Les mécanismes de la menace du stéréotype

THE INTEGRATED PROCESS MODEL (SCHMADER, JOHNS, & FORBES, 2008)

Le modèle des processus intégrés, développé par Schmader et collaborateurs (2008), synthétise de nombreux travaux pour expliquer les effets de menace du stéréotype. Selon ces auteur.e.s, l’altération de la performance majoritairement observée résulterait de trois processus distincts mais interdépendants : un stress physiologique qui altèrerait directement le traitement préfrontal15 (i.e., chemin b, Figure 6), une surveillance accrue lors de l’exécution de la tâche (i.e., chemin d, Figure 6), ainsi qu’une mobilisation de ressources pour supprimer les pensées et émotions négatives.

Les réponses neurophysiologiques

Tout d’abord, l’induction d’un stéréotype négatif à l’encontre d’un groupe va entrainer une multitude de réponses physiologiques (e.g., Auman, Bosworth, & Hess, 2005 ; Blascovich et al., 2001 ; Croizet et al., 2004 ; John-Henderson, Rheinschmidt, & Mendoza-Denton, 2015 ; John-Henderson et al., 2014 ; Mendes, Blascovich, Lickel, & Hunter, 2002 ; Murphy et al., 2007 ; Osborne, 2006, 2007 ; Thorson et al., 2019 ; Vick, Seery, Blascovich, & Weisbuch, 2008) (i.e., Figure 6, chemin b). Blascovich et al. (2001) ont par exemple montré une augmentation de la pression artérielle chez des participant.e.s afro-américain.e.s en situation de menace du stéréotype, attribuée à un état d’anxiété plus élevé, lui-même dû à l’activation d’un stéréotype négatif.
Ce schéma, tiré et traduit de l’étude de Schmader et collaborateurs (2008), suggère que l’induction d’un stéréotype négatif va entrainer des réponses physiologiques (i.e., chemin b), une surveillance accrue (i.e., chemin d), ainsi que des émotions et pensées négatives (i.e., chemin f). L’effort fourni pour supprimer ces pensées et émotions négatives va diminuer les ressources liées à la mémoire de travail (i.e., chemin j), impactant en retour la performance lors de tâches cognitives ou d’interactions sociales (i.e., chemin a).
situation perçue comme menaçante (Murphy et al., 2007), reflétant un état de vigilance accrue.
Enfin, Croizet et al. (2004) ont notamment montré, en plus d’une réduction de la performancedu groupe menacé par un stéréotype négatif, une diminution de la variabilité de la fréquencecardiaque16. Cette dernière ayant été associée à une charge mentale accrue (pour une revue, voir Meshkati, 1988 ; voir aussi Delliaux, Delaforge, Deharo, & Chaumet, 2019), les auteur.e.s ontalors attribué ce résultat à une augmentation de la charge cognitive en situation de menace dustéréotype.
L’activité corticale semble également être impactée par l’induction d’une situation de menace du stéréotype (Forbes & Leitner, 2014 ; Inzlicht & Kang, 2010 ; Krendl, Richeson, Kelly, & Heatherton, 2008 ; Wraga, Helt, Jacobs, & Sullivan, 2007). Krendl et al. (2008) ontmontré que lors d’une tâche de mathématiques, les participantes assignées à la condition contrôle (i.e., aucun stéréotype n’était induit) recrutaient des zones corticales associées àl’apprentissage des mathématiques. Or, lorsqu’un stéréotype négatif à l’encontre des faibles capacités des femmes en mathématiques était induit, les participantes recrutaient dans une moindre mesure ces régions, remplacées par une forte activation du cortex cingulaire antérieur17 (i.e., ACC), localisé dans le cortex préfrontal. Dans la même lignée, l’induction d’un stéréotype négatif, toujours à l’encontre des faibles compétences des femmes, en plus d’entrainer une baisse de performance, a déclenché l’activation de certaines régions associées au traitement émotionnel, notamment localisées dans le cortex préfrontal, lors d’une tâche de rotation mentale (Wraga et al., 2007). Le cortex préfrontal semble ainsi jouer un rôle majeur dans la modification de performance observée en situation de menace du stéréotype. En plus d’une multitude de réactions neurophysiologiques, les participant.e.s vont alors focaliser une attention trop importante sur la tâche (i.e., chemin d, Figure 6).

Une surveillance accrue

Lorsqu’un stéréotype négatif envers un groupe est induit, les participant.e.s de ce groupe vont alors focaliser leur attention sur eux-mêmes/elles-mêmes et sur leur performance. Les participant.e.s menacé.e.s vont par exemple se demander : « Est-ce que je vais bien performer ?». Ces pensées sont liées à la crainte de confirmer le stéréotype, car le groupe auquel le/la participant.e appartient est négativement stéréotypé concernant la tâche à réaliser. De plus, il a été montré que l’individu.e est plus prudent.e en situation de menace du stéréotype, entrainant une exécution plus lente de la tâche mais plus précise, comparativement au groupe de la condition contrôle (e.g., Seibt & Förster, 2004). Il serait également plus attentif à saperformance (e.g., Beilock, Rydell, & McConnell, 2007) et plus vigilant aux signaux d’échec (e.g., Forbes, Schmader, & Allen, 2008). En croisant la théorie de la menace du stéréotype au modèle tridimensionnel des buts d’accomplissement (Elliot & Church, 1997), Chalabaev, Sarrazin et al. (2008) ont montré qu’en situation de menace du stéréotype, les participantes menacées par un stéréotype adoptaient plus de buts performance-évitement (en comparaison aux buts performance-approche) que les participantes de la condition contrôle. Brodish et Devine (2009) ont, quant à eux, montré que les buts performance-évitement médiaient l’effet de l’induction d’un stéréotype négatif sur la baisse de performance des femmes obtenue lors d’une tâche de mathématiques. Ces études renforcent l’idée selon laquelle les participant.e.s vont tenter d’éviter l’échec, c’est-à-dire éviter de faire moins bien que les autres, en portant une attention particulière sur la tâche. Cette attention accrue portée sur la tâche, couplée auxréponses neurophysiologiques, va entrainer chez l’individu.e des pensées et émotions négatives (i.e., chemins g et h, Figure 6 ; voir aussi chemin f).

Les pensées et émotions négatives

De nombreuses études ont mis en exergue l’apparition de pensées et émotions négatives lorsqu’un stéréotype négatif est activé (e.g., Brodish & Devine, 2009 ; Cadinu et al., 2005 ;Schmader& Johns, 2003). D’après Steele et al. (2002), une situation de menace du stéréotype va s’accompagner de « concerns about how one will be perceived, doubts about one’s ability, thoughts about the stereotype » (p. 392). Cela peut donc créer de la frustration chez les participant.e.s. Un conflit entre le stéréotype et les croyances de l’individu.e peut survenir. Le/la participant.e sait, de par la manipulation du stéréotype, que les personnes de son groupe ont tendance à échouer sur un test donné ; or, le/la participant.e se sent compétent.e sur le domaine évalué (voir section 1.3.2.). Cela va alors générer une incertitude sur sa propre performance. Schmader et Johns (2003) ont suggéré que la chute de performance observée en situation demenace du stéréotype pourrait résulter de l’intrusion de pensées négatives. Des mesuresnonverbales ont par exemple montré une plus grande anxiété comportementale en situation de menace du stéréotype (e.g., Bosson et al., 2004). Dans l’étude de Cadinu et al. (2005), il était demandé aux participantes, en plus de réaliser un test de mathématiques, de lister leurs pensées et émotions à l’instant présent. En accord avec les prédictions de Schmader et Johns (2003), les résultats montraient que les femmes en situation de menace du stéréotype avaient listé un plus grand nombre de pensées négatives, en direction du test et des mathématiques en général, que les participantes assignées au groupe contrôle. Dans l’étude de Schmader et Johns (2003), ces pensées et émotions ont médié la chute de performance observée. Enfin, Brodish et Devine (2009) ont observé que les participantes menacées par un stéréotype ressentaient une plus grande inquiétude liée à la réussite de la tâche, comparativement aux femmes assignées à la condition contrôle. Cette étude a montré que l’induction d’un stéréotype négatif entrainait l’adoption de buts « performance-évitement », qui en retour entrainait une plus grande inquiétude sur la tâche, diminuant finalement la performance lors d’une tâche de mathématiques. L’ensemble de ces études montre bien que l’induction d’un stéréotype négatif à l’encontre d’un groupe génère des pensées et émotions négatives. Selon Schmader et al. (2008), les participant.e.s étant motivé.e.s à infirmer le stéréotype vont s’engager dans des efforts actifs pour supprimer ces pensées et émotions négatives (e.g., Carr & Steele, 2009, étude 1 ; Croizet et al., 2004 ; Logel, Iserman, Davies, Quinn, & Spencer, 2009 ; Steele & Aronson, 1995) (i.e., chemin i, Figure 6). Une tâche de décision lexicale a, par exemple, été régulièrement utilisée pour attester d’une suppression des pensées et émotions négatives (e.g., Carr & Spencer, 2009, étude 1 ; Logel et al., 2009, étude 2). Dans ce type de tâches, il est demandé aux participant.e.s de déterminer si une chaine de lettres représente un vrai mot ou pas (certains mots étant liés à des stéréotypes comme « illogical » et « failure », d’autres à des mots neutres comme « melon » ou « door » ; Logel et al., 2009). Logel et al. (2009, étude 2) ont par exemple montré que les participantes menacées par un stéréotype mettaient davantage de temps à déterminer les mots stéréotypiques, comparativement aux participantes non-menacées, indiquant qu’elles faisaient des efforts pour supprimer le stéréotype en mémoire (voir Carr & Steele, 2009, étude 1 pour des résultats similaires). Cet effort accru pour supprimer les pensées et émotions négatives va entrainer une baisse de l’efficacité de la mémoire de travail, entrainant une diminution de la performance des individu.e.s menacé.e.s par un stéréotype (chemins j et a, Figure 6).

La mémoire de travail

De nombreux/ses auteur.e.s suggèrent que la chute de performance, majoritairement observée en situation de menace du stéréotype, résulterait d’une diminution de la mémoire de travail (e.g., Beilock, 2008 ; Beilock et al., 2007 ; Schmader & Jones, 2003). La mémoire detravail peut être considérée comme un système de mémoire à court terme impliqué dans lecontrôle, la régulation, et le maintien d’une quantité limitée d’informations importantes pour latâche à accomplir (Miyake & Shah, 1999). Schmader et Jones (2003, étude 1) ont, dans unpremier temps, montré que lors d’une tâche mesurant la mémoire de travail, les femmes menacées négativement quant à leurs faibles compétences en mathématiques montraient une réduction de l’efficacité de la mémoire de travail, comparativement aux femmes présentes dansle groupe contrôle. Ce résultat a été répliqué chez des personnes latines (i.e., négativementstéréotypées sur des tâches intellectuelles) durant un test cognitif (Schmader et Jones, 2003,étude 2). En plus de simplement impacter les capacités de mémoire de travail, ces mêmes auteur.e.s ont montré que la chute de performance observée chez les femmes lors d’un test demathématiques, après l’induction d’un stéréotype négatif à leur égard, était médiée par laréduction de la capacité de mémoire de travail (Schmader & Jones, 2003, étude 3). A la suitede ce travail, de nombreuses études ont confirmé l’idée qu’induire un stéréotype négatif enversun groupe pouvait entrainer une surcharge cognitive (e.g., Beilock et al., 2007 ; Croizet et al.,2004 ;Inzlicht, McKay, & Aronson, 2006 ; Rydell, Van Loo, & Boucher, 2014).
En allant plus loin et en utilisant le multicomponent model of working memory (Baddeley, 1986, 2000), Beilock et ses collaborateurs (2007) ont fourni le modèle le plusdétaillépour expliquer comment une situation de menace du stéréotype interférait avec lamémoire de travail. Selon ces auteur.e.s, les inquiétudes liées à la tâche vont majoritairement occuper la boucle phonologique. Cette boucle phonologique est un système de mémoire de travail ayant pour rôle le stockage et le traitement des informations verbales et symboliques (e.g., lettres, chiffres). Elle est notamment impliquée dans le calcul mental (e.g., Baddeley,1996). Pour tester cette hypothèse, Beilock et al. (2007) ont assigné leurs participantes soit à une condition contrôle, soit à une condition où un stéréotype négatif envers les femmes était induit. Dans chaque condition, la moitié des participantes devait réaliser une série de problèmes d’arithmétique modulaire18 présentés de manière horizontale (i.e., mettant fortement en jeu laboucle phonologique), et l’autre moitié devait réaliser les mêmes types de problèmes mais présentés de manière verticale (i.e., ne mettant pas en jeu la boucle phonologique). Les résultatsmontraient qu’en situation de menace du stéréotype, les participantes obtenaient de moins bons résultats que les participantes non menacées lors de la tâche, mettant en jeu la bouclephonologique. Comme également attendu, aucun effet n’était observé concernant lesparticipantes assignées à la réalisation de problèmes verticaux en situation de menace dustéréotype, renforçant le rôle majeur de la mémoire de travail en situation de menace dustéréotype.

THE MERE EFFORT ACCOUNT (JAMIESON & HARKINS, 2007)

Description du modèle

Le modèle du simple effort a été développé dans le but d’apporter une alternative quant à l’explication des effets de l’induction d’un stéréotype sur la performance (Harkins, 2006 ; Jamieson & Harkins, 2007). Se basant sur les travaux liés à la facilitation sociale (Zajonc, 1965), ce modèle stipule qu’une situation évaluative motiverait les participant.e.s à mieuxperformer, ce qui activerait la réponse dominante (i.e., la réponse la plus fréquente dans une situation donnée). Si cette réponse dominante est incorrecte, que les participant.e.s n’identifient pas rapidement l’inexactitude de cette réponse, et qu’ils/elles n’ont pas la connaissance requise ousuffisamment de temps pour la modifier, alors la performance est altérée (Figure 7). En revanche, si la réponse dominante est immédiatement correcte, ou que les participant.e.s ont la connaissance et le temps pour modifier la réponse incorrecte, alors une augmentation de la performance est attendue pour les participant.e.s en situation évaluative. Par exemple, lors dela résolution d’anagrammes, la réponse dominante est de tenter une consonne en première lettre (Witte & Freund, 2001). McFall, Jamieson, et Harkins (2009, étude 1) ont montré qu’en situation d’évaluation (i.e., les expérimentateurs/trices avaient spécifié aux participant.e.s que leur performance serait évaluée), les participant.e.s obtenaient de meilleurs résultats que les participant.e.s qui n’étaient pas en situation évaluative (i.e., les expérimentateurs/trices avaient spécifié aux participant.e.s que leur performance individuelle ne serait pas évaluée) lorsque la réponse commençait par une consonne. Inversement, ils/elles performaient moins bien lorsque la première lettre du mot était une voyelle.

Application du mere effort account à la menace du stéréotype

Certain.e.s chercheurs/euses ont alors tenté d’appliquer ce modèle à un autre type de situation évaluative : la menace du stéréotype (e.g., Huber, Brown, & Sternad, 2016 ; Huber et al., 2015 ; Jamieson & Harkins, 2007, 2009, 2011 ; Seitchik & Harkins, 2015). Ces auteur.e.s partaient du postulat qu’une situation de menace du stéréotype entrainait une augmentation de la motivation des participant.e.s qui souhaiteraient infirmer le stéréotype, en produisant davantage d’efforts dans la tâche. Selon eux/elles, si la réponse dominante liée à la tâche est correcte alors la performance des participant.e.s menacé.e.s serait améliorée, contrairement aux prédictions du modèle initial de la menace du stéréotype (Steele, 1997). Or, si cette réponse est incorrecte, que les participant.e.s ne s’en aperçoivent pas, n’aient pas la motivation ou le temps pour la modifier, alors la performance serait altérée.
Ce schéma, tiré et traduit de l’étude de Jamieson et Harkins (2007), nous montre que si la réponse dominante est correcte, alors la performance est améliorée pour les participant.e.s en situation de menace du stéréotype. Dans le cas où la réponse dominante est incorrecte et que les participant.e.s n’ont pas le temps ni la connaissance pour la modifier, la performance est altérée. Toutefois, s’ils/elles ont le temps et les capacités de la modifier, alors la performance est améliorée. été testé lors de tâches d’anti-saccades19 (Jamieson & Harkins, 2007), de résolution de problèmes (Jamieson & Harkins, 2009), de Stroop (Jamieson & Harkins, 2011), d’arithmétiques (Seitchik & Harkins, 2015), mais également dans le domaine physique (Huber et al., 2015, 2016, voir section 3.3.1.3.). Toutes ces études corroborent le modèle du simple effort en montrant des effets négatifs liés à l’induction d’un stéréotype négatif lorsque la réponse dominante n’est pas correcte (e.g., Huber et al., 2015, étude 2) ou que les participantes n’ont pas le temps de modifier leur réponse dominante incorrecte (e.g., Jamieson & Harkins, 2007, étude 1), mais une amélioration de la performance lorsque la réponse dominante est correcte (e.g., Huber et al., 2015, étude 3) ou que les participantes ont le temps et la motivation pour modifier leur réponse (e.g., Jamieson & Harkins, 2007, étude 2). Par exemple, au travers de quatre études, Seitchik et Harkins (2015) ont renforcé les prédictions du modèle du simple effort lors d’une tâche d’arithmétique. Lors de la résolution de soustractions horizontales (e.g., 57 – 28 = ), il existerait deux méthodes d’approche pour les résoudre : la méthode par ajustement et la méthode traditionnelle (Trbovitch & Lefevre, 2003). La méthode par ajustement consiste à arrondir le deuxième nombre à la dizaine la plus proche, réaliser la soustraction, et enfin ajuster la valeur obtenue20 ; le résultat est alors rentré de gauche à droite (i.e., dizaines puis unités). La méthode traditionnelle, quant à elle, nécessite de rentrer le résultat de droite à gauche. Pour réaliser l’opération 57 – 28 par l’intermédiaire de cette méthode, il faut emprunter une dizaine au premier nombre, permettant de réaliser l’opération 17 – 8. Le résultat obtenu (i.e., 9) est alors entré dans la case de droite. Enfin, il suffit de soustraire les dizaines restantes (4 – 2) et insérer le résultat (i.e., 2) dans la case de 19 Lors d’une tâche d’anti-saccades, les participant.e.s ont l’instruction de fixer une croix placée sur un écran. Puis, ils doivent répondre de la position d’une cible, placée de manière aléatoire d’un côté ou de l’autre de l’écran.
Cependant, avant que la cible apparaisse, un distracteur est présenté sur le côté opposé de l’écran de la cible à deviner. Il est demandé aux participant.e.s de ne pas regarder ce distracteur mais plutôt de regarder le côté opposé où la bonne cible apparaitra. 20 Pour la soustraction 57 – 28, la méthode de l’ajustement consiste à arrondir 28 à 30, puis réaliser la soustraction 57 – 30 qui donne 27, pour enfin ajouter 2 à 27 gauche. Dans la méthode traditionnelle, les unités sont alors notées en premier, suivies du chiffre des dizaines.
Pour tester les prédictions du modèle du simple effort (Jamieson & Harkins, 2007), les auteur.e.s ont alors, dans une première étude, défini la réponse dominante sur la tâche : lesparticipantes utilisaient dans une plus grande mesure la méthode par ajustement que la méthode traditionnelle (i.e., aucune manipulation de stéréotypes réalisée dans cette étude) (Seitchik & Harkins, 2015, étude 1). Le modèle du simple effort suggère également qu’en situation demenace du stéréotype la réponse dominante serait activée dans une plus grande mesure (Jamieson & Harkins, 2007). En lien avec ces prédictions, Seitchik et Harkins (2015, étude 2) ont confirmé que l’induction d’un stéréotype négatif activait dans une plus grande mesure la réponse dominante : la méthode par ajustement. Dans l’étude 3, les auteurs ont alors testé
l’hypothèse du modèle du simple effort avec une manipulation de stéréotypes. Pour cela, la moitié des participantes était assignée à une condition où un stéréotype sexué négatif était induit et l’autre moitié était assignée à une condition où une information contre-stéréotypique était induite. Ils ont ensuite pris part à des résolutions de problèmes : la moitié des participantes devant remplir la réponse de gauche à droite (i.e., dizaines puis unités) et l’autre moitié de droite à gauche (i.e., unités puis dizaines). Les auteur.e.s ont alors prédit, en accord avec leshypothèses du modèle du simple effort, une amélioration de la performance des participantes devant remplir la réponse de gauche à droite (i.e., la réponse censée être utilisée dans la méthode par ajustement). En accord avec cette hypothèse, les participantes menacées ont obtenu de meilleurs résultats que les participantes non-menacées, car elles ont utilisé la technique par ajustement (i.e., réalisée majoritairement en entrant la réponse de gauche à droite) dans une plus grande mesure. En accord également avec le modèle du simple effort, lorsque la réponse devait être remplie de droite à gauche (i.e., ne permettant pas la réalisation de la réponse dominante : la méthode par ajustement), les participantes menacées par un stéréotype obtenaient des résultats inférieurs aux participantes non-menacées. Cette étude révèle que lemodèle du simple effort (Jamieson & Harkins, 2007) apparaît comme une alternative fiable pour expliquer les effets de l’induction d’un stéréotype négatif (pour des résultats similaires, voir Huber et al., 2015, 2016 ; Jamieson & Harkins, 2007, 2009, 2011).
Ce modèle n’apparaît cependant pas comme une continuité ou une précision par rapport au modèle des processus intégrés (Schmader et al., 2008) et le remet largement en question, tout comme la théorie initiale de la menace du stéréotype (Steele, 1997).

DES MODELES COMPLEMENTAIRES OU A DISSOCIER ?

Le modèle des processus intégrés (Schmader et al., 2008) et le modèle du simple effort (Jamieson & Harkins, 2007) apparaissent comme valides pour expliquer les effets de l’induction d’un stéréotype négatif, ayant tous deux été appliqués lors de tâches diverses. Despoints communs apparaissent entre ces deux modèles, mais également de grandes différences.
Par exemple, ces deux modèles prédisent que l’induction d’un stéréotype négatif entrainerait une motivation à infirmer le stéréotype qui se traduirait par un engagement accru dans la tâche (Jamieson & Harkins, 2007 ; Schmader et al., 2008). Cependant, le modèle des processus intégrés propose que l’induction d’un stéréotype négatif mènerait inexorablement à une chute de la performance, en accord avec la théorie initiale de la menace du stéréotype (Steele, 1997). Pour le modèle du simple effort, l’induction d’un stéréotype négatif pourrait aussi bien aboutir à une baisse de la performance qu’à une augmentation de la performance (voir par exempleJamieson & Harkins, 2007 ; Huber et al., 2015). Ce résultat dépendrait de la qualité de la réponse dominante (Jamieson & Harkins, 2007). Nous verrons dans la partie suivante si cesdeux modèles sont compatibles ou s’ils sont à dissocier.

The mere effort account vs. the integrated process model

D’une manière générale, le modèle des processus intégrés stipule un épuisement de la mémoire de travail qui affecterait in fine la performance (e.g., Beilock, 2008 ; Beilock et al.,2007 ; Schmader & Jones, 2003), alors que le modèle du simple effort suggère que le résultat final ne dépendrait non pas d’un épuisement des ressources mais serait lié à la qualité de la réponse dominante (i.e., correcte vs. incorrecte ; Huber et al., 2015 ; Seitchik & Harkins, 2015). Pour confronter ces deux idées, certaines études ont alors testé ces deux modèles au sein d’une même étude (e.g., Jamieson & Harkins, 2007 ; Seitchik & Harkins, 2015). Lors d’une tâche d’anti-saccades (i.e., tâche d’inhibition), il était demandé aux participant.e.s de fixer une croixplacée sur un écran (Jamieson & Harkins, 2007). Ils/elles devaient ensuite décrire la position d’une cible placée sur l’autre partie de l’écran s’affichant plus tard (Figure 8). Cependant, un distracteur apparaissait juste avant l’affichage de la cible, à l’opposé de celle-ci (Figure 8). Même s’il était demandé aux participant.e.s de ne pas regarder ce distracteur, il existe tout de même une tendance à le regarder. II a été montré que plus les participant.e.s ont de faibles capacités de mémoire de travail, plus ils/elles réalisent des saccades réflexes (i.e., regarder le distracteur puis modifier le regard pour regarder la bonne cible) car il leur est difficile d’inhiber la réponse réflexe (i.e., regarder le distracteur). Cela entraine une perte de temps dans la réalisation de la tâche (i.e., pouvant entrainer une baisse de la performance).

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