Les microplastiques : une menace en rade de Brest ?
Impacts dus à l’exposition aux microplastiques
L’ingestion de microplastiques peut altérer l’ensemble de la hiérarchie de l’organisation biologique : des communautés biologiques (de la biosphère aux organismes), à l’organisme (de l’organisme à la cellule) et l’organisation cellulaire (de la cellule à la molécule) (Lusher, 2015; Rochman et al., 2016; Wright et al., 2013). L’ingestion de microplastiques par les organismes marins peut altérer la structuration des communautés et le fonctionnement d’écosystèmes. Récemment, l’exposition des huîtres plates européennes (Ostrea edulis) à des microplastiques (80 µg.l-1) biodégradables (PLA) et conventionnels (PEHD) a induit une altération de la structure de l’assemblage des communautés benthiques associées en réduisant la richesse spécifique et l’abondance des communautés benthiques (Green, 2016). Une réduction de l’ammonium de l’eau interstitielle et de la biomasse des cyanobactéries benthiques a également été observée suite à l’exposition de l’huître (Ostrea edulis) à des microplastiques (2,5 et 25 µg.l-1). Ajouté à cela, une modification de l’assemblage de la faune benthique associée a également été observée avec une diminution de l’abondance des polychètes et une augmentation de l’abondance des oligochètes (Green et al., 2017). L’ingestion de microplastiques par les organismes marins peut altérer leurs fonctions physiologiques comme la nutrition, la respiration et la reproduction. La fonction de nutrition peut rapidement être altérée suite à l’ingestion de microplastiques. La prise alimentaire du crabe (Carcinus maenas) a été réduite de 0,33 à 0,03 g.j-1 après quatre semaines d’exposition à des microfibres de PP (Watts et al., 2015). Cette diminution de la prise alimentaire suite à l’ingestion de microplastiques a été montré chez le zooplancton marin, les annélides (Arenicola marina) et les crustacés (Daphnia magna) (Besseling et al., 2012; Cole et al., 2013; Wright et al., 2013). Cette diminution de la prise alimentaire peut être due à une obstruction du système digestif qui induit une sensation de satiété. En effet, des fibres emmêlées et formant des nœuds et des pelotes ont été retrouvées accumulées et obstruant le système digestif la langoustine commune (Nephrops norvegicus) (Murray and Cowie, 2011). Des perturbations digestives, suite à l’exposition à des microsphères de PS, ont aussi été observées chez les moules et les huîtres (Paul-Pont et al., 2016; Sussarellu et al., 2016). Une augmentation des taux de filtration a été CHAPITRE I – Etat de l’art 78 observée chez l’huître en réponse à l’exposition à des microbilles de polystyrène expliquée comme un effort pour augmenter la prise alimentaire réduite liée à la présence de microplastiques dans le tractus digestif (Sussarellu et al., 2016). De telles atteintes au niveau de la prise alimentaire et du métabolisme digestif peuvent entrainer une diminution de l’entrée d’énergie nécessaire au soutien de fonctions physiologiques majeures telles que la respiration, la nutrition, la croissance et la reproduction. C’est le cas de la croissance : une exposition chronique de l’amphipode (Hyalella azteca) à des microparticules de polyéthylène et des microfibres de polypropylène a significativement réduit leur taux de croissance (Au et al., 2015). L’exposition des organismes marins aux microplastiques peut aussi altérer la fonction de reproduction. Des huîtres exposées pendant deux mois en laboratoire à des microparticules de PS ont eu une reproduction affectée : moins d’ovules produits (réduction de 40 %) et des spermatozoïdes moins mobiles, ce qui est un indicateur de leur qualité. In fine, l’efficacité de reproduction, mesurée par le taux de larves D, a été diminuée de 41 %. Des conséquences sur la génération suivante ont également été observées avec une croissance larvaire diminuée de 18 % entrainant un retard dans la fixation des larves de 6 jours (Sussarellu et al., 2016). La survie des organismes marins peut aussi être affectée. Une baisse significative de la survie a été relevée chez des larves de bar corrélée au nombre de microbilles de PE (105 MP.g -1) détectées dans ces mêmes larves (Mazurais et al., 2015). Enfin, les niveaux cellulaires et moléculaires peuvent aussi être altérés par l’exposition aux microplastiques. Des altérations tissulaires (inflammation, infiltration, vacuolisation) ont été observés chez des moules exposées à des microbilles de PS, en parallèle d’une augmentation de la mortalité des hémocytes (cellules impliquées dans le système immunitaire mais aussi dans les processus de nutrition, détoxification et maintien de l’homéostasie) et d’une modification du métabolisme oxydatif (Paul-Pont et al., 2016). L’exposition chronique du bar (Dicentrarchus labrax) à des GPI de PVC a montré des altérations pathologiques de la partie distale de l’intestin (Pedà et al., 2016). Une altération du système endocrinien a été observé chez le medaka japonais (Oryzias latipes) exposé à des microparticules de PE avec une modification significative de l’expression des gènes régulant la production de vitellogénine (femelles) et de choriogénine (mâles) (Rochman et al., 2014b). Une perturbation du système endocrinien a également été détectée chez les huîtres exposées à des microbilles de PS, avec des modifications de l’expression de gènes impliqués dans les voie de la régulation insulinique et des glucocorticoïdes, probablement à l’origine des perturbations de la qualité des gamètes mâles et femelles détectée chez les adultes exposés (Sussarellu et al., 2016). Enfin, un stress oxydatif a été détecté suite à l’exposition du poisson zèbre (Danio rerio) à des microparticules de PS pendant 7 jours (Lu et al., 2016). von Moos et al. (2012) ont montré une forte réponse inflammatoire (formation de granulocytes) et une déstabilisation de la membrane lysosomale chez la moule bleue (Mytilus edulis) après 6 h d’exposition à des microplastiques de PE.
Description des masses d’eau
Hydrologie
Les variations thermo-halines temporelles et spatiales des masses d’eau de la rade de Brest dépendent de trois facteurs : le cycle de marée de type semi-diurne (12h15), le cycle de vives eaux et mortes eaux (14,7 jours) et le cycle annuel influencé par la variation des débits fluviaux (Delmas, 1981).
Température
La température des masses d’eau de la rade de Brest (moyennée sur trois profondeurs) varie entre 7 et 19 °C à l’échelle annuelle. A l’échelle spatiale, une stratification thermique peut apparaître au niveau des estuaires de l’Elorn et de l’Aulne avec un régime très différent entre les périodes hivernale et estivale. En situation hivernale (vers février – mars), la température varie entre 7,5 et 8,5 °C. Cette saison est notamment marquée par des périodes de crues favorisant l’installation d’une thermocline. En situation estivale (vers juillet – août), la température varie entre 17 et 20 °C (Monbet and Bassoulet, 1989).
Salinité
Une stratification haline temporelle peut apparaitre en rade de Brest. La variation haline des masses d’eau est due à deux régimes hydrologiques : la période de crue et la période d’étiage. (Delmas, 1981). De même, les cycles de vives eaux et mortes eaux peuvent générer des variations halines bimensuelles. Le mélange vertical des masses d’eau est faible en période de mortes eaux et est très important en période de vives eaux. La mise en place d’une forte stratification haline apparaît notamment dans les régions situées en aval des fleuves lors de la combinaison entre les cycles de mortes eaux et la période hivernale où les crues sont importantes (salinité > 33 au centre de la rade, 14 au sud de l’Auberlac’h et 28 à l’embouchure de l’Elorn). Les variations de salinité sont plus marquées au niveau de l’estuaire de l’Aulne (60 à 70 % de l’apport en eau fluviale) que de l’Elorn (15 % de l’apport en eau fluviale) (Delmas, 1981) (Figure 14). En période d’étiage, la salinité des masses d’eau de la rade s’homogénéise (période estivale, salinité > 35) (Delmas, 1981; Monbet and Bassoulet, 1989). CHAPITRE II – Présentation de la rade de Brest 88 Figure 14: Salinité des eaux de surface en période de crue au cours de la pleine mer de mortes eaux (Monbet and Bassoulet, 1989).
Hydrodynamique
La circulation des masses d’eau en rade de Brest est majoritairement générée par les cycles de marée et les débits fluviaux, le vent étant un facteur secondaire (Troadec et al., 1997). La marée génère un fort brassage interne en rade et des échanges modérés entre celle-ci et la mer d’Iroise. La houle provenant de la mer d’Iroise (hauteur : 3 m à l’entrée du Goulet) et entrant en rade de Brest est fortement affaiblie par son passage dans l’étroit Goulet (hauteur < 0,5 m) et n’atteint pas le fond de la rade. La majorité de la rade est donc protégée de la houle du large et n’est soumise qu’à l’action des vagues formées localement par le vent, appelée clapot ou « mer de vent ». De plus, il n’y a pas de réelle circulation des masses d’eau induite par le vent car le fetch est très petit. Les direction et intensité du vent en rade de Brest sont très variables.
Circulation tidale
La rade de Brest contient un volume d’eau moyen de 2 milliards de mètres cubes. Chaque cycle de marée génère un flux de 700 millions de mètres cubes qui traverse le Goulet, soit un tiers du volume d’eau de la rade (Troadec et al., 1997). La marée est de type semi-diurne et son marnage moyen est de 4,5 m. La circulation générée par les cycles de marée diffère selon le cycle tidal (Figure 15) (Guérin, 2004; Troadec et al., 1997) : CHAPITRE II – Présentation de la rade de Brest 89 – le flot engendre un courant canalisé au niveau du goulet qui se divise en deux veines en entrant dans la rade : la première veine longe la rive nord et se dirige vers l’Elorn et la deuxième, la plus importante, se dirige vers l’estuaire de l’Aulne et alimente au passage le centre et le sud-est de la rade. Cette deuxième veine est à l’origine de la formation d’un vortex anticyclonique qui occupe la partie centrale de la rade et de petits tourbillons latéraux derrière la pointe de l’Armorique et le cap de l’anse de Poulmic. Le courant de flot remet en suspension les particules sédimentées et la masse d’eau s’homogénéise sur toute la hauteur de la colonne d’eau (Guérin, 2004). – le jusant génère une circulation presque uniforme orientée vers le Goulet. Des tourbillons latéraux se forment à l’extérieur de la rade, au niveau des anses de Bertheaume et de Camaret. Le flot suivant tend à ramener les eaux expulsées vers l’intérieur de la rade. Figure 15 : Courants tidaux en rade de Brest (coefficient 95) : circulation au flot et au jusant (Guérin, 2004 d’après Monbet and Bassoulet, 1989). Les caractéristiques hydrologiques et les trajectoires à long terme des masses d’eau de la rade de Brest permettent de la diviser en trois secteurs (Delmas, 1981; Monbet and Bassoulet, 1989) (Figure 16) : – un secteur nord, influencé par les apports fluviaux de l’Elorn (15 % des apports en eau douce en rade de Brest), a un caractère estuarien peu marqué dû au faible débit de ce dernier (débit moyen de 6,88 m 3 .s -1) induisant de faibles variations de salinité annuelles et un temps d’évacuation des eaux fluviales compris entre 7 et 15 jours pour les périodes hivernale et estivale respectivement ; un secteur sud sous l’influence de l’Aulne qui fournit 60 à 70 % de l’eau douce en rade de Brest (débit moyen de 27,70 m 3 .s -1), son débit peut atteindre 200 m3 .s -1 en période de crue ce qui peut générer d’importantes variabilités de salinité à l’origine de la mise en place d’une halocline. Enfin le temps d’évacuation des eaux fluviales est de 7 à 8 jours en période de crues et de 20 à 30 jours en période d’étiage ; – un secteur central (centre rade et zone de mélange) qui est une zone intermédiaire de brassage intense entre les masses d’eau provenant de la mer d’Iroise et celles provenant des secteurs nord et sud de la rade, cela lui confère une homogénéité de salinité à l’année et un renouvellement constant des masses en toute saison compris entre 4 et 9 jours. Figure 16: Trajectoire des masses d’eau sur le long terme en rade de Brest (Guérin, 2004 d’après Salomon and Breton, 1991). La majorité des apports fluviaux en rade de Brest (environ 1 milliard de m3 .an -1) provient de l’Aulne (60 à 70 %) et de l’Elorn (15 %). Le reste de l’eau douce est apporté par la Douffine (8 %), la Mignonne (5 %), le Camfrout (3 %), le Garvan (2 %), le Faou (2 %) et la Penfeld (2 %) (Monbet and Bassoulet, 1989). L’hydrodynamique particulière des masses d’eau de la rade de Brest lui confère des capacités dispersives plus efficaces à court terme qu’à long terme (Troadec et al., 1997). Le mélange des masses d’eau entre la mer d’Iroise et la rade de Brest au cours des cycles de marée (à court terme) permet donc une dilution rapide des pollutions ponctuelles. Cependant la majorité de l’eau évacuée hors de la rade au jusant est réintroduite au cours du flot suivant. Cela affaiblie la capacité dispersive des eaux de la rade sur le long terme (Le Pape et al., 1996). En effet, le renouvellement des eaux de la rade, calculé à partir du temps moyen d’évacuation de l’eau fluviale de la rade, est estimé entre 10 jours et 3 mois (Le Pape et al., 1996; Monbet and Bassoulet, 1989; Troadec et al., 1997). Cela génère une capacité dispersive faible à l’échelle mensuelle et présente un risque en cas de pollution chronique.
Circulation résiduelle
Une circulation résiduelle est formée lors de la rencontre entre les eaux maritimes amenées par la marée et les eaux fluviales. La formation de cette circulation des masses d’eau est accrue en période de crue et de vives eaux (Monbet and Bassoulet, 1989). Ce phénomène est notamment observé à l’embouchure des estuaires de l’Aulne et de l’Elorn où se forme une superposition d’un flux de surface dirigé vers l’aval et d’un flux de fond dirigé vers l’amont (Monbet and Bassoulet, 1989).
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