Les membranes biologiques asymétrie et compartimentation

La photochimiothérapie

L’ensemble des études présentées dans ce manuscrit, abordées selon des concepts biophysiques tant au niveau moléculaire que cellulaire, a été effectué dans le cadre de l’amélioration d’une thérapie anti-cancéreuse : la thérapie photodynamique (PDT) ou photochimiothérapie. La PDT est une technique thérapeutique utilisant des médicaments photo-activables et est particulièrement adaptée au traitement de maladies associées à la croissance rapide d’un tissu. Elle constitue donc une approche intéressante dans le traitement de certains cancers. Elle est également utilisée en dermatologie pour traiter les psoriasis et vient de trouver une application en ophtalmologie dans le traitement symptomatique de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA).

Principe de la PDT

L’irradiation par la lumière d’un colorant (photosensibilisateur) génère, par l’intermédiaire de l’état triplet du photosensibilisateur, des espèces cytotoxiques comme l’oxygène singulet, forme réactive de l’oxygène, ou des oxyradicaux. La durée de vie de ces espèces moléculaires est très courte, et ces dernières ne peuvent pas diffuser très loin [41]. Ces espèces provoquent, dans une zone limitée à la zone à la fois irradiée et marquée par le photosensibilisateur, des altérations moléculaires irréversibles qui peuvent conduirent à la mort cellulaire [42]. Ce mécanisme d’action de la PDT est traditionnellement décrit à l’aide du diagramme de Jablonsky (figure P.1) qui schématise les principaux niveaux d’énergie du photosensibilisateur ainsi que les processus par lesquels il peut passer d’un niveau à un autre.
A l’état fondamental (S0), les électrons sont appariés et arrangés de façon à minimiser l’énergie. L’absorption d’un photon d’énergie appropriée fait passer un des électrons sur une orbitale d’énergie supérieure, sans changer son spin. La molécule se retrouve alors dans les états excités singulets (S1, S2, …). Le plus souvent, les états singulets supérieurs à S1 sont instables. La molécule redescend donc à son premier état excité singulet par conversion interne (C.I.). A partir de cet état, le photosensibilisateur peut subir deux processus particulièrement importants : – La molécule retourne à l’état fondamental par émission d’un photon. Ce processus est appelé fluorescence, son temps caractéristique pour les porphyrines est de 10-9 à 10-8 s. – Le retournement du spin de l’électron excité conduit, par conversion intersystème (C.I.S.), à un état excité plus stable, l’état triplet (T1). La duréede vie de cet état est de l’ordre de 10-4 à 10-3 s [43].
C’est cet état triplet qui est à l’origine de la photo-toxicité du colorant. Deux principaux mécanismes d’action peuvent intervenir : (1) Processus de photosensibilisation de type I : Par transfert d’électron ou d’hydrogène impliquant une molécule avoisinante, l’état triplet peut donner naissance àdifférentes espèces radicalaires. Les radicaux ainsiformés peuvent réagir avec d’autres molécules et, de proche en proche, induire des réactions d’oxydoréduction en chaîne. L’oxygène est fréquemment impliqué dans ces phénomènes qui peuvent, par exemple, conduire à la peroxydation des lipides membranaires ou conduire à la formation du radical superoxyde, O2-. (2) Processus dephotosensibilisation de type II : L’état triplet du photosensibilisateur peut également transférer son énergie à l’oxygène moléculaire, qui a la particularité d’avoir un état fondamental triplet. Le photosensibilisateur revient alors à son état fondamental S0, l’oxygène étant porté à un état singulet,1 O2. Cet oxygène singulet est un oxydant puissant. Il est donc létal pour les cellules.
Ces deux types de photosensibilisation coexistent lors des processus dephoto-cytotoxicité impliqués dans la PDT. Leur importance relative dépend du colorant, de sa localisation intracellulaire, de la concentration en oxygène. Néanmoins, bien qu’il soit impossible de détecter sa présence dans les tissus à cause de sa très forte réactivité, l’oxygène singulet est généralement considéré comme l’espèce toxique majeure en PDT. Tous les photosensibilisateurs commercialisés ou en phase d’essai clinique ont un taux de production d’1 O2 important.
La PDT se déroule en deux temps. D’abord, le photosensibilisant est injecté au patient par voie intraveineuse puis s’accumule dans le tissu hyperprolifératif ciblé. Dans un second temps, le tissu est irradié, ce qui conduit à la production des espèces toxiques qui vont conduire à la mort cellulaire (figure P.2). Cette irradiation intervient après un délai nécessaire à l’incorporation du colorant dans le tissu néoplastique. Quel que soit le type de mécanisme engagé dans les processus photodynamiques, les espèces toxiques ont une très faible possibilité de diffusion du fait de leur réactivité importante. La sélectivité de la PDT dépend donc de deux facteurs, l’un lié au fait que les dommages se limitent aux structures marquées par le colorant, l’autre lié à la possibilité de définir précisément la zone d’irradiation.

Traitement des cancers

Dès 1903, Tappeiner et Jesionek montrent que l’action combinée de la lumière et de l’éosine conduit à la nécrose de tumeurs cutanées [44], démontrant ainsi l’intérêt thérapeutique de la photosensibilisation induite par de tels produits. Dans les années 20, Policard observe une fluorescence rouge de certaines tumeurs et l’attribue à une accumulation naturelle des porphyrines endogènes dans les tissus tumoraux [6]. A partir de cette observation, les porphyrines deviennent les composés les plus étudiés dans le but d’une application thérapeutique de la photosensibilisation. En 1942, Auler et Branzer injectent une hematoporphyrine à des rats porteurs de greffes de tissus cancéreux et constatent qu’en effet cette molécule est plus concentrée dans la tumeur que dans les tissus sains [45]. Une préparation appelée « hematoporphyrin derivative » devient, dans les années 60, la clé d’une nouvelle méthode de détection des tumeurs : le photodiagnostic. Ce mélange de porphyrines présente une affinité pour les tumeurs plus grande encore que l’hematoporphyrine seule. En 1966, Lipson – qui est à l’origine de la préparation « hematoporphyrin derivative » [46] – remarque, en collaboration avec Gray et Blades, que les tumeurs ainsi marquées se nécrosent sous l’effet de la lumière [47].
Dans le milieu des années 70, ces découvertes donnent lieu aux premières expérimentations sur une nouvelle thérapie des cancers : la photochimiothérapie antitumorale [48-52].
Depuis, des autorisations ont été obtenues dans différents pays pour le traitement des tumeurs des bronches, de l’œsophage ou de la vessie. Le premier produit à avoir été approuvé pour la PDT anti-cancéreuse est Photofrin, un mélange hétérogène de porphyrines (figure P.3).
Ces dernières années, le développement des techniques lasers, de fibres optiques et des systèmes diffusant la lumière a fortement accru le champ d’application de la photochimiothérapie antitumorale en permettant d’atteindre, par endoscopie, des tumeurs internes et de les irradier de façon appropriée à la géométrie de l’organe considéré. A l’heure actuelle, la PDT anti-cancéreuse est un traitement alternatif efficace pour bon nombre de tumeurs localisées [53, 54]. Par rapport aux chimiothérapies conventionnelles, la PDT se caractérise par une absence remarquable de toxicité systémique, mise à par une photosensibilité cutanée rémanente qui pourra sans doute être réduite par l’introduction de nouveaux photosensibilisateurs rapidement éliminés et par un meilleur ciblage de la tumeur, par exemple par une meilleure vectorisation des agents photosensibilisants.

Traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA)

Outre ses nombreuses applications anti-cancéreuses, la PDT vient d’obtenir une AMM pour le traitement des formes humides de la DMLA en France (2000) ainsi que dans de nombreux autres pays, notamment aux Etats Unis.
La dégénérescence maculaire liée à l’âge est la principale cause de dégradation irréversible de la vue chez les personnes âgées. La macula est une zone de la rétine, située au pôle postérieur de l’œil (voir figure P.4). C’est dans cette zone que l’acuité visuelle est normalement la plus intense, puisque c’est le lieu de plus forte concentration des cellules sensorielles rétiniennes. De ce fait, la macula a besoin d’un apport constant et important en nutriments. Or, avec l’âge, certainstroubles du métabolisme peuvent survenir avec une plus grande fréquence, ce quipeut conduire à une dégradation de la vision pouvant aller jusqu’à une perte de l’acuité visuelle.
Les cicatrices disciformes qui en résultent provoquent des lésions des cellules rétiniennes et, de fait, des taches aveugles irréversibles. Dans cette forme de la maladie, dite forme néo-vasculaire (ou « humide »), la dégradation de la vue est beaucoup plus rapide. Cette forme de la DMLA peut apparaître dès les premiers signes liés à la maladie, ou être secondaire à la forme « sèche ». A l’heure actuelle, aucun traitement n’a prouvé son efficacité en terme de prévention de la DMLA. Notamment, il n’existe aucun traitement permettant de prévenir la formation des néo-vaisseaux choroïdiens. La seule solution thérapeutique consiste donc à bloquer leur progression avant qu’ils n’aient atteint la macula. Le seul traitement, reconnu depuis 1983, est la coagulation thermique au laser des zones néo-vascularisées [56, 57]. Ces zones sont d’abord repérées par angiographie par fluorescence (à la fluorescéine ou au vert d’indocyanine, plus sensible [58]). Le traitement par laser conduit, dans la zone traitée, à la coagulation des néo-vaisseaux, mais détruit aussi les cellules visuelles. Il conduit donc à l’apparition d’un scotome définitif. Si la fermeture des vaisseaux a été obtenue, le patient s’adapte et peu à peu le scotome s’efface. Mais si la maladie continue sa progression, le patient verra sa vue diminuer à chaque séance de traitement ! Ce type de traitement pose donc certains problèmes, d’autant que seuls 20% des cas sont accessibles au laser et que les récidives deviennent dans 50% des cas inaccessibles au traitement.
Tout ceci permet d’affirmer la nécessité de trouver de nouvelles formes thérapeutiques. Parmi celles qui donnent des résultats, citons la chirurgie maculaire ainsi que les implants (microchips) rétiniens et la Thérapie Photo-Dynamique.

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Le ciblage du tissu pathogène par les photosensibilisants

Cibler un tissu ou un organe par un médicament consiste à transporter ce dernier dans l’organisme jusqu’à sa cible et, le plus souvent, à le faire pénétrer dans les cellules. Les procédés mis en œuvre dans ce but consistent, la plupart du temps, à trouver une formulation et un mode de transport. Les problématiques biologiques qui se posent recouvrent donc assez bien celles évoquées dans l’introduction : quels liens peut-on établir entre mode de transport et traversée des membranes ?
Le ciblage des tissus pathogènes est, nous y reviendrons, particulièrement important dans le cadre de la PDT. Cependant, de façon générale, la vectorisation desmédicaments par des systèmes de transport exogènes et/ou leur association aux transporteursendogènes que sont les protéines plasmatiques est un facteur essentiel de leur activité. Comme nous l’avons vu, les LDL (figure P.6) sont les transporteurs naturels des molécules hydrophobes comme les carotènes ou la vitamine E. Ils ont depuis quelques années retenu l’attention comme transporteurs endogènes d’agents thérapeutiques hydrophobes (notamment les agents anti-tumoraux, [66, 67]). En effet, leur rôle physiologique étant le transport du cholestérol du foie vers les tissus, ils libèrent leurs composants et les molécules qu’ils transportent dans les lysosomes.
Les cellules en hyperprolifération, qu’il s’agisse de cellules cancéreuses ou de cellules néo-vasculaires dans le cas de la DMLA, sur-expriment les récepteursspécifiques des LDL (les récepteurs « B/E »). Les complexes LDL-médicaments, qui constituent une forme intéressante de transport de composés non solubles dans l’eau, sont donc très préférentiellement incorporés dans ces tissus cibles [10]. Ce rôle detransporteur-cibleur des LDL est un facteur important de la sélectivité, de la pharmacocinétique et donc de l’efficacité pharmacologique de certains produits thérapeutiques [68].Endogènes, les LDL ne provoquent aucune réaction immunitaire, et ne sont pas reconnues par le système réticulo-endothélial. Notons également que, dans l’optique d’une utilisation pharmaceutique à grande échelle, desvecteurs lipidiques synthétiques « LDL-like » sont à l’étude [69].
La structure aromatique des photosensibiliateurs, essentielle à leur activité photosensibilisatrice (cf. figure P.1), leur confère également un fort caractère lipophile. Après leur injection, ils se répartissent donc sur l’ensemble des protéinesdu sérum. En fonction de leur relative hydrophilie, certains vont s’associer à l’albumine ou aux globulines, comme par exemple les phtalocyanines tétrasulfonées alors que les préparations plus hydrophobes ont une affinité importante pour les lipoprotéines [70, 71]. Il semble qu’une fois dans la circulation sanguine, Photofrin,Visudyne®, mais aussi beaucoup d’autres composés photosensibilisateurs s’associent avec les LDL, ce qui expliquerait leur forte rétention dans le tissu pathogène [72-74]. Des études réalisées in vitro et in vivo ont confirmé le rôle important des récepteurs « B/E » dans l’accumulation des photosensibilisateurs hydrophobes dans les tumeurs ou les cellules endothéliales [75, 76]. Il a par ailleurs été démontré que la fixation de photosensibilisateur par les LDL n’affecte pas les interactions avec leurs récepteursspécifique [74] et que la distribution des photosensibilisateurs peut être corrélée au nombre relatif de récepteurs dans les différents tissus [73].

Ciblage grâce aux caractéristiques physico-chimiques des différents compartiments

Malgré l’importance accordée aux LDL dans les mécanismes de ciblage des tissus hyperprolifératifs, il ne faut pas oublier que les photosensibilisateurshydrophobes ou amphiphiles peuvent également entrer dans les cellules directement en diffusant au travers de la membrane plasmique [77-79]. Les caractéristiques dutransport de certains de ces colorants semblent même être incompatibles avec la voied’internalisation par association avec les lipoprotéines [80]. Dans ce cas, la rétention de ces molécules dans les tissus en croissance peut s’expliquer, nous l’avons vu, par l’augmentation du métabolisme anaérobie du glucose dans la grande majorité de tels tissus. Dans les tumeurs, par exemple, le pH du liquide interstitiel est notablement plus faible que le pH physiologique normal [81]. Il varie entre 6,4 et 7,4, la valeur moyenne se situant autour de 6,9. En revanche, le pH du cytoplasme des cellules néoplastiques est maintenu, comme dans toute cellule, autour de 7,4. Le pH modifiant l’affinité de certains photosensibilisateurs pour les membranes, comme c’est le cas pour les porphyrines (cf. Introduction), ce gradient de pH entre les phases aqueuses extra et intracellulaires pourrait favoriser ainsi leur pénétration dans la cellule [17].
D’autres voies de pénétration dans les cellules sont cependant également possibles, comme par exemple l’endocytose non spécifique dans les cellulestumorales ou endothéliales ou encore la phagocytose dans le cas des macrophages associés aux tumeurs. Mais une fois entrée dans la cellule, la molécule peut seredistribuer parmi les différentes structures cellulaires par diffusion. Cetteredistribution pourrait donc dépendre également du pH. En effet, le pHintralysosomial est autour de 5 et le gradient de pH qui en découle peut, semble-il, influencer la sortie des porphyrines vers le cytoplasme.
Dynamique de transport et ciblage des tissus pathogènes dans le cadre de la PDT
Une des caractéristiques de la PDT, qui la distingue encore des thérapies conventionnelles, est le caractère transitoire de la génération d’espèces toxiques produites par l’irradiation lumineuse et la brièveté de cette dernière (figure P.7).
L’action du photosensibilisateur étant limitée à la durée de l’irradiation, il est possible de profiter de sa dynamique de transport dans les différents compartiments du tissu pathologique. Il est ainsi théoriquement possible d’affecter essentiellementl’un des compartiments cibles [82]. Ainsi, dans le traitement de la DMLA, le ciblage de la lumière vasculaire, qui serait obtenue pour un délai court entre l’injection et l’irradiation, conduirait à une obstruction et une nécrose par anoxie des néovaisseaux. Le ciblage des cellules endothéliales conduit directement à leur atteinte irréversible. Dans le cas de l’utilisationanti-cancéreuse de la PDT, la nécrose de la tumeur est, le plus souvent, obtenue par anoxie en optimisant la brièveté du délaientre l’injection et l’irradiation pour endommager la vascularisation. Le temps écoulé entre l’injection du photosensibilisateur et l’irradiation lumineuse est un facteur important dans l’efficacité et la non-réversibilité du traitement [83, 84]. Cependant, les protocoles cliniques dépendent des photosensibilisateurs utilisés. Le délai est par exemple de 48h dans le cas de Photofrin, suggérant une action combinée sur la vascularisation et les cellules cancéreuses.

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