Les isotopes du fer comme traceurs du cycle du fer dans le secteur Atlantique de l’océan Austral
Sources et cycle du Fer dans l’océan
Sources de fer
Nous avons vu que les apports de fer au sein de l’océan et notamment des zones HNLC pouvaient provoquer une croissance du phytoplancton et par conséquent favoriser la photosynthèse et la production primaire. L’hypothèse de Martin (1990) évoquait comme source principale de fer à l’océan les dépôts atmosphériques de poussières. Cependant de nombreuses autres sources de fer à l’océan peuvent être considérées, comme notamment les apports de rivières, l’hydrothermalisme ainsi que les sédiments dont la contribution au contenu en fer de l’océan peut être significative. Dans cette section, nous allons décrire les estimations de flux de fer apporté à l’océan par ces différentes sources, calculés par différents auteurs, ainsi que de leur impact potentiel sur la zone d’étude que nous privilégierons, l’océan Austral.
Apports atmosphériques
La croûte terrestre étant composée d’environ 3,5% de fer (en masse) (Taylor et McLennan, 1995), l’érosion puis le transport de matériel lithogénique dans l’atmosphère constitue une source significative de fer à l’océan. Les apports atmosphériques (ou aérosols) furent longtemps considérés comme la principale source de fer à l’océan (Duce et Tindale, 1991; Jickells et al., 2005). Ces apports peuvent être de 2 types : les apports secs par chute gravitaire des aérosols, et les apports humides par l’action des précipitations qui lessivent la colonne atmosphérique de ses aérosols. Les apports atmosphériques sont issus du transport de particules (poussières >1µm) depuis les régions arides et semi arides. Ces particules sont appelées aérosols et sont suffisamment légères pour être entrainées par les vents à haute altitude, et ont un temps de résidence suffisamment long pour pouvoir être transportés sur de longues distances (des milliers de kilomètres). L’océan mondial recevrait environ 450 Tg par an de dépôts atmosphériques (Figure 3). Les poussières atteignant l’océan Atlantique (essentiellement sahariennes) constituent le flux le plus important de particules atmosphérique vers l’océan. En effet on estime à environ 47% en moyenne la contribution du dépôt atmosphérique sur l’ensemble de l’océan Atlantique par rapport à l’océan mondial (Jickells et al., 2005). L’océan Austral recevrait en moyenne 6% des dépôts atmosphériques à l’océan mondial. Jickells et al. (2005) estiment les apports de fer à l’océan via les aérosols à environ 2,9.1011mol/an, dont moins de 2% serait effectivement soluble dans l’eau de mer (Jickells et Spokes, 2001). Cela amènerait donc un total de 5,7.109 mol de fer soluble par an à l’océan. Une autre estimation de ce flux par Moore et Braucher (2008) indique 23,6.109 moles de fer soluble par an apporté à l’océan global. Nous considèrerons donc que les aérosols amènent entre 5,7 et 23,6.109 mol/an de fer soluble à l’océan. Sur la figure 3, on se rend compte que l’Amérique du sud, l’Afrique du sud ainsi que l’Australie peuvent constituer des sources importantes d’aérosols dans l’océan Austral qui nous intéressera plus particulièrement. Nous pouvons également évoquer l’apport de fer par les poussières extraterrestres (par exemple par les micrométéorites qui sont riches en fer) avec un flux d’environ 3.10-7 mol Fe/m²/an, soit environ 1.108 moles de Fe biodisponible par an (Johnson, 2001). Ce flux représenterait ainsi entre 1 et 2% des apports atmosphériques à l’océan mondial. Cependant au niveau de l’océan Austral, le flux de fer biodisponible provenant des aérosols serait d’environ 1.10-6 mol Fe/m²/an (Fung et al., 2000; Lefèvre and Watson, 1999; Measures and Vink, 2000) pour une solubilité de 10%. En supposant que la solubilité serait plutôt de l’ordre de 1 à 2%, les poussières extraterrestres pourraient apporter entre 1,5 et 3 fois plus de fer biodisponible que les aérosols dans l’océan Austral (Johnson, 2001). Cette source reste très mal contrainte (ainsi que la source atmosphérique dans l’océan austral d’ailleurs), largement issue de travaux de modélisation, et les conclusions ci-dessus matière à débat.
Apports des rivières
Le flux de matériel dissous et particulaire apporté par les rivières à l’océan est estimé respectivement à 3,7.1015 et 15,5.1015g/an (Chester, 2000). Les rivières drainent toutes sortes de sols et de roches qui libèrent principalement du fer sous forme de minéraux (par exemple des oxydes). Le flux de fer dissous amené dans les estuaires par les rivières est estimé à 4,7.108 mol/an, et le flux de fer particulaire à 2,3.1011mol/an (Sunda, 2001). Cependant, lorsque toute cette matière (dissoute et particulaire) arrive dans les estuaires, elle se retrouve piégée à hauteur de 95% dans les sédiments par des processus de floculation. Si l’on considère que 95% du fer dissous (DFe) est piégé dans les sédiments, alors le flux net de DFe à l’océan venant des rivières serait de 0,023.109 mol/an (Chester, 2000; de Baar et de Jong, 2001). Ce flux est donc très faible comparé au flux de DFe apporté par les aérosols (moins de 0.5% du flux des aérosols). Etant donné que peu de rivières importantes se déversent dans l’océan Austral, nous considèrerons leur apport de DFe comme négligeable par rapport aux apports atmosphériques dans notre zone d’étude Une autre source potentielle de fer dissous à l’océan est l’activité hydrothermale (Boyle et al., 2005; Coale et al., 1991). Le flux de fer dissous vers l’océan profond depuis les cheminées hydrothermales serait compris entre 5,4.109 et 47.109 mol/an (Bennett et al., 2008) et à une concentration comprise entre 0,75 et 6,47 mmol/L (Elderfield et Schultz, 1996). Cette source hydrothermale a longtemps été considérée comme négligeable lorsque l’on s’intéresse aux interactions entre le fer et le phytoplancton en raison de la profondeur des rides océaniques. Les panaches hydrothermaux ne remonteraient pas à la surface pour nourrir le phytoplancton. Par ailleurs lorsque le fluide hydrothermal entre en contact avec la colonne d’eau, les changements brutaux de pH et de composition chimique permettent la formation massive et rapide de particules polymétalliques, notamment des sulfures de fer et d’oxyhydroxydes de fer qui précipitent et chutent à proximité de la cheminée hydrothermale (Feely et al., 1987). Cependant la présence de ligands organiques permettrait la stabilisation du fer et son export à l’océan profond sur de plus longues distances ; une concentration en fer dissous à 20nmol/L a même été mesurée à 2,5km d’un panache hydrothermal (Bennett et al., 2008). Ceci correspondrait à environ 4% du flux de fer dissous émis par l’hydrothermalisme qui pourrait être intégré dans la circulation océanique profonde (Bennett et al., 2008), c’est-à-dire un flux net de DFe issu de l’hydrothermalisme à l’océan profond compris environ entre 0,2.109 et 1,88.109 mol/an. Ce flux, bien que négligeable à première vue, serait plutôt important dans l’océan Austral en raison d’apports directs et de transport abyssaux longues distances importants comparés aux autres régions du globe (Figure 4. Tagliabue et al, 2010).
CHAPITRE I : INTRODUCTION |