La présence des composés pharmaceutiques dans l’environnement, sous la forme des principes actifs non modifiés, est connue depuis les premières études sur quelques composés dans les effluents des stations d’épuration (Hignite & Azarnoff, 1977) ou les milieux aquatiques (Richardson & Bowron, 1985). La première étude ciblant une grande variété de composés pharmaceutiques fut celle de Ternes (1998). La principale originalité de ce travail est qu’il a integré des composés de plusieurs familles thérapeutiques avec deux ambitions : d’une part évaluer la capacité épuratoire d’une station d’épuration conventionnelle de traitement des eaux usées et d’autre part déterminer les pollutions engendrées par les rejets des effluents dans les rivières attenantes. Cette étude a donc été précuseur et son protocole analytique est à la base d’une quantité très importante de travaux encore aujourd’hui.
Avant de s’intéresser à la caractérisation des pollutions environnementales causées par les produits pharmaceutiques, nous allons tout d’abord présenter les caractéristiques de cette grande famille de molécules.
Généralités sur les principes actifs
L’histoire commerciale des produits pharmaceutiques commence à la fin du XIXème siècle avec la mise sur le marché de l’acide acétyl-salicylique ou aspirine en 1899. Mais c’est réellement après la seconde guerre mondiale que le nombre de principes actifs mis sur le marché a réellement explosé. En France, en 2013, on comptait 2800 principes actifs à la base de 11000 médicaments (ANSM, 2014a). Chacun de ces principes actifs fait partie d’une famille thérapeutique correspond à un usage spécifique (e.g. anti-inflammatoires, antiépileptiques). En 2013, la famille thérapeutique de loin la plus consommée par les français était les antalgiques, qui représentaient plus de 25% du marché des pharmacies (en quantité) pour le paracétamol, l’ibuprofène, la codéine et le tramadol. (ANSM, 2014a) Parmi les autres familles thérapeutiques significativement vendus, on retrouve les antibiotiques (e.g. amoxicilline), les hypolipémiants (e.g. gemfibrozil) ou encore les psychotropes (e.g. benzodiazépines).
Le dosage des médicaments est l’un des points clé qui permet de mieux comprendre la pollution des milieux qui en découle. En effet, très peu de médicaments sont dosés de façon à éviter l’excrétion du produit. Le but est plutôt d’avoir une quantité de principe actif suffisante pour agir efficacement sur la cible thérapeutique. Ainsi, l’excrétion de principes actifs est inhérente à la prise de médicaments et cette excrétion est parfois très significativement supérieure à la dose utile pour soigner. De fait, le meilleur moyen d’abattre les pollutions en produits pharmaceutiques dans les eaux naturelles serait peut-être de diminuer drastiquement les prises de médicaments (Daughton, 2014).
Fréquence de détection et contamination des environnements aquatiques
La contamination de tous les milieux aquatiques par les produits pharmaceutiques est de mieux en mieux connue, du fait d’une bibliographie qui connaît une croissance significative. En effet, si « seulement » 500 études étaient publiées en 2000, avec pour objectif de caractériser ces contaminations dans les compartiments aquatiques, plus de 2500 ont été publiées en 2010 sur le sujet (Fatta-Kassinos et al., 2011) .
Les eaux concernées sont de plusieurs natures et il est nécessaire d’évaluer les niveaux de contaminations de chacun des compartiments aquatiques. Les premières analyses ont été réalisées dans des stations d’épuration, lieu privilégié pour la compréhension de la dégradation des produits pharmaceutiques. Tout d’abord, les produits pharmaceutiques excretés convergent vers les installations épuratoires qui permettent d’intégrer le signal d’un bassin versant, d’une ville ou d’un quartier. D’autre part, parce que les rejets de ces stations, souvent pollués par des produits pharmaceutiques, donnent des informations sur l’efficacité des traitements appliqués ainsi que sur le niveau de contamination des eaux, qui seront par la suite rejetées dans l’environnement. Le niveau de contamination des eaux naturelles va également être anormalement élevé dans certains cas précis.
On peut notamment prendre l’exemple des effluents hospitaliers, qui, du fait de la surconsommation de produits pharmaceutiques dans les hôpitaux par rapport à une population classique, impliquent des concentrations nettement plus élevées par rapport à la « normale » et/ou contribuent fortement aux occurrences en produits pharmaceutiques par rapport aux effluents domestiques en cas de mélange (Ort et al., 2010a).
A titre d’exemple, certains médicaments comme la codéine ou le diclofénac ont des occurrences à plusieurs mg.L⁻¹ dans ce type d’eaux (Verlicchi et al., 2010) soit des concentrations environ 1000 à 10000 fois plus élevées que pour une eau usée considérée comme classique (Deblonde et al., 2011 ; Nikolaou et al., 2007 ; Petrie et al., 2013).
La pollution engendrée par les usines de fabrication de médicaments constitue une autre source majeure de rejets de produits pharmaceutiques dans l’environnement (Larsson, 2014). Plusieurs études mettent en avant le vecteur de pollution majeure que représentent ces industries à partir de l’exemple d’une usine très importante en Inde, dont les effluents contaminent les lacs en aval. On retrouve des occurrences des concentrations de plusieurs mg.L⁻¹ d’antibiotiques dans ces lacs, située en aval de la manufacture (Fick et al., 2009).
Les flux extrapolés sont tout aussi significatifs. A titre d’exemple, le flux de 44 kilogrammes de ciprofloxacine rejetés dans les eaux naturelles chaque jour, équivaut à 5 ans de consommation pour un pays comme la Suède (Larsson, 2014).
Ces deux exemples de concentrations ponctuelles très élevées sont donc potentiellement très problématiques, notamment par rapport à d’éventuels phénomènes de résistance des communautés bactériennes, engendrées par une exposition significative et chronique à ce type de polluants (Kristiansson et al., 2011). Toutefois, ces effluents ne représentent pas les cas « classiques » de pollutions anthropiques qui vont être exposées par la suite.
La grande majorité des installations épuratoires, et en conséquence des eaux naturelles adjacentes, n’est toutefois pas reliée à ce type d’eaux particulières. Dans le but de mieux comprendre les dynamiques de propagation des polluants des eaux de rivières vers les eaux potables , nous avons synthétisé quelques données bibliographiques sur les eaux de rivières, les eaux profondes, les eaux marines et les eaux potables en mettant en avant deux types de données :
– la fréquence de détection, qui va renseigner sur la variabilité dans le temps des pollutions ainsi que de la faculté de certains polluants à contaminer tous les milieux.
– La concentration réelle, qui va notamment concerner la rémanence potentielle du polluant et ses possibles impacts sur la biosphère .
Eaux de rivières
Les eaux de rivière sont concernées en premier chef par les pollutions en produits pharmaceutiques. En effet, une grande partie des stations d’épuration rejettent leurs effluents directement dans les rivières, les rendant donc sensibles aux contaminants typiquement anthropiques, comme par exemple, les principes actifs.
La contamination des eaux de rivières est assez semblable à l’échelle européenne. En effet, les contaminants les plus fréquemment détectés sont à la fois les plus consommés (paracétamol, aspirine) et les plus résistants (carbamazépine, diclofénac) (Loos et al., 2009).
Introduction Générale |