Les implications sur le contentieux du droit de la commande publique
Le contentieux du droit de la commande publique est souvent présenté de manière dichotomique avec, d’une part, les recours à l’initiative des tiers et, d’autre part, ceux à l’initiative des parties. Le contentieux à l’initiative des tiers peut être défini comme l’ensemble « des recours ayant essentiellement pour objet de sanctionner la méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence par l’administration dans l’exercice de ses compétences » . En droit de la commande publique, le tiers « recouvre des réalités aussi variables que le Préfet, l’usager, le contribuable » , ainsi que les entreprises candidates à l’attribution du contrat, qui « gravitent » autour de lui. Le contentieux des parties concerne l’ensemble des recours dont disposent les parties à un contrat, qui ont pour objet de résoudre les litiges liés à l’exécution ou à la validité du contrat. La distinction tiers/parties n’est pas celle retenue pour analyser les impacts d’une définition des fonctions propres des principes sur le contentieux du droit de la commande publique. S’agissant des principes, une distinction s’impose entre le contentieux précontractuel et le contentieux contractuel. Ces deux contentieux disposent d’une logique foncièrement différente : la vérification de la légalité de la procédure de passation dans le cadre du contentieux précontractuel ; la sauvegarde du contrat dans le contentieux contractuel. Cette distinction contentieuse a des conséquences sur l’effectivité des principes de la commande publique. Ces derniers disposent d’un rôle fondamental dans le contentieux précontractuel, dans la mesure où ils constituent l’instrument principal aux mains du juge pour sanctionner les comportements contraires aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Leur impact est diminué dans le cadre du contentieux contractuel, puisque la sauvegarde du contrat semble aujourd’hui primer sur la légalité de la procédure de passation. À cet égard, le Conseil d’État, faisant preuve d’un « pragmatisme bienvenu » , a revu l’office du juge du contrat, « désormais plus sensible aux besoins de la stabilité juridique et aux exigences de loyauté des relations contractuelles » . Dans ce cadre, les fonctions des principes de la commande publique, dont l’objectif premier est la préservation de la légalité du processus d’achat au détriment de la préservation du contrat, disposent de moins de portée qu’en contentieux précontractuel. Par conséquent, les implications d’une définition des fonctions propres des principes sont manifestes dans le contentieux précontractuel, mais amoindries dans le contentieux contractuel. Dans le cadre du référé précontractuel, cette conception temporelle permet essentiellement d’établir une échelle principielle des sanctions, dont la mise en œuvre dépend du principe auquel il est porté atteinte (Section 1). S’agissant des recours contre le contrat, la conception temporelle permet seulement de préciser quel type d’irrégularité peut éventuellement aboutir à la disparition du contrat (Section 2).
Les implications d’une définition des fonctions propres sur le contentieux précontractuel
Le contentieux précontractuel est essentiellement fondé sur l’utilisation, par les tiers, d’un recours spécifique au droit de la commande publique : le référé précontractuel, qui constitue la « pièce maîtresse » des procédures à disposition des tiers. Ce recours trouve son origine dans le droit dérivé de l’Union européenne. Dans l’objectif de garantir « l’impératif d’efficacité des recours visant à assurer le respect des règles communautaires » , le législateur de l’Union adopte deux directives , révisées ensuite, qui imposent aux États membres de prendre « les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises (…) peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible (…) au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit » 2546. Ces directives ont été transposées2547 en droit interne par la création d’un recours spécifique, le référé précontractuel, dont la mise en œuvre vise à assurer le respect du droit de la commande publique. Ce recours permet de sanctionner, avant la signature du contrat, les atteintes aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Il s’agit donc d’un recours engagé contre la procédure de passation, et non contre le contrat lui même. À cet égard, le référé précontractuel poursuit un objectif préventif de « sanction/correction » 2548 qui permet de s’assurer de la légalité de la procédure avant la signature du contrat. Le juge du référé précontractuel est amené à manier les principes fondamentaux de la commande publique, dont il doit assurer le respect. À cet égard, la définition des fonctions propres des principes permet de préciser certains aspects du contentieux précontractuel. Après avoir analysé les caractéristiques classiques du référé précontractuel (Paragraphe 1), il convient de démontrer que l’aspect temporel des fonctions des principes permet de systématiser une échelle principielle des sanctions (Paragraphe 2).
Les caractéristiques classiques du référé précontractuel
Trois conditions de recevabilité sont nécessaires pour introduire un référé précontractuel : le contrat doit avoir le caractère d’un contrat de la commande publique ; le requérant doit avoir un intérêt à conclure le contrat ; le recours doit être engagé avant la signature du contrat (A). Lorsqu’il est saisi, le juge du référé précontractuel ne peut mettre en œuvre ses pouvoirs qu’après avoir vérifié l’invocabilité et l’opérance des moyens soulevés par le requérant (B). En fonction des irrégularités commises, le juge du référé prend une sanction dont le choix peut être encadré au moyen de la conception temporelle des fonctions des principes de la commande publique. A : Les conditions de recevabilité du référé précontractuel. La première condition de recevabilité du référé précontractuel tient à la qualité du requérant. Les personnes habilitées à engager un tel recours « sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat ou à entrer au capital de la société d’économie mixte à opération unique et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué, ainsi que le représentant de l’Etat dans le cas où le contrat doit être conclu par une collectivité territoriale, un groupement de collectivités territoriales ou un établissement public local » . Les personnes ayant un intérêt à conclure le contrat sont celles qui ont vocation à exécuter les prestations objet du contrat. Il s’agit des candidats évincés de la procédure de passation mais également des candidats potentiels qui n’ont pas été mis à même de présenter une offre en raison de la violation des obligations de publicité et de mise en concurrence, ou qui ont un intérêt à conclure le contrat du seul fait de leur spécialité professionnelle . La deuxième condition de recevabilité tient à la nature du contrat . Le recours est recevable contre les contrats administratifs « ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique » . Cette définition englobante des contrats entrant dans le champ d’application du référé précontractuel est issue de l’ordonnance du 7 mai 2009 ainsi que de la loi du 1er juillet 2014 permettant la création de sociétés d’économie mixte à opération unique . Il s’agit de l’ensemble des contrats dont la conclusion est soumise à des obligations de publicité et de mise en concurrence, en vertu d’un texte ou des principes fondamentaux de la commande publique . Les avenants sont également susceptibles de faire l’objet d’un tel recours s’ils sont soumis au juge des référés avant leur signature . En revanche, le recours demeure fermé aux conventions d’occupation domaniale, même si leur conclusion a fait l’objet d’une procédure de passation spontanée , ainsi qu’aux contrats de subvention . Le juge n’étant pas lié par la qualification donnée par les parties au contrat, il examine systématiquement les caractéristiques du contrat pour déterminer s’il entre ou non dans le champ d’application du référé précontractuel La dernière condition de recevabilité du référé précontractuel est temporelle. Le juge doit être saisi avant la conclusion du contrat et ne dispose donc pas de la compétence pour se prononcer sur la régularité de la signature du contrat . Si la requête est déposée après la signature du contrat, le juge rejette la demande comme étant irrecevable . En revanche, lorsque la signature du contrat intervient en cours d’instruction, le juge prononce un non-lieu à statuer, la requête étant devenue sans objet . Ces deux règles contentieuses sont transposables au juge de cassation . La question s’est posée du bien-fondé du recours lorsque le délai de validité des offres est expiré en raison d’une procédure devant le juge des référés. À cet égard, le Conseil d’État considère que l’expiration du délai de validité des offres en cours d’instruction ne rend pas le litige sans objet, dans la mesure où la personne publique peut poursuivre la procédure de passation avec les candidats qui acceptent la prorogation ou le renouvellement du délai de validité de leur offre. Afin d’éviter une course à la signature, le droit positif prévoit un mécanisme de suspension automatique de la signature dès l’introduction du recours , à condition que le demandeur respecte ses obligations de notifications prévues à l’article L551-1 du Code de justice administrative .
Les conditions d’octroi du référé précontractuel
Deux conditions doivent être satisfaites pour que le juge du référé précontractuel puisse faire usage de ses pouvoirs (I). D’une part, il doit être établi un manquement de l’autorité adjudicatrice à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. D’autre part, le manquement constaté doit être susceptible de léser ou risque de léser le requérant. Ces deux conditions sont appréciées à la date à laquelle le juge statue . Si l’invocabilité et l’opérance des moyens soulevés par le requérant sont avérées, le juge du référé précontractuel statue sur la demande du requérant. À cet égard, il dispose d’une large palette de pouvoirs lui permettant d’adapter sa décision aux manquements invoqués (II). I : L’invocabilité et l’opérance des moyens soulevés par le requérant. Les moyens invocables par les requérants sont tous les « manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence » qui résultent du droit interne ou européen en l’absence de disposition nationale applicable , ainsi que des principes fondamentaux de la commande publique en l’absence de texte spécifique . Tout autre moyen soulevé par le requérant est déclaré inopérant, sans que le juge en apprécie le bien-fondé. Par conséquent, le requérant ne peut soulever des moyens relatifs à l’incompétence de l’autorité adjudicatrice , au droit de la concurrence , à des vices de forme et de procédure sans rapport avec les obligations de publicité et de mise en concurrence , ou à l’appréciation portée sur les mérites respectifs des candidats . Une exception est permise depuis un arrêt du Conseil d’État du 18 septembre 2015, CNAM , qui réceptionne la jurisprudence Société Armor SNC sur la candidature des personnes publiques . Les sages du palais royal indiquent, de manière classique, que le juge du référé précontractuel doit s’assurer que « l’appréciation portée par le pouvoir adjudicateur pour exclure ou admettre une candidature ne constitue pas un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ». Ils ajoutent que dans ce cadre, « lorsque le candidat est une personne morale de droit public, il lui incombe de vérifier [le juge du référé précontractuel] que l’exécution du contrat en cause entrerait dans le champ de sa compétence et, s’il s’agit d’un établissement public, ne méconnaîtrait pas le principe de spécialité auquel il est tenu ». Par conséquent, abjurant la jurisprudence Syndicat intercommunal de la Côte-d’Amour et de la Presqu’île guérandaise sur ce point, le Conseil d’État admet l’invocabilité des moyens tirés de l’incompétence des personnes publiques dans le cadre du référé précontractuel.