Les minorités tamoules à Colombo, Kuala Lumpur et Singapour

La volonté de reconnaissance identitaire de minorités nationales et surtout leur intégration socio-politique dans un État multiethnique est un sujet qui a toujours été d’actualité. Parmi les nombreux clivages qui distinguent les groupes dans la population d’un État (socio-économiques, origines géographiques, couleurs de peau, pratiques linguistiques, etc.), les différences religieuses et ethniques sont celles qui sont le plus souvent sources de tensions intercommunautaires. Selon que l’État adopte une conception inclusive ou exclusive des minorités dans l’identité nationale, l’ethnicité peut avoir un rôle central, périphérique ou ambigu dans la vie du pays. L’importance de l’identité ethnique par rapport à l’identité nationale dépend pour beaucoup du poids démographique des minorités et de la politique des États vis-à vis de ces dernières. L’exemple sri lankais est emblématique de la difficulté de certains États pluriels à intégrer et à faire identifier les différentes communautés de leur population à une nation commune. La question tamoule à Sri Lanka a été très médiatisée depuis le début du conflit intercommunautaire armé en 1987, et qui a opposé l’État à l’organisation séparatiste des Tigres de Libération de l’Eelam Tamoul (LTTE). Dans ce pays, l’échec de l’État post-colonial à construire une identité nationale qui sublimerait les différences ethniques a, au contraire, favorisé l’émergence de deux nationalismes ethniques antagonistes. Celui de la communauté majoritaire cingalaise étant soutenu et légitimé par l’État, alors que celui de la minorité tamoule est incarné par les leaders parlementaires tamouls jusque dans les années 1970, puis par les séparatistes tamouls du LTTE. L’existence de territoires considérés par les Tamouls comme leur foyer de peuplement historique, avec une importante concentration géographique dans le Nord et l’Est de l’île, légitime, pour les séparatistes, leur droit à créer un État indépendant dans lequel leur culture et leur identité pourraient s’épanouir. La remise en cause de la souveraineté nationale est l’un des facteurs qui explique la violence qu’a connue l’île. La victoire militaire de l’armée de 2009, et surtout la catastrophe humanitaire que celle-ci a entraînée dans le Nord et l’Est du pays, n’a pas résolu le problème de l’intégration de la minorité tamoule. Ainsi, la situation des Tamouls à Sri Lanka est celle d’une minorité discriminée et dont une faction a été en guerre ouverte contre l’État.

Le LTTE (Liberation Tigers of Tamil Eelam) : est un mouvement indépendantiste, fondé en 1976 par Velupillai Prabhakaran, dont le but affiché est de défendre les Tamouls de Sri Lanka. Pour cela, l’organisation demande le droit à l’autodétermination et la création d’un État, le Tamil Eelam, dans le Nord et l’Est de l’île. Pour obtenir leur indépendance, les Tigres (surnom donné aux militants LTTE) se sont engagés dans une lutte armée contre le gouvernement central. Ce mouvement séparatiste n’hésite pas à utiliser la force pour éliminer ses rivaux politiques afin de s’affirmer comme le seul représentant les intérêts des Tamouls de l’île. Les Tigres utilisent aussi des attentats-suicide comme moyen d’action pour faire avancer leur cause (ex. Le Premier Ministre indien Rajiv Gandhi, le Président de la République de Sri Lanka Ranasinghe Premadasa, etc.). Le LTTE s’est affirmé depuis 1987 comme l’acteur incontournable de la scène politique nationale. En effet, le mouvement a réussi à faire face aux différents assauts de l’armée gouvernementale et même aux forces indiennes qui ont tenté un temps de lui faire déposer les armes par la force. Les Tigres ont dirigé comme un État souverain des territoires dans le Nord et l’Est du pays qu’ils contrôlaient militairement. La défaite militaire des Tigres du 17 mai 2009 a ébranlé le mouvement. Son leader historique, Prabhakaran, est mort et le LTTE a perdu toutes ses possessions territoriales dans l’île. Néanmoins, le mouvement séparatiste compte encore un important soutien dans la diaspora tamoule et n’a pas abandonné son rêve de créer un État indépendant pour les Tamouls de Sri Lanka.

La comparaison de la situation des Tamouls de Sri Lanka avec d’autres pays dans lesquels cette communauté ethnique est également minoritaire peut permettre de comprendre les raisons pour lesquelles elle est plus ou moins bien intégrée dans chacun de ces États. La population tamoule, qui est estimée à 75,4 millions d’individus à travers le monde en 2008, ne se retrouve nulle part en situation de majorité à la tête d’un État souverain et indépendant. La carte des pôles majeurs de la diaspora tamoule dans le monde de Goreau-Ponceau  peut nous aider à distinguer six différents espaces de concentration de cette communauté. Le premier, qui comprend l’État du Tamil Nadu et le Territoire de l’Union indienne Pondichéry en Inde, ainsi que les provinces Nord et Est de Sri Lanka , correspond au foyer originel des Tamouls. Le deuxième englobe les zones d’immigration tamoule à l’intérieur de leur pays d’origine où ils vivent dans un contexte où ils sont minoritaires, à l’exemple de Colombo. Le troisième regroupe les communautés que l’on retrouve en Asie du Sud-Est. Les populations tamoules dans ces pays sont arrivées essentiellement comme coolies d’Inde ou comme travailleurs qualifiés de Ceylan et d’Inde pendant la période coloniale. La relative proximité géographique avec les foyers d’origine a favorisé la conservation du tamoul comme langue maternelle et principal marqueur identitaire dans deux de ces pays : la Malaisie et Singapour. La rapide croissance économique de ces pays, depuis les années 1980, a favorisé l’arrivée de nouvelles vagues de migrants professionnels tamouls avec et sans qualification venus du sous-continent indien pour y travailler. Le quatrième espace regroupe des pays qui comportent également des populations tamoules amenées à l’origine par les colonisateurs français et anglais comme coolies pour travailler dans les plantations, suite à l’abolition de l’esclavage. À la différence de ceux d’Asie du Sud-Est, les Tamouls d’Afrique du Sud et d’espaces insulaires comme l’Île Maurice, la Guadeloupe ou les Fidji ont adopté la langue du colonisateur ou un créole, de ce fait, la pratique du tamoul comme langue maternelle joue un rôle plus relatif comme marqueur identitaire. Depuis les années 1970, le Moyen-Orient est un autre espace où se concentrent des migrants temporaires tamouls, venus comme maind’œuvre qualifiée (ingénieurs, finance) et surtout comme immigrants de travail peu qualifiés (construction, restauration, maids  , etc.). Enfin, le dernier espace regroupe les pays occidentaux qui ont accueillis une importante immigration tamoule, principalement depuis l’ère post-coloniale, aussi bien pour des raisons politiques (conflit sri lankais) qu’économiques.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : L’INTÉGRATION SOCIO-POLITIQUE DES TAMOULS UNE RÉALITÉ SPATIOTEMPORELLE
CHAPITRE 1 : PORTRAIT DES TAMOULS DE COLOMBO, KUALA LUMPUR ET SINGAPOUR
1. Définir cette communauté
2. Le poids politique des Tamouls à Colombo, Kuala Lumpur et Singapour
3. L’intégration socio-économique des Tamouls de Colombo, Kuala Lumpur et Singapour
4. La perception des Tamouls de leur intégration
CHAPITRE 2 : L’IMPLANTATION ET L’ÉVOLUTION DE LA PRÉSENCE TAMOULE SOUS L’ÈRE BRITANNIQUE
1. Les « meilleurs sujets » de l’empire au service des intérêts britanniques
2. L’implantation des Tamouls et l’évolution de leur répartition jusqu’à l’indépendance
3. La difficile intégration des Tamouls
CHAPITRE 3 : L’INTÉGRATION ET LA RÉPARTITION DES TAMOULS DEPUIS LES INDÉPENDANCES
1. Les États post-coloniaux et la question de la citoyenneté des Tamouls
2. Les politiques post-coloniales vis-à-vis des minorités et l’intégration des Tamouls
3. La répartition des Tamouls depuis les indépendances
DEUXIÈME PARTIE : INSCRIPTION DE L’IDENTITÉ TAMOULE DANS L’ESPACE
CHAPITRE 4 : LA TERRITORIALISATION DE L’IDENTITÉ TAMOULE À COLOMBO, KL ET SINGAPOUR
1. Les espaces de vie des Tamouls à Colombo, Kuala Lumpur et Singapour
2. Les processus de territorialisation de l’identité tamoule
3. Typologie des espaces de vie des Tamouls
CHAPITRE 5 : LES POLITIQUES URBAINES ET LES ETHNOTERRITOIRES TAMOULS
1. Les dynamiques territoriales et l’inscription spatiale de l’identité tamoule
2. Les Tamouls et la politique de « nettoyage urbain »
3. Les transformations sociales et la citadinité des Tamouls depuis le réaménagement urbain
TROISIÈME PARTIE : TRANSNATIONALITÉS ET L’INTÉGRATION DES TAMOULS DE COLOMBO, KUALA LUMPUR ET SINGAPOUR
CHAPITRE 6 : LA PERCEPTION DES FOYERS D’ORIGINE PAR LES TAMOULS D’ASIE DU SUD-EST
1. La communauté tamoule mondiale : un facteur de maintien identitaire
2. Les Tamouls de Malaisie et de Singapour et le foyer tamoul indien
3. Sri Lanka perçu à travers le prisme de l’Eelam
CHAPITRE 7 : LES MIGRATIONS INTERNATIONALES CONTEMPORAINES ET L’INTÉGRATION DES TAMOULS
1. L’émigration des Tamouls sri lankais comme solution pour un avenir meilleur
2. L’ancienne diaspora et l’immigration de Tamouls d’Asie du Sud à Singapour et à KL
CONCLUSION GÉNÉRALE

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