont, PROSE (Even, 1995) pour la partie urbaine de la Seine aval et SiAM-3D (Cugier et Le Hir, 2002; Even et al., 2007b) pourl’estuaire. Le modèle biogéochimique RIVE décrit les processus detransformation de la matière organique sous différentes formes dans la colonne d’eau et àl’interface eau/sédiment. Pour cela, il couple le modèle AQUAPHY (Lancelot et al., 1991) qui calcule le taux de croissance du phytoplancton selon l’intensité de la lumière et les nutriments, et le modèle HSB (Billen, 1991) qui prend en compte les processus hétérotrophes de dégradation de la MO selon son niveau de biodégradabilité. Le modèle RIVE représente également les cycles des éléments de la matière organique (oxygène, azote, phosphore), le phytoplancton et les bactéries. La particularité de ce modèle est d’utiliser les cinétiques des processus provenant des mesures expérimentales et d’avoir identifié les différents types de phytoplancton. La nitrification est représentée explicitement par les bactéries nitrifiantes. Lemodèle RIVE permet donc une bonne description des processus algaux et bactériens del’estuaire de la Seine. Il a été utilisé pour étudier les variations spatiales et temporelles des diatomées et chlorophycées (Garnier et al., 1995), ainsi que pour évaluer l’impact des effluents urbains sur la qualité de l’eau de la Seine (Even et al., 2007a, 2007b, 2004). Cemodèle a ensuite été appliqué sur l’Escault (Billen et al., 2005) ainsi que sur le fleuve du Danube (Garnier et al., 2002). Sur la Loire, le modèle hydro-sédimentaire SiAM-1D (Le Hir et Thouvenin, 1992) est couplé au modèle biogéochimique, afin d’avoir une représentation du dépôt et de la remise en suspension de la « crème de vase ». De plus, le modèle biogéochimique prend en compte différents types de matière organique, en distinguant leurs cinétiques de dégradation, calculées en laboratoire (Thouvenin et al., 1994). Les résultats ont permis de montrer que la demande en oxygène de la MO urbaine est faible comparée à la demande d’oxygène de la MO algale provenant de l’amont du fleuve Loire (Thouvenin et al., 1994).
Dans l’estuaire de la Gironde, un modèle biogéochimique similaire à celui de la Loire a été développé dans le cadre de ce travail de thèse, et couplé à un modèle hydro-sédimentaire et en distinguant différentes origines de la MO.

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Application à l’estuaire de la Gironde

Comme décrit dans la section 2.5, l’estuaire de la Gironde est soumis à des épisodes d’hypoxies localisées en particulier sur la Garonne. L’objectif de la thèse étant de reproduire de façon réaliste ces épisodes d’hypoxies, un modèle biogéochimique a été développé. Ce modèle est basé sur la description des processus qui agissent sur les variations d’oxygène.
Les travaux récents basés essentiellement sur l’interprétation des mesures du réseau MAGEST (Etcheber et al., 2013 ; Lanoux et al., 2013) montrent que le bouchon vaseux est un facteur important dans l’explication des chutes d’oxygène. Il est donc important de coupler le modèle biogéochimique à un modèle de transport sédimentaire capable de représenter la dynamique du BV. Les études portant sur le bouchon vaseux de la Gironde, ont montré l’existence de forts gradients verticaux de concentration en matières en suspension(Sottolichio et al., 2000), qu’il semble important de décrire dans le modèle. Il sera doncnécessaire de coupler le modèle biogéochimique à un modèle hydrodynamique à 3dimensions.
Pour décrire correctement les phénomènes d’hypoxie dans le bouchon vaseux de la Gironde, notre modèle doit être capable de simuler, en plus de l’hydrodynamique sédimentaire :
– la consommation en oxygène par la MO particulaire et dissoute, d’origine terrestre, phytoplanctonique, et urbaine en fonction de leurs cinétiques de dégradation respective ;
– la consommation en oxygène par la nitrification de NH4 +issu de la partie fluviale eturbaine ;
– les échanges d’oxygène avec l’atmosphère en prenant compte des facteurs physiquestels que le courant, le vent et la turbidité.
Le chapitre suivant est dédié à la description détaillée du modèle hydro-sédimentaire et biogéochimique, et à la validation du modèle.

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