Les mathématiques discrètes

Argumentaire général

Les mathématiques discrètes

Mais que veut dire « discret » ? Si le mot ne correspond pas à une notion mathématique précise, nous pouvons tout de même dire qu’il est le contraire du mot « continu ». Nous savons que l’ensemble des nombres réels constitue un ensemble continu. L’ensemble des nombres entiers, bien qu’infini, nous apporte la notion de « discret » dans le sens où les entiers sont « éloignés » les uns des autres, dans une acception naturelle. De fait, il est établi que nous vivons dans un monde « discret », depuis que nous savons que la matière possède un nombre fini d’atomes, et que nos mouvements, bien que continus, sont un ensemble des mouvements discrets (Sebö, 2006). Par ailleurs, la plupart des théories mathématiques classiques présentées dans les programmes scolaires traitent seulement du « continu », en tant que sciences de l’infini. Sebö (2006) précise ainsi que « les mathématiques discrètes veulent traiter de ce qui est discret (fini ?), mais trop complexe pour être traité “à la main”, sans outils mathématiques ».
Le fait est que les mathématiques discrètes sont ancrées à la fois dans les mathématiques et dans les applications contemporaines. Plusieurs coopérations antérieures franco-libanaises ont eu lieu dans le cadre du projet européen Biohead-Citizen (FP6), du projet CEDRE-Ema2S, et du projet DOCENS. Le projet CEDRE dans lequel s’inscrit cette thèse avait pour vocation de penser de nouvelles modalités d’enseignement et d’apprentissage dans le supérieur, et de formuler des recommandations sur « l’assurance qualité » dans l’enseignement supérieur. En France et au Liban, l’étude des évolutions dans l’enseignement supérieur, menée à un niveau institutionnel, se doit de porter une attention particulière aux questions liées à la discipline ellemême.
La thèse développée ici porte sur les mathématiques du supérieur, situées au carrefour de l’informatique et des mathématiques, et en particulier sur le champ des mathématiques discrètes à un niveau épistémologique et didactique. Il est important de souligner aujourd’hui la nécessité, dans les recherches en didactique des mathématiques, de développer une didactique de l’enseignement supérieur (en plein essor au niveau international depuis quelques années), et plus particulièrement une didactique des mathématiques discrètes. En effet, quelques initiatives existent au niveau international (nous les présenterons plus amplement dans l’état de l’art), mais le champ de la didactique des mathématiques discrètes n’est pas encore délimité, alors qu’il existe des didactiques de l’analyse, de l’algèbre, de la géométrie, etc., et que les contenus de l’enseignement supérieur intègrent également des éléments de mathématiques discrètes, parfois en lien avec l’informatique. Cette thèse propose ainsi une étude épistémologique pour construire les premières bases d’une didactique des mathématiques discrètes. Elle se situe donc à un niveau épistémologique de définition des contenus mathématiques, et à un niveau didactique d’étude des apprentissages dans le supérieur. Nous étudierons en particulier la manière dont les concepts et les raisonnements propres aux mathématiques discrètes sont définis, afin de caractériser plus précisément ce dernier domaine.

Constats généraux

Ces vingt dernières années ont coïncidé avec une augmentation des recherches dans le domaine de l’éducation autour des trois thèmes suivants : les mathématiques discrètes, la preuve, et la question des mathématiques du XXIe siècle. Un fait consécutif aux développements numériques dans le monde entier, et à la nécessité de s’adapter à ces changements dans le but de bien former les étudiants à ce monde dynamique. Dans ce contexte, nous avons listé les travaux autour de ce thème au cours des vingt dernières années et nous présentons ci-dessous trois constats de différentes natures relatifs au champ des mathématiques discrètes :
1. Un constat sociétal : l’évolution de nos sociétés accorde une place grandissante aux mathématiques discrètes (dans différents domaines tels que l’informatique, les moyens de communication, l’imagerie médicale …). De plus, l’articulation entre différentes disciplines est avérée (mathématiques, informatique, mais aussi biologie, médecine, économie, etc.) (Hart & Martin, 2016; Ouvrier-Buffet, 2014; DIMACS, 2001).
2. Un constat épistémologique : les mathématiques discrètes constituent un champ desmathématiques jeune qui se structure et entre en interaction avec d’autres branches des mathématiques ; les objets et les modes de raisonneme nt des mathématiques discrètes sont spécifiques (DIMACS, 2001).
3. Un constat didactique : les mathématiques discrètes proposent des objets faciles d’accès, et créent un enjeu de vérité fort de par les objets et conjectures possibles ; nous observons par ailleurs que les curricula (du secondaire en particulier) évoluent avec l’arrivée d’éléments relatifs aux mathématiques discrètes (Grenier & Payan, 1998; Cartier, 2008; Goldin G. , 2010).
Pour conclure, nous souhaitons rappeler que les mathématiques discrètes, bien que constituant une théorie mathématique pouvant apparaître facile d’accès par la nature de ses objets, demeurent un objet complexe en raison du travail mathématique de modélisation, de preuve, qu’elles impliquent. Nous constatons alors qu’il est nécessaire de faire des analyses épistémologiques et didactiques. L’enseignement des mathématiques discrètes est relativement peu étudié en didactique des mathématiques ; les travaux sur l’enseignement supérieur, dans lequel s’inscrit notre recherche, sont encore moins nombreux. Identifier les potentialités d’enseignement en mathématiques discrètes pour le supérieur est une question non explorée en didactique des mathématiques. La caractérisation de ce qui est effectivement enseigné en mathématiques discrètes dans le supérieur, des ressources utilisées, des épistémologies sousjacentes, est aussi à établir (nous nous limitons ici au Liban et à la France).

Les mathématiques discrètes dans les curricula : aperçu de quelques cas

Au cours de ces trente dernières années, la place des mathématiques discrètes a considérablement évolué dans plusieurs pays, notamment les États-Unis, la France et la Hongrie. Les recherches concernant son développement sont en cours. Nous cherchons en particulier à mieux comprendre les intérêts qui justifient l’intégration des mathématiques discrètes dans les curricula de ces pays. Nous présentons dans cette partie les contextes et les raisons expliquant son intégration, en étudiant quatre cas (États-Unis, France, Hongrie, Liban).

Cas des États-Unis

Au début des années 1980, l’Association mathématique américaine (MAA) crée un comité dont l’objet est d’aider à concevoir un courssur les mathématiques discrètes qui réponde aux besoins de l’informatique et qui s’intègre bien dans le programme traditionnel de mathématiques. Ce comité (dont les membres sont : Martha J. Siegel ; Alfs Berztiss ; Donald Bushaw ; Jerome Goldstein ; Gerald Isaacs ; Stephen Maurer ; Anthony Ralston ; John Schemeelk) publie un rapport dans lequel il présente plusieurs recommandations (Ralston, 1989). Nous les résumerons ainsi

Cas de la Hongrie

La Hongrie est un pays culturellement marqué par les mathématiques discrètes, et qui a vu naître des spécialistes célèbres des mathématiques discrètes, à l’instar de Paul Erdös. Il faut également citer Eugene Egerváry, qui peut tout à fait être considéré comme l’un des pèresfondateurs de ce qui est appelé aujourd’hui l’optimisation combinatoire. Prolongeant lestravaux antérieurs de Dénes Kőnig, Egerváry a décrit le théorème de dualité pour le « weighted bipartite matching problem » — aujourd’hui connu sous le nom de problème d’affectation. Il a démontré le résultat intégral, et a développé l’idée sous-jacente du premier algorithme de type « primal-dual » qui est appelé dans toute la littérature la « méthode hongroise ». Les idées d’Egerváry ont engendré un énorme corpus de recherches ultérieures dans des domaines tels que les flots de réseau, la programmation linéaire, l’optimisation matroïde ou la théorie des correspondances. Des groupes de recherche ont été établis au sein de l’Académie des sciences hongroise pour suivre la tradition établie par Egerváry et pour travailler sur des problèmes d’optimisation combinatoire et d’algorithmes.
La réforme de l’enseignement des mathématiques en Hongrie s’est passé comme suit : en 1962, Tamás Varga propose des pistes pour une réforme de l’enseignement des mathématiques dans un colloque international de l’UNESCO organisé à Budapest. Il commence à mener ses expérimentations en 1963, lesquelles mènent à un projet de réforme élaboré en 1972. La réforme est mise en place au niveau national en 1978 (Gosztonyi, 2012). Selon Gosztoyni (2012), les mathématiciens de « l’École hongroise » pensent qu’il faut apprendre aux élèves à « penser mathématiquement ». Mais cette « pensée mathématique » ne se limite pas, pour les membres de cette « école », à la démonstration et à l’organisation du savoir : ils accordent une grande importance aux méthodes de la découverte qui, sans être sûres ou universelles, peuvent être développées par l’enseignement. Ainsi, il faut donner aux élèves l’opportunité d’accumuler de nombreuses expériences variées ; et l’enseignant a le rôle de les guider à travers une série de problèmes raisonnablement organisée. L’enseignement doit donc prendre la forme d’un dialogue entre l’enseignant et la classe, lors d’un processus de redécouverte collective des mathématiques. Ce processus doit être alimenté par la curiosité naturelle des élèves, par leurs questions, par leur envie ludique et leur goût artistique.
L’apprentissage des mathématiques devient ainsi un processus plaisant, tenant compte des personnalités diverses des élèves, mais permet également de les éduquer à une pensée autonome, de former leur esprit critique.
Toujours selon Gosztonyi (2012), la réforme hongroise s’inspirait des réflexions épistémologiques approfondies des mathématiciens qui intervenaient à l’époque. Ces réflexions sont liées aux questions épistémologiques que pose le développement des mathématiques au XXe siècle dans le temps, mais entretiennent également des rapports avec la pratique de recherche de leurs concepteurs. Dans le cas hongrois, ces pratiques sont plutôt axées sur la logique, l’informatique, les probabilités et les mathématiques discrètes (Gosztonyi, 2012). La réforme hongroise menée par Varga a apporté de nouveaux contenus mathématiques.
Le programme de 1978 regroupe le contenu mathématique en cinq grands thèmes : ensembles, logique ; arithmétique, algèbre ; relations, fonctions, séries ; géométrie, mesure ; combinatoire, probabilités, statistiques. Pour Varga, il existe une articulation entre ces différents domaines : au lieu qu’un seul domaine assure la cohérence des mathématiques étudiées, ils s’alimentent mutuellement. Une spécificité thématique distingue le programme de Varga : l’enseignement de la combinatoire et des probabilités. De fait, la combinatoire et les probabilités représentent deux centres d’intérêt traditionnels des recherches en mathématiques hongroises. Cet aperçu historique montre que la place des mathématiques discrètes et de la preuve est tout à fait remarquable en Hongrie, au niveau scolaire. Cette situation est plus précisément due aufait que le pays a, très tôt, développé une culture d’enseignement des mathématiques discrètes et de la preuve.

Cas de la France

En 1999, à l’initiative du ministère de l’Éducation Nationale, une commission de réflexion sur l’enseignement de mathématiques (CREM) est créée à la demande de plusieurs associations.
Sa mission : « conduire, en amont du Conseil national des programmes et du groupe d’experts chargés d’élaborer les programmes de mathématiques de l’enseignement secondaire, une réflexion globale et à long terme sur l’enseignement des mathématiques de l’école élémentaire à l’université ». Cette commission était en majorité composée d’enseignants en mathématiques et de chercheurs. Le CREM produira quatre rapports d’étape : « La géométrie et son enseignement » ; « Informatique et enseignement des mathématiques » ; « Calcul » ; « Statistiques et probabilités », tous les quatre publiés ; puis un cinquième rapport intitulé « Formation des maîtres et recommandations associées ». L’introduction d’éléments de la  théorie des graphes est essentiellement motivée par la volonté d’introduire un enseignement d’informatique dans l’enseignement des sciences mathématiques (Cartier, 2008). Le rapport « Informatique et enseignement des mathématiques » est le seul traitant explicitement les graphes. On trouvera ci-dessous une liste non-exhaustive des arguments liés à cette introduction.

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