Les liens entre le japon et l’ouest

Pour comprendre comment le Japon répondit aux demandes occidentales, aboutissant à la création de Yokohama, il faut revenir en arrière de quelques siècles au moment où le Japon avait encore des liens ouverts avec le reste de l’Asie. Pour cette partie, nous aborderons un peu plus les points de vue japonais et asiatique des échanges avec l’Occident. Nous commencerons d’abord par un résumé sommaire du contexte géopolitique de la mer de Chine quelques siècles avant notre période. Puis nous expliquerons pourquoi le Japon instaura sa politique extérieure d’isolement, le sakoku et les principales interprétations des historiens sur les causes et les conséquences de cette politique. Nous aborderons ensuite l’arrivée des Européens en Asie puis leurs tentatives pour initier des contacts avec le Japon. Nous verrons aussi que, bien qu’ayant eu peu de contacts avec l’extérieur, les diplomates japonais avaient déjà une solide connaissance de la diplomatie asiatique des Occidentaux, notamment en Chine, ce qui leur a permis de réagir adéquatement à ce qu’ils croyaient être une menace. Finalement, nous verrons les traités qui furent instaurés entre le Japon, le Royaume-Uni, les ÉtatsUnis et d’autres pays d’Europe concernant entre autres le commerce et la création du port de traité de Yokohama.

LES RELATIONS ENTRE L’OCCIDENT ET LE JAPON

La mer de Chine orientale fut longtemps le lieu d’échange entre le Japon, la Chine, la Corée et d’autres pays du Sud-est asiatique. Selon la thèse de François Gipouloux dans La Méditerranée asiatique, les relations entre le Japon et le reste des pays de l’Asie ont été dictées selon le statut diplomatique que chacun avait l’un envers l’autre. Utilisant le modèle de la mer Méditerranée comme un lieu d’échange et de liaison entre les villes portuaires et entre les pays, Gipouloux compare ce qu’il a appelé la « Méditerranée asiatique » (concept regroupant les mers du Japon, de Chine et celles du sud-est) à ce modèle pour faire valoir les réseaux d’échanges qui existaient entre les pays d’Asie de l’Est. Son étude relève des particularités intéressantes, et l’une des plus pertinentes a trait à la manière de faire du commerce maritime en Asie. En effet, si dans la Méditerranée les républiques portuaires indépendantes, comme Venise et Gênes, permettaient d’instaurer des réseaux maritimes stables et fiables, notamment par des guildes marchandes et des institutions qui régulaient et protégeaient via certains droits maritime et commercial , en Asie, le commerce maritime, ou simplement les contacts extérieurs, étaient principalement le fait et le vouloir des gouvernements. La Chine, en tant que grande puissance tributaire (nous verrons plus loin), n’était cependant pas une simple cité marchande, ni d’ailleurs ses voisins, le Japon et la Corée.

LES ÉCHANGES DANS LES MERS DE L’EST

Étant un archipel, le Japon a toujours eu plus ou moins de contacts avec le reste de l’Asie. Du XIVe au XVIe siècle, certaines villes portuaires ont bien profité du commerce avec la Chine, la Corée et le royaume des îles Ryūkyū, et c’est le cas pour le port de Sakai, situé sur la baie d’Osaka qui se trouve au centre du Japon, le port de  Hyōgo et surtout celui de Hakata (aujourd’hui Fukuoka), situé près de la Corée entre la mer de Chine orientale et la mer du Japon. Hakata, nous dit Gipouloux, était le grand centre d’échange avec la Chine pendant cette époque .

Les empereurs Ming (1368-1644) furent confrontés à plusieurs problèmes dès le début de leur règne, notamment des troubles avec les Mongols au Nord et les pirates japonais (appelés wakō) qui assaillaient les côtes de la Chine depuis le XIIIe siècle. L’empereur Hong Wu (1368-1398) répondit à ces menaces de plusieurs manières, notamment en instaurant la prohibition des activités maritimes chinoises, en réactivant le système de tribut avec ses voisins et en tentant une ouverture diplomatique vers le Japon et d’autres nations maritimes, dans une tentative pour contrer l’action des wakō. Les négociations avec le Japon échouèrent, mais celles avec les îles Ryūkyū réussirent  exceptionnellement bien, ce qui, en échange d’un tribut versé aux Ming, leur permit de recevoir le droit de commercer avec la Chine, une reconnaissance diplomatique et une certaine protection militaire . Les îles Ryūkyū ne formèrent un royaume qu’en 1429, année où les différentes chefferies de l’île d’Okinawa se soumirent sous l’autorité de celle de Chūzan pour former le gouvernement de Chūzan du pays de Ryūkyū. Or, Chūzan était tributaire de la Chine depuis 1372, ainsi ce fut toutes les îles de Ryūkyū qui bénéficia de son statut de vassal envers la Chine en 1429.

LE COMMERCE TRIBUTAIRE

Précisons d’abord un aspect important du commerce outre-mer chinois. Contrairement à ce qui se faisait en Europe à environ la même époque, en Asie, les institutions ou les droits qui réglementaient le commerce et protégeaient les marchands et leurs investissements, comme par exemple les assurances sur les marchandises, étaient peu développés. De plus, les produits de luxe, ceux qui pouvaient rapporter beaucoup comme la soie ou la céramique de qualité, avaient un marché très restreint qui ciblait les bien nantis, le plus souvent la noblesse et les souverains. Et pour intéresser cette élite spéciale et protéger les énormes capitaux impliqués, il fallait des connaissances spécifiques sur les préférences des acheteurs et de bonnes recommandations. C’est pourquoi le commerce extérieur était le plus souvent apparenté au commerce tributaire , d’autant plus qu’il était aussi un monopole d’État à partir des Ming. En effet, si plusieurs fonctionnaires de la cour détenaient des parts dans des compagnies maritimes et des manufactures, l’État chinois imposait des droits de douanes et une législation très rigoureuse et répressive à laquelle tous ceux qui souhaitaient faire du commerce outre-mer devaient se plier, notamment par l’obtention d’un certificat d’enregistrement officiel qui définissait dans quelle région tel marchand avait le droit de commercer. De plus, il faut mentionner que les navires et les moyens des marchands étaient une ressource d’appoint non négligeable que l’État ne se gênait pas d’utiliser, notamment pour les combats en mer .

Dirigé et autorisé par l’État, le commerce maritime donnait effectivement l’impression qu’il était un organe de l’État chinois. Mais avec la prohibition des activités maritimes sous les Ming, le commerce tributaire et diplomatique prit en partie le relai du commerce outre-mer monopolisé par l’État . Ce commerce s’effectuait déjà chez les souverains et la noblesse étrangère avec les produits de luxe et engageait des marchands ayant des navires, des ressources, des réseaux de contacts et des accréditations gouvernementales témoignant de leur fiabilité.

Le commerce tributaire s’effectuait entre la Chine et ses vassaux selon un ordre hiérarchique spécifique visant à distinguer l’empire du Milieu et les autres États barbares. Tout étranger souhaitant commercer avec la Chine devait provenir d’un pays qui lui payait tribut mais, dans le contexte qui nous intéresse, cet étranger devait en plus faire partie d’une délégation tributaire et avoir une autorisation spéciale pour pouvoir acheter ou vendre des produits dans des villes chinoises spécifiques et seulement pendant la durée de l’expédition tributaire. Comme les Chinois ne pouvaient pas voyager outre-mer, les délégations chinoises diplomatiques étaient aussi le seul moyen pour quelques marchands accrédités de commercer légalement avec l’étranger.

LE JAPON ET L’OCCIDENT ASIATIQUE

L’ordre instauré sur les mers par la Chine influença énormément les échanges entre les pays de l’Asie de l’Est et surtout ceux d’un de ses plus proches voisins, le Japon. Revenons sur les wakō. Ces pirates étaient particulièrement actifs dès la fin du XIVe siècle et ils comptaient dans leurs rangs beaucoup de Chinois. Pointons ici la coïncidence entre l’intensification de leurs activités et le commencement de la prohibition des activités maritimes chinoises. Sans s’en douter, il eut une prolifération du commerce illégal pour combler les demandes locales en produits étrangers. Les wakō cependant ne se contentaient pas seulement d’échanger illégalement des produits, ils ont véritablement ravagé les côtes chinoises et coréennes par leurs raids et enlisé les relations entre le Japon et la Chine, jusqu’à ce que celle-ci suspende ses relations officielles avec le Japon en 1523.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 SOURCES ET MÉTHODES
1.1. RÉFÉRENCES
1.2. GÉOGRAPHIE HUMAINE ET URBANISME
1.3. PORTS DE TRAITÉ
1.4. LES RELATIONS EST-OUEST
1.5. CONCLUSION
CHAPITRE 2 LES LIENS ENTRE LE JAPON ET L’OUEST
2.1. LES RELATIONS ENTRE L’OCCIDENT ET LE JAPON
2.1.1. LES ÉCHANGES DANS LES MERS DE L’EST
2.1.1.1. LE COMMERCE TRIBUTAIRE
2.1.1.2. LE JAPON ET L’OCCIDENT ASIATIQUE
2.1.2. LE SAKOKU, UN CONCEPT MITIGÉ
2.1.2.1. DIFFÉRENTES INTERPRÉTATIONS
2.1.3. LES PREMIERS CONTACTS AVEC LES BRITANNIQUES ET LES AMÉRICAINS
2.1.3.1. LE CAS DE LA CHINE
2.1.3.2. LE CAS DU SIAM
2.1.3.3. LES PREMIERS CONTACTS SUR LES CÔTES JAPONAISES AU XIXe SIÈCLE
2.1.3.3.1. LES AMÉRICAINS ET L’OUVERTURE DU JAPON
2.1.3.4. LE MODELAGE DE LA CULTURE DIPLOMATIQUE JAPONAISE
2.2. LES TRAITÉS ANSEI
2.2.1. PROLOGUE : L’EXPÉDITION PERRY
2.2.2. LE TRAITÉ HARRIS
2.2.2.1. LES PRINCIPALES CLAUSES
2.2.2.2. L’IMPORTANCE DE YOKOHAMA
2.2.3. LA RÉELLE APPLICATION DES TRAITÉS
2.3. CONCLUSION
CHAPITRE 3 LA COMMUNAUTÉ ANGLO-AMÉRICAINE DE YOKAHAMA
3.1 BREF PORTRAIT DÉMOGRAPHIQUE
3.1.1 DIFFICULTÉS DE RECENSEMENT
3.1.2 PROVENANCE DES HABITANTS
3.1.3 LA SITUATION FÉMININE
3.1.4 LES MISSIONNAIRES
3.2 COMMERCE ET ÉCONOMIE LOCALE ET INTERNATIONALE
3.2.1 LA RUÉE VERS L’OR DE YOKOHAMA
3.2.2 ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES DES HABITANTS
3.2.2.1 LES COMPAGNIES ET FIRMES DE COMMERCE
3.2.2.2 LE COMMERCE INTERNATIONAL À YOKOHAMA
3.2.2.3 LES PROFESSIONNELS
3.3 LA VIE SOCIALE ET COMMUNAUTAIRE
3.3.1 LES CLUBS ET ACTIVITÉS COMMUNAUTAIRES
3.3.1.1 L’IMPORTANCE DES CLUBS SPORTIFS
3.3.1.2 LES CLUBS PRIVÉS ET ÉVÈNEMENTS CULTURELS
3.3.2 LES PUBLICATIONS LOCALES
3.3.3 YOKOHAMA, VILLE DE DIVERTISSEMENTS
3.4 CONCLUSION
CHAPITRE 4 LE TERRITOIRE ET SES HABITANTS
4.1 LE BUND DE YOKOHAMA
4.1.1. CONSTRUIRE L’ESPACE URBAIN : YOKOHAMA
4.1.1.1. LE QUARTIER OCCIDENTAL
4.1.1.1.1. L’INCENDIE DE 1866
4.1.1.1.2. LE BUND : UN ESPACE MULTIFONCTIONNEL
4.1.1.2. LES QUARTIERS JAPONAIS ET CHINOIS
4.1.1.3. LE QUARTIER MIYOZAKI
4.1.2. ÉPILOQUE : ESPACES DE TRAVAIL, DE DIVERTISSEMENT ET DE VIE PRIVÉE
4.2 LES RELATIONS ENTRE LES ANGLO-AMÉRICAINS ET LES AUTRES
4.2.1. L’INDISPENSABLE COMPRADOR CHINOIS
4.2.2. LES BANTŌ JAPONAIS
4.2.3. HÉGÉMONIE OU NON ?
4.3 LES FRONTIÈRES PSYCHOLOGIQUES DE YOKOHAMA
4.3.1. INSÉCURITÉ FACE À L’EXTÉRIEUR
4.3.1.1. LA BARRIÈRE DE LA LANGUE
4.3.1.2. PRESSIONS INTERNES ET EXTERNES
4.3.2. OPINIONS FACE À LA RÉVISION DES TRAITÉS INÉGAUX
4.4 CONCLUSION
CONCLUSION GÉNÉRALE

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