De la charité aux libéralités à caractère collectif. Dans ce verset de l’Évangile, Saint Matthieu affirme que celui qui donne sera récompensé par Dieu. Il met alors en évidence que l’homme charitable qui réalise un don peut poursuivre un intérêt moral, un intérêt spirituel. La charité, affirment Saint Thomas d’Aquin et Saint Augustin, peut conduire l’homme à être heureux : elle tient une place de premier ordre dans le Christianisme. Elle est hissée au rang de la plus importante des trois vertus théologales . Définie, par un théologien et encyclopédiste, comme l’amour de Dieu et de son prochain , elle peut aussi conduire l’homme à faire don de sa personne, de ses conseils, et aussi de son bien – au sens patrimonial du terme. En philosophie, la personne dévouée se distingue du bienfaiteur qui donne un bien . Le bienfaiteur est un donateur.
Selon la personne de son bénéficiaire, la libéralité charitable peut prendre une forme individuelle ou collective . La seconde, la charité collective, ou la bienfaisance publique , s’est développée, mettant en œuvre deLa première est connue : c’est l’aumône directement adressée à un bénéficiaire déterminé.s actions collectives. Cette charité porte le nom de philanthropie : c’est une « bienfaisance [qui] consiste non pas à secourir individuellement les malheureux, mais à améliorer le sort des hommes par des moyens d’une portée générale » . Le bienfaiteur porte le nom de philanthrope. Le bénéficiaire de ce type de charité est la collectivité et non un individu identifié.
Émergence d’une catégorie. En droit, la systématisation de cette catégorie de libéralités à caractère collectif est récente, et l’a été pour la première fois par F LOUR, dans son cours de droit civil dispensé en 1961. Selon lui, la spécificité des « libéralités de caractère collectif » tient aux personnes des bénéficiaires : « Au lieu de gratifier une personne déterminée, le disposant veut faire profiter de sa générosité tout un ensemble de personnes, une collectivité. » Ce faisant, l’éminent auteur affine la pensée de ceux qui l’ont précédé. PLANIOL et RIPERT, par exemple, distinguaient au sein de leur Traité, les libéralités à caractère individualiste, des libéralités à caractère religieux ou social . CASSIN, quant à lui, consacrait en 1939 son cours de doctorat spécifiquement aux libéralités qui ont un « caractère d’utilité publique ». D’autres auteurs ont encore relevé que certaines libéralités avaient un but social.
Reprise par SOULEAU, la catégorie n’a connu qu’un succès inégal en doctrine. Seuls certains auteurs ont accueilli cette qualification. Tous s’accordent sur la définition des libéralités à caractère collectif. Ces libéralités ne sont pas destinées « à une personne en particulier […] le disposant y exprime sa générosité envers […] une catégorie de personnes », elles sont alors adressées à « des groupes plus ou moins étendus de personnes » . La libéralité à caractère collectif est donc celle qui doit bénéficier à des personnes physiques indéterminées et non individualisées. Les bénéficiaires finaux de la libéralité à caractère collectif sont, en fait sinon en droit, selon une expression empruntée à C APITANT, les membres de la collectivité tout entière ou les membres d’une catégorie particulière de personnes. Ainsi, la libéralité affectée à la défense des animaux et de l’environnement bénéficie à la collectivité dans son ensemble tandis que la libéralité destinée à secourir les pauvres vise une catégorie précise de bénéficiaires. Finalement, la libéralité à caractère collectif est au service d’une œuvre, elle sert une cause. Cette cause peut être d’intérêt général, c’est-à-dire qu’elle sert « l’ensemble des intérêts communs aux différents individus qui composent une société ». À ce titre, SOULEAU estime que les libéralités à caractère collectif cherchent exclusivement « à satisfaire l’intérêt général ». En réalité, l’intérêt collectif ne se confond pas avec l’intérêt général, car ce dernier est , constituant, pour DEMOGUE, un « intérêt collectif important ». De façon plus générale, la libéralité à caractère collectif est consentie « dans l’intérêt d’une catégorie de personnes […], d’une cause notamment politique […] ou religieuse ».
Libéralités à caractère collectif et personnes morales. Une difficulté technique se pose dès ce stade : destinée à des bénéficiaires indéterminées, la libéralité doit pourtant être adressée à une personne juridique certaine. C’est ainsi que les personnes morales apparaissent comme « les destinataires naturels » des libéralités à caractère collectif. Les personnes morales sont, en effet, « plus aptes que les personnes physiques à représenter et à défendre un groupe de personnes, une cause, l’intérêt général ». Par ailleurs, en ce qui concerne l’affectation perpétuelle des biens, le droit français s’oppose à ce que des personnes physiques puissent être désignées pour réaliser la cause souhaitée puisqu’il interdit les substitutions fidéicommissaires.
En revanche, si l’affectation n’est pas perpétuelle, rien ne s’oppose en théorie à ce que la libéralité en question soit réalisée par l’intermédiaire d’une personne physique. L’éventuelle clause d’inaliénabilité permettant cette affectation et grevant la libéralité est alors temporaire et motivée par un intérêt sérieux et légitime conformément aux exigences de l’article 900-1 du Code civil. L’hypothèse est, néanmoins, résiduelle. Pratiquement, elle vise seulement celle dans laquelle une personne physique est désignée légataire avec pour charge de redistribuer l’objet du legs à des personnes indéterminées qu’elle aura individualisées au sein d’un groupe défini par le testateur. Il s’agit de l’institution bien connue du legs avec charge d’élire.
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