Les Khaśa
Les Khaśa dans la littérature
Plusieurs théories ont été avancées concernant l’origine et l’identité des Khaśa. Ces spéculations sont largement basées sur les informations dispensées par les textes hindous du 1er millénaire EC. George Abraham Grierson donne une liste exhaustive de ces références textuelles faisant mention des Khaśa (ou Khaś, Khaśya), généralement en termes peu gracieux56. La récurrence des mentions des Khaśa dans la littérature indienne médiévale est en grande partie constitutive de l’image qui en a été dressée au cours des XIXe et XXe siècles. Pour cette raison je relèverai ici les passages jugés comme fondateurs du concept de Khaśa et ceux comportant des informations par rapport à leur identité culturelle et à leurs origines.
Les Purāṇa présentent les références sanskrites les plus anciennes, bien que difficilement datables. Le Viṣṇu Purāṇa fait référence à une certaine Khasā, l’une des nombreuses femmes du Ṛṣi Kaśyapa, comme étant la mère des yakṣa et des rākṣasa57. Ces deux catégories d’êtres mythologiques sont fréquemment qualifiées de personnages assoiffés de sang, comme dans le Bhāgavata Purāṇa (env. VIe -Xe siècle)58, voire même de cannibales59. La mention de peuplades cannibales est également présente chez Pline l’Ancien (23-79 EC), qui indique dans un célèbre passage que :
Après les Attacores viennent les peuples des Thuniens, des Tochariens et – nous arrivons maintenant aux Indiens – des Casires tournés dans l’intérieur du côté des Scythes (ce sont des anthropophages)60. Cette antique mention occidentale est fréquemment citée par nombre d’auteurs, qui considèrent que les Casires de Pline sont les Khaśīra ou Khaśa himalayens61. Pline ne s’est cependant pas rendu en Inde et a dû fonder sa description sur l’Indica de Mégasthène (340-283 AEC), les fragments de ce texte aujourd’hui perdu citant une peuplade nommée Cosyri62.
L’ethnonyme « khaśa »
L’ethnogénèse des Khaśa a fait l’objet, comme pour bon nombre d’autres peuples connus depuis les textes védiques, de plusieurs hypothèses, que je résume ici brièvement. Pour Edwin Atkinson les Khaśa sont issus des Aryens et donc d’Asie Centrale89. Brian H. Hodgson exprime une théorie similaire, bien que confuse. Ce dernier affirme que les Khaśa, à l’instar d’autres peuples de l’Himalaya occidental, sont la résultante de mélanges entre « aborigènes tartares du côté maternel » et « ariens (Bráhman et Kshétriya) du côté paternel »
Il est également dit des Khaśa qu’ils auraient été chassés d’Asie Centrale vers l’Inde par l’arrivée des Huns entre le VIe siècle AEC et le Ve siècle EC91. Le Mahābhārata utilise à leur sujet le terme de ekāsana (« d’un seul lieu, endroit »).92 Rajaran Subedi considère cependant les Khaśa comme des nomades originaires d’Iran. D’après cet auteur les Khaśa et les Gurjar (de l’actuel Gujarat) des environs du XIIe siècle auraient été en bons termes du fait du partage de cette même culture pastorale nomade93. De manière similaire, Ram Rahul considère qu’il y a en fait deux souches Khaśa : celle des Khaśa « originels » et celle des migrants Rajputs. Les deux groupes se seraient liés par le biais de mariages94. D’autres avis suggèrent un brassage encore plus large, incorporant cette fois-ci des apports des régions tibétophone.