Les interrogatives et exclamatives indirectes dans un corpus de pièces du théâtre moderne (1775-1914)

La subordination

Appliqué à une proposition qui se trouve à l’intérieur d’une phrase complexe, le terme de « subordonnée » indique que la proposition que l’on considère se trouve enchâssée dans une structure principale qui la régit. Dans les phrases qui contiennent une proposition subordonnée, deux noyaux verbaux coexistent, le premier jouant le rôle de pivot, de centre de la phrase ; c’est lui qui distribue les rôles et c’est à lui que l’on se réfère pour déterminer les diverses fonctions.

Cependant, dans bien des cas, cette explication qui découle de la grammaire traditionnelle, laquelle se voulait simplificatrice et accessible à un plus grand nombre, s’avère insuffisante à rendre compte de la pluralité des phénomènes syntaxiques  complexes et de la totalité des structures qu’un locuteur est apte à produire. C’est ainsi, par exemple, que l’on retrouve d’autres types de jonction de deux propositions qui constituent des « stades intermédiaires entre la subordination et la dépendance syntaxique de deux phrases : ces stades peuvent être appelés situations de parataxe. », (Le Goffic, 1993 : 501).

Est-il toujours pertinent de suivre les analyses traditionnelles pour analyser la séquence que je la connais, dans un exemple comme celui-là ? Quelle serait donc la nature des deux propositions qui constituent le segment que nous avons souligné compte tenu du fait que nous nous retrouvons bien face à deux noyaux verbaux ? N’entrevoit-on pas une sorte d’interdépendance entre ces deux structures propositionnelles ?

En syntaxe, on définit la proposition comme une unité syntaxique, construite autour d’un noyau verbal et qui représente un des constituants de la phrase équivalant à un groupe simple, groupe nominal, prépositionnel ou adverbial. La proposition peut soit être indépendante, soit enchâssée à une structure matrice. C’est sur ces rapports que nous nous penchons dans la partie qui suit dans laquelle nous procédons à un survol des différentes approches qui concernent la subordination et nous examinons les choix terminologiques ainsi que les fondements sur lesquels se basent les différents auteurs d’ouvrages qui ont traité le thème de la subordination.

La proposition subordonnée dans les ouvrages de linguistique : présentation, classement et terminologie 

Si la plupart des grammairiens et linguistes spécialistes du français acceptent, dans leur définition de la phrase complexe les concepts hérités de la grammaire traditionnelle , on peut cependant distinguer certaines nuances entre leurs différentes approches. Pour cerner « la notion de subordonnée », nous proposons un aperçu succinct, relevé parmi les ouvrages que nous avons consultés et auxquels nous avons fait référence lorsque le besoin de nous appuyer sur leurs points de vue s’est fait sentir .

Nous cherchons à vérifier que les séquences que nous avons recueillies dans notre exploration qui concerne les interrogatives et exclamatives indirectes entrent dans ces schémas ou si au contraire, elles appellent une classification beaucoup plus étendue qui nous demande d’adopter une terminologie plus souple.

Dans les différentes classifications des propositions subordonnées, il semble que les choix terminologiques aient toujours posé un problème car ils se fondent bien souvent sur des critères morphologiques (le cas des relatives dont un des critères est le pronom relatif) et/ou sémantiques (le cas par exemple du terme « complétive»). D’une manière générale et à partir de la grammaire traditionnelle, les quatre grandes classes propositionnelles que l’on retrouve sont les suivantes μ la complétive, l’interrogative indirecte, la relative et la circonstancielle. Mais à partir de ces grandes classes, des distinctions et des affinements sont proposés par les différents linguistes et grammairiens au fil du temps. Tous tentent de mieux cerner ce complexe qu’est la subordination propositionnelle. La catégorie des complétives est sujette à des remises en question vu notamment l’immense variété de propositions qui la composent et la non-homogénéité de leur fonction par rapport au terme recteur. Il en est de même du terme introducteur, est-il de type subordonnant ou non et par conséquent introduit-il une véritable subordonnée ?

En outre, nous avons remarqué que les exclamatives indirectes sont souvent esquivées, conséquence, sans doute, de leur proportion plus faible mais aussi des difficultés que présentent leur analyse morphosyntaxique d’une part et les nuances expressives qu’elles véhiculent de l’autre. Il est un fait que le statut de l’interrogative indirecte, et à plus forte raison celui de l’exclamative indirecte, est fortement controversé étant donné qu’il n’est pas du tout évident de former deux groupes propositionnels en tenant compte également, et surtout, de l’expression de la modalité ; interrogative pour les unes, exclamative pour les autres.

Nous nous sommes inspirée des diverses tentatives de classification qui essaient toutes de cerner le phénomène de la subordination propositionnelle de manière aussi complète que possible. Pour expliquer les phénomènes que nous étudions dans le présent travail, nous avons opté pour un certain éclectisme parmi ces différentes classifications et avons utilisé assez librement, conjointement et indépendamment, les apports de chaque auteur sans adopter exclusivement l’une ou l’autre de leurs approches.

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La Pensée et la langue, 1936, Brunot
Pour Brunot, la proposition est un assemblage de plusieurs termes ; il prend en considération dans l’analyse des propositions tant leur forme que leur sens et leur fonction puisque « le principal est de comprendre et de montrer quel rôle elles [les propositions] jouent, et surtout quel sens elles ont : si elles sont sujet ou objet, si elles expriment un rapport de temps, ou bien un rapport logique, tel que celui de la finalité […] » (p. 27). Il est moins tenté par des classifications formelles que par « l’intelligence exacte » du rôle joué par les éléments de la phrase.

Il distingue d’une part des propositions indépendantes, « comme les idées qui le sont l’une par rapport à l’autre » (p. 10) et d’autre part, des propositions combinées, qui ont un terme commun. Du point de vue de l’assemblage des propositions au sein de la phrase, il opère une distinction entre la subordination sans lien apparent (ce qui correspond à la juxtaposition) ν la subordination qui s’établit par des indices syntaxiques (notamment l’inversion) ν et enfin, la subordination qui s’établit au moyen des mots-outils μ il s’agit des conjonctionnelles (adverbiales) et des conjonctives (complétives et relatives). Les interrogatives et exclamatives ne sont pas dissociées des « phrases interrogatives » (p. 479), elles-mêmes présentées sur la base des termes qui les introduisent.

Grammaire historique de la langue française, 1892, Brunot
Cet ouvrage nous a été utile pour l’analyse, en diachronie surtout, des différents outils introducteurs des séquences que nous étudions. Les propositions y sont séparées en indépendantes, principales et « accessoires ». On retrouve une présentation et une analyse des pronoms relatifs que l’auteur distingue en « conjoints » et « absolus », c’est-à-dire respectivement ceux qui possèdent un antécédent et ceux qui n’ont pas d’antécédent exprimé .

Table des matières

Introduction
PARTIE 1 : OBJET D’ÉTUDE, OUTILS UTILISÉS
Chapitre 1 : La subordination
1.1 La proposition subordonnée dans les ouvrages de linguistique : présentation, classement et terminologie
1.1.1 Ouvrages anciens servant de référence
1.1.2 Approches théoriques et réflexions plus profondes sur la notion de subordination
1.1.3 Ouvrages adoptant une approche s’appuyant sur une analyse traditionnelle
1.1.4 Manuels de grammaire descriptifs destinés surtout à l’enseignement
1.2 Délimitation et précision de nos hypothèses de recherche
1.3 Cadre théorique et choix terminologiques du présent travail
Chapitre 2 : Approches quantitatives des interrogatives et des exclamatives indirectes
2.1 Compétence et/ou corpus
2.2 Des outils de recherche d’un nouveau type
2.3 La recherche sur Corpus
2.4 Le corpus Theatre68
2.4.1 Constitution du corpus
2.4.2 Données /métadonnées/didascalies
2.4.3 Mise en forme du corpus
2.4.4 Segmentation du texte
2.4.5 Partitions du corpus
2.5 Outils pour l’exploration textométrique
2.5.1 Unités textuelles / segments / motifs
2.5.2 Carte des sections
2.5.3 Concordances
2.5.4 Histogrammes / spécificités
2.5.5 Cooccurrences
Chapitre 3: Outils pour la description syntaxique des interrogatives et exclamatives indirectes 61
3.1 Décisions de marquage des séquences indirectes
3.2 Le marquage effectif
3.3 Utilisation du marquage des interrogatives et exclamatives complexes pour l’exploration textométrique
3.4 Banque68 : la banque des exemples
3.4.1 Les enregistrements-ligne
3.4.2 Les descripteurs mobilisés
3.4.3 Exemples d’enregistrements
3.4.4 Utilisations de la Banque68
PARTIE 2 : ANALYSE DES INTERROGATIVES ET DES EXCLAMATIVES INDIRECTES
Chapitre 4 : Les séquences interrogatives complexes 83
4.1 Les verbes introducteurs
4.1.1 Modes et temps des verbes recteurs
4.1.2 Synthèse et conclusions sur les paramètres flexionnels et modaux des verbes recteurs
4.2 Les outils introducteurs des SIC
– Les termes en –qu
– Essai de regroupement des outils introducteurs
4.2.1 Fréquence d’emploi des outils introducteurs dans les SIC
4.2.2 Interrogations totales et interrogations partielles
– Structures interrogatives complexes totales
– Outil introducteur des SIC totales : Si
4.2.3. Fonction des SIC totales et partielles
– Structures interrogatives complexes partielles
– Outils introducteurs des SIC partielles
– Comment
– Ce dont
– Comme
– Où/ jusqu’où
– Pourquoi
– Quand
– Combien/ combien de
– Qui/ Prép. + qui
– Que et Quoi
– Ce que / ce qui
– Lequel
4.2.3 Affinités entre outils introducteurs et modes
4.2.4 Affinités entre outils introducteurs et verbes recteurs de SIC
– le verbe savoir et ses outils introducteurs
– le verbe demander et ses outils introducteurs
– le verbe dire et ses outils introducteurs
– le verbe voir et ses outils introducteurs
– le présentatif voilà et ses outils introducteurs
4.3 Ponctuation et structures partagées entre interrogation
Conclusion

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