« Les jeunes aiment lire, c’est la première leçon de cette étude , commente Vincent Monadé, président du Centre national du livre. Ils lisent avant tout pour le plaisir, mais aussi pour se détendre, s’évader, rêver » . C’est effectivement ce qui a été constaté dans une étude réalisée par l’Institut Ipsos pour le CNL en 2016 dont l’échantillon se résume à 1500 jeunes âgés de 7 à 19 ans. Les résultats montrent bien que « non seulement les jeunes lisent, mais ils aiment lire ! » [Monadé, 2016]. Comme expliqué dans leur synthèse des résultats, si le livre reste le premier bien culturel des Français et la lecture l’une de leurs activités préférées, il n’en demeure pas moins que l’un comme l’autre voient leurs poids s’amenuiser, en particulier chez les jeunes ; d’où la réalisation de cette enquête qui a pour but d’essayer de mieux connaître et de mieux comprendre ce public jeune ainsi que les potentiels facteurs qui provoqueraient un frein à la pratique de la lecture. C’est également ce que je vais tenter d’analyser lors de ma propre enquête mais avec un échantillon et des âges plus réduits.
Délimitation des contours de l’objet de recherche
La thématique générale porte sur la lecture. Cette étude se focalise également sur une zone géographique étant Perpignan et ses alentours et elle se délimite à une catégorie sociale étudiée, ici les jeunes et plus précisément des lycéens. Même si ce sont ces derniers qui sont au cœur du sujet, des comparaisons pourront être faites par rapport à d’autres générations via le témoignage de personnes qui ont plus de « vécu ». Cette pratique de la lecture chez les jeunes sera mise en relation avec d’autres variables, principalement avec celle des nouvelles technologies.
Terrain d’enquête : un lycée de Perpignan
Le lycée polyvalent de Perpignan accueille environ 1700 élèves chaque année. Par “polyvalent”, on entend que les filières que l’on peut y trouver sont variées : générales, technologiques, professionnelles et on y trouve même 5 BTS différents. L’établissement permet aux élèves de prendre des cours de musique, de chant, de danse, d’art plastique ou encore de cuisine.
Ce terrain est un lieu enrichissant, où il y a de l’interaction, de l’échange, beaucoup de monde à rencontrer. En effet, en plus des élèves, on y trouve une équipe administrative et éducative composée d’une vingtaine de personnes dont un proviseur, deux proviseurs-adjoints et trois CPE. Enfin, il y a un grand nombre de professeurs : 172 au total. Cet établissement est composé de deux grands bâtiments, un qui regroupe les filières générales et technologiques ; un autre pour les filières professionnelles et les BTS. On y trouve également une cafétéria, une salle de danse, un internat, un CDI, un gymnase avec un grand stade et deux salles de self (les terrains de sport et la cantine étant partagés avec le collège adjacent).
Mon accès au terrain
Le terrain est réellement l’idéal pour deux raisons. Premièrement au niveau de l’accessibilité. Si le cadre avait été différent et que je ne travaillais pas là-bas, j’aurais très certainement eu beaucoup de démarches à effectuer pour pouvoir étudier au sein d’un établissement scolaire. Des démarches qui n’auraient peut-être d’ailleurs rien donné ou auxquelles on n’aurait pas donné de suite, d’une part car le plan vigipirate demande d’être prudent sur les allées et venues des personnes extérieures à l’établissement ; d’autre part en raison des restrictions sanitaires. Cependant, mon statut d’AED m’a permis d’avoir un accès beaucoup plus simple et d’éviter de devoir faire ces demandes. Je n’ai eu besoin que d’une autorisation du Proviseur pour pouvoir mener mon enquête, autorisation qu’il m’a donné avec grand plaisir. Étant connue de l’établissement et ayant créé des liens avec beaucoup de personnes, une certaine confiance s’est installée et je pense fortement que cela a favorisé l’obtention de cette autorisation. Il n’y avait aucune raison de douter de mon projet ni de sa fiabilité. J’ai pris le temps de l’expliquer, de préciser que tout serait anonyme et qu’il pourrait même (lui ou d’autres personnes) avoir accès aux résultats s’il le souhaitait.
Deuxièmement, il est l’idéal dans sa grande diversité d’individus. Plusieurs variables se présentent à moi en plus des filières : les âges, les milieux sociaux, le genre ou encore le fait que les élèves soient internes ou externes à l’établissement. Ils ont tous entre 15 et 20 ans et à mon sens, je me devais d’en savoir un peu plus sur cette population que j’avais choisi d’étudier. Les caractéristiques propres aux élèves sont assez différentes mais le seul point commun entre les élèves avec qui j’ai réalisé des entretiens est qu’ils sont tous internes (étant moi-même maîtresse d’internat, j’ai beaucoup plus facilement eu accès à ces élèves). De plus, pour en connaître davantage sur ce public de lycéens, il était capital que je m’adresse à des personnes qui les fréquentent quotidiennement : les professeurs et professeurs documentalistes.
Mon rapport à la lecture et à l’objet de recherche
Cependant, mes connaissances étaient assez limitées et floues sur le sujet, c’est-à dire je ne connaissais rien de concret si ce n’est tout ce que j’ai pu entendre ou tout ce que je peux encore entendre aujourd’hui aussi bien dans mon entourage que dans les médias, comme quoi les jeunes d’aujourd’hui ne lisent plus, qu’à cause de cela ils écrivent ou s’expriment mal à l’oral. Par exemple, lors d’une émission appelée « Vivement dimanche prochain » présentée par Michel Drucker, l’invité du jour Dany Boon (acteur et humoriste) s’exclame : « Ils savent plus s’exprimer les gamins d’aujourd’hui. Les jeunes, parce que c’est les réseaux sociaux, ils lisent plus, vous ne lisez plus ! Du coup vous savez plus écrire, vous savez plus lire, c’est une catastrophe ! » . La phrase récurrente que j’ai eu l’occasion d’entendre régulièrement est la suivante : « de toute façon, les jeunes ne lisent plus de nos jours». Pourquoi pense-t-on cela ? Est-ce qu’on peut réellement appuyer ce discours simplement parce qu’on voit constamment les jeunes rivés sur leurs écrans ? Par ailleurs, je dirais que le peu de connaissances que j’ai sur cette thématique peuvent faire l’objet de stéréotypes. Ils se présentent sous forme de phrases que j’entends lors de conversations, à la télévision ou bien que je lis sur Internet. Certains articles en ligne expliquent que dès l’adolescence, l’enfant n’a plus envie de lire . Il y a même une étude de l’Institut Ipsos pour le CNL qui montre qu’en 2021, seuls 80% des 15-24 ans se perçoivent comme lecteurs alors qu’ils étaient 92% à le penser en 2019.
Ces connaissances sont aussi très certainement liées à mon propre vécu. Par exemple, moi-même quand j’étais lycéenne, j’aimais lire et j’aime d’ailleurs toujours lire des romans et je sais qu’autour de moi, excepté mes parents, personne de mon entourage n’aimait lire. Je remarquais aussi que mes amis qui ne lisaient pas avaient leurs proches qui ne lisaient pas spécialement non plus. Je faisais partie de ces élèves qui n’aimaient pas ou ne lisaient pas les livres qu’on nous imposait à l’école, particulièrement en cours de français. J’ai la sensation que les élèves sont très nombreux à ne pas apprécier ou à ne pas vouloir lire les lectures scolaires. C’est quelque chose que j’ai réellement constaté dans mes propres classes au collège, au lycée et même dans mon entourage familial proche notamment mes sœurs. Mais est-ce vraiment universel ? Ces faits sont constatés dans un ouvrage de Roberto Casati dans lequel l’auteur démontre que les enfants / jeunes lisent plus s’ils ont grandi dans un environnement riche en livres ; ou encore que la lecture est menacée du fait que les écoles soient de plus en plus équipées en matériel numérique . Cette notion de technologie est, je pense, étroitement liée à la lecture. Dans son ouvrage, un chapitre sur le sujet a retenu mon attention, celui-ci s’intitule « L’atout du livre dans la tempête numérique ». Ici, R. Casati s’interroge : pour quelles raisons se tournerait-on plus vers un outil numérique pour lire plutôt qu’un livre papier ? Il montre à quel point les nouvelles technologies sont ancrées dans nos quotidiens et les stratégies qu’elles emploient pour entrer dans nos vies. Ce chapitre est intéressant car le contraste écran / papier est une des premières raisons pour lesquelles je me suis penchée sur cette thématique de mémoire. Le but étant de déterminer quels rôles ont chacun et qu’est-ce qui fait qu’on en privilégierait plus l’un que l’autre ?
Depuis l’apparition de ces nouveaux outils numériques, on considère que les livres ont été délaissés au profit de ces nouveaux appareils « qui abrutissent les jeunes !!». En 2009, Philip Roth disait de la lecture que c’est : « une activité qui demande de la concentration et qui se révèle peu compatible avec l’univers technologique dans lequel nous vivons ». Certains articles en ligne se posent-même la question de savoir si les nouvelles technologies ont ou sont sur le point de tuer le livre : « Certaines librairies fermant en chaîne, les regards se sont tournés vers quelques plateformes de commerce en ligne, accusées de “tuer le commerce de proximité” » .
I – Objet de recherche et terrain d’enquête |