Les marchés de DSP comme espace d’opportunités pour la proposition de nouveaux services
Les offres eau potable et assainissement de l’entreprise pour expérimenter et vendre de nouveaux services
Depuis quelques années, des nouveaux services grand cycle de l’eau de Lyonnaise des Eaux sont proposés et expérimentés dans le cadre de renouvellements ou de conquêtes de contrats de DSP eau potable et/ou assainissement. Comme l’affirme un directeur d’Entreprise Régionale : « Certaines propositions “milieux naturels” sont intégrées dans la DSP et c’est nouveau. Avant, ce genre de choses n’étaient pas incluses dans le cahier des charges, il n’y avait ni recettes ni capacités de dépenses pour aller voir ce qui se passe dans la rivière. Ca ne faisait tout simplement pas partie du périmètre. Aujourd’hui, on le fait de plus en plus, à travers des fonds développement durable ou des fonds spéciaux dans les délégations : cela ne représente rien par rapport au total, alors c’est finalement la facture d’eau qui alimente ces opérations. » Deux offres récentes pour de grandes villes, Bordeaux et Marseille, sont illustratives de cette dynamique d’intégration de nouveaux services à différentes étapes de la formulation de la réponse à l’appel d’offre, de la négociation avec la collectivité et de la mise en œuvre du contrat. Les principaux éléments en sont résumés ci-dessous (voir aussi Der Garabédian, 2014). Chapitre
Le contrat de DSP à Bordeaux
En 2012, le contrat de DSP de l’assainissement collectif des eaux usées et de gestion des eaux pluviales urbaines de l’Entreprise Régionale Bordeaux Guyenne avec la Communauté Urbaine de Bordeaux (CUB) arrive à échéance. Peu avant la parution de l’appel d’offre et du cahier des charges, l’entreprise met en place une équipe projet pour élaborer l’offre composée de responsables thématiques (finance, réseau et partenariats, milieux aquatiques, etc.). L’équipe projet s’inspire du projet métropolitain de la collectivité visant à atteindre un million d’habitants d’ici 2030 et à accompagner cet objectif démographique de projets urbanistiques, de transports mais aussi environnementaux (voir CUB, 2012). L’entreprise, qui connaît bien les enjeux et les acteurs du territoire sur lequel elle est présente depuis près d’un siècle, décide de consacrer une part conséquente de sa réponse à l’appel d’offre aux problématiques environnementales. Elle s’appuie sur des études spécialement réalisées à cette l’occasion (cartographie des actions portant sur la biodiversité du territoire, cartographie des espaces naturels, étude des Trames Vertes et Bleues, qualité des masses d’eau, etc.) afin de suggérer des nouveaux projets répondant aux enjeux de préservation des milieux aquatiques et de reconquête des écosystèmes face à une pression démographique accrue. L’entreprise propose également de prolonger des initiatives financées sur ses fonds propres dans d’anciens contrats, pour les inscrire dans le nouveau contrat en préparation (par exemple la prolongation d’un partenariat avec une association de protection de la nature pour la mise en place de nouveaux plans de gestion différenciée de la biodiversité sur des bassins de rétention d’eau pluviale et autres sites d’assainissement). Comme nous l’indique un interlocuteur impliqué dans la formulation de l’offre, l’enjeu était de repousser le périmètre classique des contrats d’assainissement : « On ne voulait pas seulement gérer un service d’assainissement. On voulait vraiment qu’il y ait une dimension environnementale et sociétale forte. Et surtout, on souhaitait aller un cran plus loin dans l’implication d’un délégataire dans la protection de son territoire ». De nombreux projets ont ainsi été proposés par l’entreprise sur les questions liées aux écosystèmes et au grand cycle de l’eau : création d’une zone humide artificielle, projets de suivi des milieux naturels aquatiques et terrestres, cartographie des services écosystémiques, gestion intégrée de l’assainissement, restauration et ouverture de cours d’eau, etc. Beaucoup de ces propositions d’actions sur le grand cycle de l’eau ont été intégrées dans le contrat mais n’ont finalement pas été réalisées. Cela est dû notamment au choix par la collectivité d’un contrat d’affermage, plus court et offrant moins de liberté d’investissement à l’entreprise qu’un contrat de concession. Ce sont alors avant tout des études de faisabilité sur les sujets environnementaux et grand cycle de l’eau qui ont été commandées à Lyonnaise des Eaux, laissant l’autorité à la collectivité de développer ces projets et de les transformer en nouveaux Chapitre 7 260 investissements si elle le souhaite, après la signature du contrat. Ces études et ces projets d’innovation ont été essentiellement portés par le laboratoire de Lyonnaise des Eaux à Bordeaux, le LyRE. Un peu plus d’un an après le contrat, la collectivité a en sa possession une vingtaine d’études réalisées par l’entreprise, et seules quelques-unes ont fait l’objet d’une réalisation. C’est le cas par exemple de la mise en place, de l’entretien et de l’exploitation de deux SIRENE® financées par le contrat de DSP pour améliorer l’état des connaissances des cours d’eau du territoire. D’autres projets tels que la construction d’une Zone Libellule® à la sortie d’une station d’épuration située dans un corridor écologique n’a pas été réalisé au moment de la rédaction. Sur le territoire de la CUB, l’Entreprise Régionale Bordeaux Guyenne continue à être force de proposition, et cherche à accroître sa légitimité sur les questions liées à la gestion des milieux naturels auprès de la collectivité et de ses partenaires sur le territoire. L’enjeu est alors que la collectivité puisse s’approprier ces propositions et choisisse de les réaliser avec l’entreprise. Comme nous l’indique une autre interlocutrice : « Aujourd’hui, notre implication s’arrête à la production d’études [sur tous ces nouveaux projets]. Et si la CUB veut que ça s’arrête là, ça s’arrêtera là. » Les SIRENE® sont des systèmes de mesure en continu de la qualité des milieux aquatiques (turbidité, oxygène, température, salinité etc.). Ces sondes-bouées sont associées à un ensemble de services de cogestion dans la durée (mise en place et maintenance des outils, archivage et stockage de données, mise à disposition des données en temps réel par des plateformes de visualisation, analyses et interprétation sur un temps long, services d’alertes et d’intervention rapide, etc.). Les SIRENES® peuvent être placées dans des cours d’eau ou des lacs pour un temps court ou long. Elles peuvent être associées à d’autres outils pour compléter le dispositif d’évaluation et de suivi de la qualité des eaux (courantomètres, pluviomètres, stations météos, modélisations du ruissellement, etc.). Une « Zone Libellule® » (acronyme pour Zone de Liberté Biologique et de Lutte contre les polluants émergents) est une zone végétalisée artificielle, construite en sortie de station d’épuration et remplissant différentes fonctions écologiques : gestion des flux hydrauliques, traitement complémentaire de l’eau et lutte contre les micropolluants, préservation de la biodiversité, fonctions pédagogiques avec la visite de scolaires, etc. La première Zone Libellule® a été développée dans le cadre d’un projet pilote sur la commune de Saint-Just dans le contexte du renouvellement de la station d’épuration. D’autres zones humides artificielles de ce type ont fait l’objet de transactions commerciales, comme sur la commune de Mios où la Zone Libellule® a fait l’objet d’un avenant dans la DSP assainissement. La construction a en partie été financée par l’Agence de l’eau. Ce n’est pas toujours possible : la réglementation ne reconnaît en effet pas les Zones Libellule® comme une extension de la station d’épuration pouvant être rémunérée sur la facture d’eau, notamment si le point de mesures physicochimiques des rejets de la station reste en amont de la zone humide artificielle. L’entreprise cherche aujourd’hui à améliorer les connaissances scientifiques sur les zones humides et leurs fonctionnalités, et à développer et industrialiser aujourd’hui toute une gamme de zones humides artificielles dans le cadre du projet de R&D « ZHART » (pour un descriptif et un historique détaillé de la Zone Libellule de Saint-Just, voir par exemple : Scemama et Levrel, 2012)
Le contrat de DSP à Marseille
En 2012, Lyonnaise des Eaux remporte le contrat de DSP assainissement de la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole dont elle est le délégataire sortant. L’assainissement est alors géré par l’entreprise via une société dédiée, le Service d’Assainissement Marseille Métropole (SERAMM). De la même manière que sur Bordeaux, une équipe projet sous l’égide de la Direction des grands projets du siège est mise en place. La dimension environnementale de la réponse à l’appel d’offre apparaît plus tardivement que dans le cas de Bordeaux, comme nous l’indique l’un de nos interlocuteurs impliqués dans le projet : « Lors de la construction de l’offre, il y a eu un basculement de l’idée initiale qu’on avait rien à dire sur l’environnement à l’idée que c’est l’environnement qui nous permettra d’être différenciant face à la concurrence. » La dimension grand cycle devient petit à petit l’un des éléments clés sous l’effet de plusieurs facteurs : la parution d’un cahier des charges prévoyant des droits d’investissements du délégataire pour la protection des milieux aquatiques, la parution du Plan Climat Energie Territorial de Marseille et la création du Parc National des Calanques. Ces éléments ont encouragé la proposition par Lyonnaise des Eaux de nouvelles activités environnementales et de gestion des milieux aquatiques et de la biodiversité. Par ailleurs, les propositions de l’offre ont été construites à partir d’expériences mises en œuvre dans le contrat arrivant à échéance (modélisation des flux de pollution marins, multiplication du nombre de sites de la SERAMM en gestion différenciée en partenariat avec des associations, etc.). L’esprit du volet environnemental de l’offre s’est également inspiré de la doctrine Eviter-Réduire-Compenser qui prévaut aujourd’hui dans la gestion des impacts des projets d’aménagement sur les milieux naturels. Il s’agissait d’aider Marseille à devenir une ville à « biodiversité positive » en proposant des nouvelles activités permettant de mieux surveiller et qualifier les écosystèmes (mise en place de stations de mesure marines et de suivi de la qualité des milieux naturels), d’agir pour éviter et réduire les impacts (gestion de la qualité des ruisseaux, réduction de l’impact sur le littoral, gestion des macro-déchets), et de compenser les impacts du système d’assainissement des eaux usées et pluviales sur la biodiversité marine et terrestre (mise en place d’un programme de recherche sur la compensation écologique marine, restauration de biodiversité marine et implantation d’algues endémiques, habitats sous-marins artificiels dans le Vieux Port, etc.). Le système « PHARE », centre de pilotage haute technologie du réseau d’assainissement, a également été retenu dans le contrat. Il permet de rassembler et de partager avec la collectivité tout un ensemble d’informations sur le réseau, et contient un volet spécifique sur le suivi de la qualité écologique des milieux. Les grandes offres élaborées par Lyonnaise des Eaux sur les marchés de DSP sont une occasion pour l’entreprise d’expérimenter, de développer et de donner une vraie visibilité à ses innovations et à ses nouveaux services dédiés au grand cycle de l’eau. Si leur place dans la négociation et dans la mise en œuvre des contrats reste au final secondaire, ces expériences de diversification sont souvent relatées par nos interlocuteurs comme des éléments différenciants jouant un rôle favorable pour l’identité de l’entreprise face à la concurrence et dans ses relations avec les clients et ses partenaires locaux.