L’e-santé, une opportunité pour améliorer l’efficience de la prévention
Qu’est-ce que l’e-Santé ? Selon l’OMS, l’e-Santé « eHealth » est l’utilisation de technologies de l’information et de communication (TIC) en santé. Cela comprend une large gamme de services ou de systèmes d’information, et d’informatique liés à la santé des patients et des professionnels de soin.
La e-Santé est l’utilisation des services et outils numériques en vue de produire, transmettre, collecter, gérer et partager des données numériques en faveur des pratiques médicales et médico-sociales. L’e-Santé se met « au service du bien-être de la personne » (World Health Organization, 2013). Elle s’inscrit dans le cours d’une dynamique prometteuse : celle du quantified self. Le quantified self, dont l’une des traductions françaises est la mesure de soi, est un processus lors duquel un individu procède à une évaluation quantitative systémique de ses données physiologiques de manière autonome (Dagiral et al., 2019).
La Figure 2 est une représentation de la e-santé publiée dans le livre blanc sur la santé connectée (CNOM, 2015) qui propose un positionnement des différents termes utilisés en relation avec la e-santé.
La télésanté regroupe la m-santé et la télémédecine. La télémédecine est l’ensemble des pratiques médicales à distance faisant appel aux NTIC12, à l’instar de la télésurveillance, de la télé expertise ou encore de la téléconsultation (Direction Générale de l’offre de soins, 2020).
Selon la HAS13 (Haute Autorité de Santé), la m-santé est définie par l’ensemble des pratiques médicales et de santé publique reposant sur des supports mobiles (smartphones, capteurs, appareils sans fil, etc.) et soutenue par des applications axées sur la santé, telles que les applications portant sur le mode de vie et le bien-être, la promotion de la santé et les dispositifs médicaux (Haute Autorité de Santé, 2013).
Dans cette thèse, nous interrogeons cette complémentarité au moment du passage à des recommandations générales pour la « population » vers des recommandations personnalisées pour « l’individu ».
De nombreuses équipes de recherche travaillent sur des problématiques afin de développer des systèmes experts, appelés systèmes d’aide à la décision en médecine (SADM), se basant sur la réutilisation des connaissances dans un domaine donné issues de l’extraction des bases de connaissances ou d’informations en provenance d’entrepôts de données (Berner, 2009). Parmi les différents SADM, on retrouve des approches se fondant sur des connaissances de modèles mathématiques probabilistes permettant de produire des probabilités à partir de jeu de données pour un diagnostic, ou pour la survenue d’un événement comme un accident vasculaire cérébral (AVC). Parmi les autres stratégies mises en place, il existe aussi le calcul d’un score spécifique pour certains troubles à l’aide de données recueillies par un questionnaire standardisé par exemple le score du risque cardio-vasculaire : Framingham Heart Study (FHS) (Mahmood SS, 2014) e-RCV pouvant être calculé à l’aide d’un questionnaire standardisé et dont la somme des réponses permet l’obtention d’un score final. Les SADM sont utilisés mais la décision finale et la responsabilité relative à celle-ci restent tout de même au professionnel de santé recourant à ces systèmes. (Hunt et al., 1998). Plus récemment, d’autres travaux utilisant notamment le système (MAS) multi-agents d’aide à la décision utilisent et combine des bases de données, des bases de connaissances, des ontologies et différents modes de raisonnement. (Shen Y, Colloc J, et al , 2018). Les solutions cliniques émergent de la coopération d’agents spécialisés dans le suivi thérapeutique et des bases de connaissances développés avec différents modèles peuvent aider à la prise de décision en santé publique ou la prise de décision sur le traitement le plus adapté en réunion de concertation pluridisciplinaire sur des cas cliniques complexes en oncologie. (Shen Y et al , 2015). Toutes les directives actuelles sur la prévention des maladies cardio-vasculaires en pratique clinique fournissent un soutien et préconisent l’utilisation d’algorithmes de prévision du risque pour identifier des patients présentant un risque d’événements cardio-vasculaires (Piepoli et al., 2016) (Cosentino F et al., 2020). Une étude récente n’a pas permis d’identifier de bénéfice clinique clair au système d’aide à la décision (SAD) personnalisé en ce qui concerne les niveaux de facteurs de risque cardio-vasculaires et l’atteinte de l’objectif (Groenhof et al., 2019). La pertinence clinique du SAD dans la gestion du risque cardio-vasculaire semble alors pouvoir être recherchée dans l’amélioration de la prise de décision partagée et de l’autonomisation du patient. Dans cet esprit, le SAD pourrait tirer parti des recommandations médicales des patients en choisissant le levier d’e-santé optimal pour appliquer la recommandation et atteindre les objectifs (Ugon et al., 2018).
Dans cette thèse, nous proposons une approche de type SADM pour proposer des solutions de e-santé à partir de données collectées sur des utilisateurs via des questionnaires.
L’efficience de la prévention peut être améliorée par les solutions d’e-santé, l’aide des différents outils possibles tels que les Serious Games, les objets connectés ou les réseaux sociaux vers une approche d’adhésion de ces applications qui change la relation entre les professionnels de santé et les patients. En effet, ces solutions numériques par le biais de smartphones, ou tablettes, via des applications, confèrent aux patients un accès à leurs données de santé jusque-là réservées aux professionnels de santé. Parmi les pionniers de la e-santé figurent Gary Wolf et Kevin Kelly. Ils débutèrent en 2007 dans la Silicon Valley, une méthode de quantification de soi reposant sur les utilisateurs et les fabricants des outils de gestion de données personnelles en vue d’en tirer des informations pertinentes. Les utilisateurs ne se caractérisent plus seulement par une ou deux mesures, mais par des valeurs de paramètres clés, qu’ils soient cliniques, biologiques, génétiques, émotionnels ou environnementaux. Générées numériquement, ces données et les applications mobiles utilisées pour les analyser vont remettre en question la manière dont sont conçues les différentes formes de prévention et leur gestion. Ces nouvelles possibilités sont prometteuses, mais elles s’accompagnent également de leur lot de défis à ne pas négliger. Au-delà des défis technologiques, cette évolution pourra surtout se faire systématiquement dans une démarche éthique de conception avec l’utilisateur.
Dans cette thèse, notre cadre d’étude se restreint au contexte de la prévention primaire du risque cardio-vasculaire en s’intéressant plus particulièrement aux données de comportement chez les personnes atteintes par ailleurs de maladies chroniques.
Maladies chroniques et prévention du risque cardio-vasculaire
La meilleure action contre les maladies chroniques, sur laquelle l’OMS alerte les pays depuis vingt ans, est la prévention. Les états se sont réunis en 2011, pour s’engager à réduire de 33 % la mortalité due aux maladies non transmissibles d’ici 2030 (World Health Organization, 2013).
La mortalité due aux maladies chroniques ne cesse d’augmenter depuis les années 2000 dans toutes les régions du monde (Organisation Mondiale de la Santé, 2019)14. Le terme de maladie chronique est compris au sens officiel établi par l’OMS comme « tout problème de santé qui nécessite une prise en charge sur une période de plusieurs années ou décennies ».
Les interventions non médicamenteuses (INM)
Selon les diverses instances de santé comme l’OMS, pour prévenir le développement de maladies chroniques des stratégies de sensibilisation, d’éducation, et d’information sont nécessaires (World Health Organization, 2013). Il convient, face au contexte épidémiologique mondial relatif aux maladies chroniques et au virage préventif des différents systèmes de santé, de responsabiliser les individus. Cette situation conduit à avoir de plus en plus recours à des stratégies impliquant des Interventions Non Médicamenteuses (INM) employées sur près de deux tiers des individus à travers le monde.
Les INM s’inscrivent dans le système plus global de la santé intégrative, aux côtés des traitements biomédicaux réglementés, des politiques environnementales et des approches culturelles (Carbonnel & Ninot, 2019 ;Ninot, G. 2019). La santé intégrative correspond au recours simultané des méthodes de la médecine conventionnelle et de la médecine non conventionnelle, dite alternative, pouvant être complémentaire dans la prise en charge d’un sujet. La Figure 4 illustre cet écosystème.
Les interventions numériques de santé (INS)
L’évolution des dispositifs connectés s’est accélérée au vu de la diversité des profils de la patientèle. En effet, celle-ci varie en fonction de critères d’âge, d’immunité ou d’isolement géographique. Ces interventions numériques de santé dans le cadre vert en Figure 5 sont bénéfiques dans la mesure où ils s’adaptent à ces diverses populations. En outre, ils sont de plus en plus accessibles et ergonomiques.
À l’heure actuelle, « les thérapies digitales », comme les Serious Games sont définies par l’utilisation d’applications numériques ludiques à visée pédagogique, informationnelle et communicationnelle, reposant sur les techniques et logiques immersives et éducatives du jeu vidéo. Les Serious Games s’adressent respectivement aux patients ou aux professionnels de santé. « Ils relèvent davantage de l’edutainment (jeu à des fins éducatives) que du jeu de simulation » (Alvarez et al., 2016).
Les présentations des différentes thérapies digitales disponibles, leurs rôles, et complémentarité dans le cadre d’une intervention non médicamenteuse ayant été faites, nous pouvons nous demander quelles observances sont accordées par les malades à ces nouveaux outils de prévention, de suivi, et d’autogestion. Au sens strictement médical, l’observance renvoie au respect des prescriptions par le patient. Il s’agit non seulement de la posologie médicamenteuse, mais aussi des règles hygiéno-diététiques et de la présence aux consultations médicales. Ce facteur est crucial, parfois déterminant dans le déroulement du processus de traitement médicamenteux. Ainsi, le non-respect des conditions de traitement/rétablissement influe sur la viabilité de l’observance et peut faire échouer le traitement et mettre en danger la santé du patient. Un défaut d’observance est récurrent dans la plupart des maladies chroniques (Carbonnel, 2018). Par ailleurs, une relation de qualité établie entre le médecin et son malade constitue un facteur majeur dans l’amélioration de l’observance, bien que le coût élevé de la prescription puisse aussi jouer un rôle déterminant. Cette alliance peut être entravée par différents éléments tels que la complexité des traitements modernes, un manque d’éducation dans le domaine de la santé, une mauvaise évaluation des bénéfices du traitement, l’apparition possible d’effets indésirables sans que le patient en soit préalablement informé, le coût des traitements, une mauvaise communication ou un manque de confiance entre le patient et son médecin. Les freins à l’observance minimisent le rôle du patient dans sa prise en charge. Celui ci est réduit au statut de simple spectateur. De nombreux efforts pour améliorer l’observance des patients ont été développés et visent à simplifier la prise des traitements, à fournir des aide mémoires efficaces, à améliorer l’éducation du patient, à limiter le nombre de traitements prescrits simultanément.
L’éducation thérapeutique du patient est une pratique à la frontière de la médecine, de la pédagogie de la santé, et des sciences humaines et sociales considérant le patient comme un acteur de sa santé et visant à fournir à ce dernier l’ensemble des connaissances nécessaires à l’acquisition ou au maintien des compétences nécessaires à la gestion de sa pathologie (Actions Traitements, 2020). Elle permet au patient : de mieux comprendre sa pathologie et ainsi de l’accepter ; de connaître les bénéfices et les effets secondaires de ses traitements; de connaître les mesures préventives à adopter ; de reconnaître une aggravation de sa pathologie et savoir réagir de manière adéquate ; d’identifier les facteurs ou circonstances déclenchant des pics de résurgence de sa pathologie pour mieux les prévenir ; de résoudre les difficultés du quotidien liées à la maladie et ainsi augmenter la qualité de vie (Actions Traitements, 2020).
D’autres publications, comme celle de Cottin et al. de 2012 relatives à l’observance des traitements ont mis en exergue que seule une approche multidisciplinaire en vue d’une bonne adhésion a rendu possible une action coordonnée de tous les professionnels de santé (Cottin et al., 2012). De plus, l’auteur rappelle que dans le contexte des maladies chroniques, le moment des évaluations est primordial. L’auteur propose de réaliser des contrôles inopinés en utilisant des moyens de communication variés. Ceux-ci permettent d’évaluer et de confirmer la véracité des données mesurées par le patient, et de son observance thérapeutique réelle. Nous avons constaté l’importance de l’éducation thérapeutique et des contrôles inopinés dans la gestion et la prévention de pathologies par les malades. Dans notre contexte, le terme d’adhésion sera employé afin de nous référer à la notion d’observance thérapeutique. L’observance thérapeutique correspond à une forme d’approbation et de volonté réfléchie de l’individu à prendre en charge sa pathologie (Lamouroux et al., 2005).
Les objets connectés de santé sont considérés comme des outils propices à la modification du mode de vie individuel (Haute Autorité de Santé, 2013, 2016 ; World Health Organization, 2011). Un rapport de la Haute Autorité de Santé rend compte d’une volonté croissante des usagers et des patients de s’impliquer davantage dans leur prise en charge et dans l’amélioration de leur santé grâce à l’émergence de la e-santé et de la télémédecine (Dunstan et al., 2012 ; Haute Autorité de Santé, 2004). Ces derniers sont près de 60 % à attendre que leur médecin traitant leur propose des solutions numériques adaptées. Dans le cadre de notre travail de thèse, nous nous s’intéressons uniquement aux interventions numériques NP14-1 (figure 5) : m-santé.
Des travaux ont montré les effets positifs des interventions m-santé sur des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires tels que Text2Quit (Abroms LC et al., 2014) pour l’arrêt du tabac, mDiet (Norman GJ et al., 2013) pour la perte de poids et pour la consommation d’alcool (Leong DP et al., 2017). Certaines études (Widmer RJ et al., 2015) ont également examiné l’impact de cette évaluation sur les résultats pour la santé de la délivrance de conseils multiples pour le changement de comportement en prévention primaire, mais le succès a été limité. Une autre limitation dans la plupart des applications développées est le manque de personnalisation, soit pour la délivrance de recommandations, soit pour le choix de l’intervention adaptée (SMS,email, etc.) en fonction du profil du patient.
Problématique et objet de la recherche
Le contexte décrit précédemment nous a permis dans le cadre de notre recherche exploratoire de formaliser et de mettre en lumière les points suivants :
1-Quels services de santé connectés en e-santé sont les plus adaptés aux profils utilisateurs pour engendrer un changement de mode de vie dans le cadre d’une prévention personnalisée du risque cardio-vasculaire ? Comme nous avons pu le dire précédemment, la e-santé se définit par l’utilisation de technologies de communication afin d’effectuer une auto surveillance auto quantifiée dans le but de surveiller, transmettre des données sur l’état de santé, et de mieux gérer la maladie chronique ou réduire les facteurs de risque aggravants de cette dernière (Chow et al., 2015).
Le développement de nouveaux services de santé connectés intègre, aujourd’hui, des techniques de changement de comportement pour motiver l’utilisateur (Appelboom et al., 2014 ; Evenson et al., 2015 ; Wright et al., 2017). Parmi les méthodes utilisées, il existe par exemple la possibilité de suivre, de surveiller les différents comportements, et d’établir des objectifs personnels à atteindre accessibles et adaptés pour l’utilisateur. Il est également possible d’obtenir un retour sur ses propres comportements et de comparer ses réalisations personnelles avec les objectifs fixés. L’efficacité de ces techniques sur le changement de comportements a été démontrée dans de multiples études d’intervention (Lyons et al., 2014 ; Majumder et al., 2017 ; Mercer et al., 2016 ; Michie et al., 2009 ; Olander et al., 2013 ; Williams & French, 2011).