LES MECANISMES NEUROPHYSIOLOGIQUES LIES A L’AMELIORATION DE LA PERFORMANCE DES FEMMES APRES L’INDUCTION D’UN STEREOTYPE SEXUE
Les mesures neurophysiologiques utilisées dans ce travail nous renseignent également sur l’influence des stéréotypes sexués sur la performance d’endurance. Dans l’étude 3, nous voulions déterminer si l’amélioration de la performance obtenue dans les études 1 et 2 était liée à une diminution de la fatigue induite par la tâche, et plus particulièrement d’une réduction de la fatigue centrale. Pour tester cette hypothèse, nous avons alors choisi une tâche induisant un haut niveau de fatigue centrale : une répétition de contractions maximales (Taylor et al., 2000).
Comme attendu, la tâche a effectivement induit une fatigue centrale, ainsi qu’une fatigue périphérique, indépendamment des conditions. Lorsque les différentes conditions étaient comparées, aucune différence au niveau périphérique n’était observée entre la condition où le stéréotype négatif envers les femmes était induit et la condition où l’information contrestéréotypique était induite (notamment caractérisée par aucune modification de l’amplitude de la réponse potentiée – indicateur principal d’une fatigue périphérique – entre les deux conditions). L’amélioration de la performance ne pouvait donc pas être imputée à des modifications à un niveau périphérique.
Bien qu’un nombre limité de travaux ait investigué l’origine des adaptations liées à la manipulation de facteurs psychologiques et motivationnels, ce résultat renforce l’idée selon laquelle les facteurs périphériques ne seraient pas responsables des modifications de performance observées (e.g., Ansdell et al., 2018 ; Ducrocq et al., 2017 ; Jaafar et al., 2015 ; Rube & Secher, 1981). Rube et Secher (1981) ont, par exemple, montré que lorsque les participants étaient motivés par l’expérimentateur/trice, leur performance d’endurance lors d’une tâche consistant en une répétition de 150 CMV était supérieure (i.e., chute de force plus faible), comparativement à lorsque les participants n’étaient pas motivés par l’examinateur/trice. Au travers d’une analyse EMG, les auteurs ont proposé que l’amélioration de la performance n’était pas due à des modifications périphériques. Ansdell et al. (2018) ont récemment confirmé cette hypothèse au travers d’une tâche de type « contre-la-montre ». Ces auteurs ont montré que les participants étaient capables d’améliorer leur performance maximale lorsqu’ils devaient suivre un avatar réalisant une meilleure performance56. En mesurant les fonctions neuromusculaires avant et après chaque épreuve, les auteurs ont noté que cette amélioration de la performance n’était pas due à une modification d’ordre périphérique (e.g., aucune différence au niveau de l’amplitude de la réponse potentiée entre la condition contrôle et la condition où les participants devaient suivre l’avatar). Ces études montrent que les facteurs psychologiques, comme les facteurs motivationnels, influencent la performance sans implications de processus périphériques.
L’APPORT DES MODELES PHYSIOLOGIQUES DANS L’EXPLICATION DES EFFETS OBSERVES
Comme nous avons pu le voir dans la section 4.2.2.4. du chapitre 1, de nombreux modèles de fatigue ont été développés dans l’objectif d’expliquer et modéliser les phénomènes de fatigue, et notamment la régulation de la performance (e.g., la théorie du gouverneur central ; Noakes et al., 2004 ; Noakes & St Clair Gibson, 2004 ; la théorie du seuil de fatigue périphérique ; Amann, 2011 ; le modèle psychobiologique ; Marcora, 2008 ; le modèle intéroceptif de la régulation de la commande motrice centrale ; McMorris et al., 2018). Au regard de nos hypothèses et des différents résultats observés dans le cadre de cette thèse, le modèle développé par McMorris et al. (2018) apparaît comme le plus complet pour expliquer les résultats obtenus. En effet, de nombreuses similitudes existent entre les résultats de nos différentes études et le modèle intéroceptif de la régulation de la commande motrice centrale (McMorris et al., 2018). Nos études suggèrent que le CPF joue un rôle majeur dans l’amélioration de la performance, à l’instar du modèle de McMorris et al. (2018). Le CPF, au travers de nombreux feedbacks, va évaluer les choix possibles et prendre la décision de poursuivre l’effort, d’arrêter l’exercice ou bien de le réguler, en modifiant la commande motrice centrale. Ces décisions peuvent être influencées par de nombreux facteurs, comme par exemple les facteurs motivationnels. Il s’agit également d’un point de convergence avec nos études qui ont montré une augmentation de la motivation des femmes lorsqu’un stéréotype négatif à leur égard était induit. Enfin, la perception de l’effort, apparaissant comme centrale dans l’amélioration de la performance observée dans nos études, pourrait être influencée au travers de nombreux facteurs motivationnels (e.g., Andreacci et al., 2001 ; Blanchfield et al., 2014) ou périphériques (i.e., feedbacks afférents), comme le prédit le modèle intéroceptif de McMorris et al. (2018).
LES MECANISMES LIES A L’AMELIORATION DES HOMMES APRES L’INDUCTION D’UN STEREOTYPE SEXUE
Les études 1, 2, 3 et 4 nous ont également permis d’avoir une meilleure compréhension des mécanismes de l’effet d’ascenseur du stéréotype, jusqu’alors faiblement investigués. Seulement deux études dans le domaine physique et sportif ont tenté d’identifier les mécanismes explicatifs des effets d’ascenseur du stéréotype (Chalabaev, Stone et al., 2008 ; Laurin, 2017). Walton et Cohen (2003) avaient suggéré que ce phénomène exerçait son impact en encourageant les comparaisons sociales descendantes (i.e., avec un groupe perçu plus faible), augmentant la confiance en soi des participant.e.s avantagé.e.s par le stéréotype, conduisant à une amélioration de leur performance en exerçant un effort plus important. Chalabaev, Stone et al. (2008) ont confirmé cette hypothèse en montrant que l’amélioration de la performance des hommes après l’induction d’un stéréotype négatif à l’encontre des femmes, lors d’une tâche d’équilibre, était médiée par un engagement plus important dans la tâche. Cet engagement accru a été confirmé dans l’étude 2 au travers d’une augmentation de la fréquence cardiaque lorsque le stéréotype négatif envers les femmes était induit, comparativement à lorsque l’information contre-stéréotypique était induite.
Les participants ont également développé une puissance plus importante (étude 2) et une force plus importante (étude 4) après l’induction du stéréotype négatif envers les femmes, malgré une RPE fixe, mettant en exergue une modification de la relation dite RPE/intensité.
Cela suggère que la perception de l’effort a joué un rôle majeur dans l’amélioration de la performance observée dans ces deux études. Ces résultats sont consistants avec une étude montrant qu’induire une comparaison sociale descendante entrainait une réduction de la RPE des participants lors de l’effort suivant et améliorait leur performance d’endurance, comparativement aux participants de la condition contrôle (Hutchinson et al., 2008). Toutefois, pour attester du rôle majeur joué par la perception de l’effort dans l’amélioration de la performance des hommes, il nécessite d’être testé avec précision. Enfin, à l’instar des femmes, l’amélioration de la performance des hommes résulterait d’une fatigue centrale moins importante, caractérisée par une diminution moins importante de la MPF. Le raisonnement derrière cette hypothèse est le même que celui réalisé pour les femmes, étant donné le fait que les résultats étaient identiques entre les femmes et les hommes (voir section 3.2.). Même si certains mécanismes apparaissent comme communs aux résultats observés chez les femmes et les hommes, l’amélioration de la performance ne découlerait pas d’une planification plus importante du mouvement au niveau du CPF. En effet, aucune différence concernant l’amplitude des MRCPs n’a été observée au niveau du cortex moteur (i.e., probablement due à la faible différence de force développée entre les deux conditions) mais également au niveau du cortex préfrontal. De plus, les hommes n’étaient pas davantage motivés à surpasser les femmes lorsqu’un stéréotype négatif à l’encontre des femmes était induit.
Comme il existe une relation entre l’augmentation de la motivation et l’amplitude des RP (e.g., McAdam & Seales, 1968 ; Pornpattananangkul & Nusslock, 2015), une absence de modification de la motivation pourrait expliquer pourquoi aucune modification de l’amplitude des RP des hommes n’a été observée dans l’étude 4. Ce résultat est toutefois en lien avec les résultats de Chalabaev, Brisswalter et al. (2013) qui ne montraient aucune différence liée à la montée en force des hommes lors d’une tâche de force maximale, suggérant que les processus préparatoires n’étaient pas affectés par l’induction d’un stéréotype négatif. Il serait alors nécessaire de définir quels facteurs centraux seraient responsables de l’amélioration de la performance observée, avec notamment l’utilisation d’autres outils d’investigation. Par exemple, bien que l’EEG soit un outil fiable pour investiguer l’activité corticale et qu’il présente de nombreux avantages comme une résolution temporelle élevée (i.e., enregistrement milliseconde par milliseconde permettant de détecter des changements rapides de l’activité corticale), il contient certaines limites. Il possède, par exemple, une faible résolution spatiale, ce qui ne permet pas de détecter avec précision quelles zones sont spécifiquement activées dans le cortex préfrontal. L’utilisation de l’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle permettrait d’investiguer certaines zones en détail, comme par exemple le cortex cingulaire antérieur pouvant être fortement activé après l’induction d’un stéréotype négatif (Inzlicht & Kang, 2010 ; Krendl et al., 2008 ; Wraga et al., 2007).
LIMITES
Les travaux réalisés dans le cadre de cette thèse, bien qu’apportant de nouvelles informations sur l’influence des stéréotypes sexués et des stéréotypes liés à l’âge sur la performance physique et sportive, présentent toutefois certaines limites. Une première limite concerne les participant.e.s utilisé.e.s pour investiguer l’effet des stéréotypes sexués dans les études 1, 2, 3 et 4. Les participant.e.s de ces quatre études étaient exclusivement constitué.e.s d’étudiant.e.s de la Faculté des Sciences du Sport de Nice. Tout d’abord, recruter uniquement ce type de participant.e.s a pu exacerber les résultats obtenus lors de ces quatre premières études. D’après le modèle de la menace du stéréotype (Steele, 1997), les participant.e.s doivent être identifié.e.s au domaine évalué, c’est-à-dire percevoir ce domaine comme important pour eux/elles, pour être affecté.e.s par l’induction d’un stéréotype. Par conséquent, nous avons recruté uniquement des participant.e.s identifié.e.s au domaine du sport en général, et ces participant.e.s étaient même fortement identifié.e.s à ce domaine. Or, des études ont montré que le degré d’identification au domaine pouvait moduler l’effet des stéréotypes (pour une métaanalyse, voir Nguyen & Ryan, 2008 ; voir aussi Laurin, 2017a ; Saunders, 2016). En effet, les effets des stéréotypes négatifs auraient une influence négative moins importante sur les participant.e.s fortement identifié.e.s au domaine que sur les participants modérément identifié.e.s (Laurin, 2017a ; Nguyen & Ryan, 2008). Enfin, les participant.e.s fortement identifié.e.s au domaine pourraient même voir leur performance améliorée après l’induction d’un stéréotype négatif à leur égard (Saunders, 2016). Il serait alors nécessaire dans de futures études d’examiner si les effets obtenus dans cette thèse peuvent se retrouver sur une population modérément identifiée. De plus, le fait que l’intégralité des participant.e.s soit issue d’une même université tend à réduire la validité externe de nos recherches et il semble primordial de généraliser ces effets auprès d’une plus large population.