Les images en rond de texture

L’utilisation du modèle de l’appréhension haptique direct

Selon les modèles de traitement de l’information haptique proposés par Lederman et al. (1990), lorsque l’information matérielle est perçue celle-ci est traduite directement en représentation haptique : modèle de l’appréhension haptique directe.
L’utilisation de texture pourrait permettre l’utilisation du système d’appréhension haptique directe moins coûteux. Dans le modèle d’appréhension haptique direct, le système haptique est considéré comme un système perceptuel distinct. Ce système a son propre appareil physiologique et son propre mode de traitement adapté à l’intégration d’informations matérielles. De ce fait, lorsque de l’information matérielle est perçue, celle-ci est traduite directement en représentation haptique.
Cependant, les images en contours, pleines ou à plusieurs niveaux de relief ne proposent pas d’informations matérielles, et ne donnent accès qu’à des informations structurelles liées à la forme. Ces informations restreintes pourraient contraindre le système haptique à fonctionner par le biais du modèle de la médiation visuelle. L’individu doit alors extraire les segments locaux du contour par le biais de mouvement d’exploration complexes (e.g. suivi de contour), les intégrer sous forme de représentation unifiée, et comparer la représentation ainsi créée avec ce qu’il sait de l’objet. Cette extraction lente et séquentielle de l’information structurelle par le toucher impose une forte charge en mémoire de travail (Loomis et al., 1991).

Des représentations plus proches des représentations mentales des personnes non-voyantes

Les images en formes texturées pourraient également être mieux reconnues car elles sont plus proches des représentations mentales des personnes non-voyantes, et en particulier des personnes non-voyantes précoce. En effet, il semble que les représentations mentales des personnes non-voyantes soient majoritairement basées sur leurs expériences haptiques (Chapitre 1 Partie 4). L’utilisation de texture peut donc faire le lien avec leur expérience haptique et faciliter l’accès à la représentation mentale de l’objet.

L’importance de la texture dans la perception haptique

Lorsque des informations sur la forme et la texture sont fournies, les participants ont tendance à se concentrer sur la texture plutôt que sur la forme (Chapitre 1 Partie 2.5). Il est possible que l’utilisation d’images texturées permette de limiter l’utilisation de procédure d’exploration plus complexe et le travail d’intégration en se focalisant sur la texture plus que sur la forme. Il est possible que les enfants ne se basent que sur la texture sans traiter la forme lors de l’exploration des images texturées.

effet de la forme sur la reconnaissance des images texturées

Question de recherche

La forme est-elle nécessaire à la reconnaissance lorsque la texture est présente ? Dans cette étude, nous avons cherché à observer l’effet de la forme figurative sur la reconnaissance des images texturées.

En résumé

L’utilisation de textures semble pouvoir contourner certaines contraintes dans la reconnaissance d’images tactiles : utilisation de mouvements d’exploration plus simples, utilisation du système d’appréhension direct et représentations plus proches de l’expériencehaptique. Cependant, avec l’utilisation d’images texturées il est difficile de savoir si la texture vient comme un indice supplémentaire enrichir l’information extraite sur la forme, si c’est un indice complémentaire qui permet de mieux comprendre la forme explorée, ou siles personnes ne se basent que sur une seule dimension qui est la texture en délaissant le traitement de la forme.
Si la forme figurative n’est pas nécessaire pour la reconnaissance d’images texturées,l’utilisation de textures sans forme permettrait de contourner les difficultés liées à la mise en place de mouvements d’exploration complexes, de limiter le travail d’intégration des informations en un et tout d’éviter l’utilisation de conventions visuelles ou de représentations iconographiques mal comprises.

Participants

36 enfants voyants (19 filles et 17 garçons) avec un âge moyen de 7.5 ans (91 mois, de 84 à 98 mois, SD = 9.25) et 18 enfants non-voyants (9 filles et 9 garçons) d’âge moyen 8.1 ans (98 mois, de 72 à 120 mois, SD = 15.12) ont participé à cette étude. Parmi les enfants nonvoyants13 étaient nés non-voyants ou avaient perdu la vue dans leur première année de vie.
Toutes les études menées dans le cadre de ces travaux de thèse incluent des participants voyants et non-voyants. Les participants voyants bénéficient de représentations visuelles mais, contrairement aux participants non-voyants, ils sont peu habitués à explorer des images par le toucher uniquement. D’un point de vue théorique, les résultats de la comparaison de ces deux populations peuvent permettre d’apprécier le rôle relatif de l’accès à des représentations mentales plus visuelles et du savoir-faire haptique. D’un point de vue pratique, le fait d’intégrer des personnes voyantes dans nos études nous permet de discuter de la pertinence des illustrations proposées dans un contexte d’inclusion. En effet, nous souhaitons que les images proposées soient accessibles à la fois à un public de voyants et de non-voyants.
L’utilisation du livre illustré joue un rôle dans le développement de la conscience de l’écrit dès le plus jeune âge. Cependant, chez les enfants voyants les images sont particulièrement utilisées par les jeunes lecteurs comme des indices supplémentaires pour comprendre l’histoire. Nous avons donc mené nos études chez de jeunes lecteurs scolarisés.
Des classes de CE1-CE2 (7 à 8 ans) pour les enfants voyants et des enfants de 6 à 10 ans en inclusion scolaire ayant appris, ou en train d’apprendre, le braille pour les enfants non-voyants.
Nous nous sommes rendue dans des classes de CE1 d’écoles de l’Académie de Toulouse avec l’accord des inspecteurs de l’Education Nationale afin de réaliser nos études avec les enfants voyants. Les passations ont été menées sur place de façon individuelle dans une pièce isolée. Pendant la durée de la tâche, les enfants portaient des lunettes de sécurité peintes avec de la peinture opaque afin de ne pas voir les images. Ils pouvaient retirer les lunettes à tout moment en prévenant l’expérimentateur en amont.
Nos recherches ont été soutenues par six centres ressources pour la déficience visuelle : l’Institut des Jeunes Aveugles (IJA) de Toulouse, le centre CIVAL Lestrade de Toulouse, l’Union Nationale des Aveugles et Déficients Visuels (UNADEV) de Toulouse, l’Institution Régionale des Sourds et des Aveugles (IRSA) de Bordeaux, le Centre de Rééducation pour
Déficients Visuels (CRDV) de Clermont-Ferrand et l’Institut Montéclair d’Angers. Ces centres nous ont accueillie pour réaliser les passations avec des enfants correspondants aux critères d’inclusions suivants : de 6 à 10 ans, en cécité légale (acuité visuelle < 1/20) et sans troubles associés.
Toutes les études réalisées avec des enfants ont été validées par le Comité d’Éthique sur les Recherches de Toulouse.

Matériel

Pour réaliser cette tâche nous avons créé un ensemble de trois listes de dix mots français selon leur indice de fréquence standard (IFS) en utilisant la base de données Manulex (Lété, Sprenger Charolles, & Colé, 2004).
Nous avons limité les types de mots à trois catégories sémantiques : la faune, la flore et les objets manipulables et les plantes (Figure 24). Ces catégories correspondent à des objets ayant pu être touchés par les enfants (à la maison, au musée, à la ferme, etc.).

Tâche

Les performances d’identification d’images tactiles peuvent être affectées par la nécessité d’accéder au nom de l’objet (Heller et al., 1996). De plus, le contexte d’un livre tactile,la reconnaissance de l’image est guidée par l’histoire et l’on retrouve les personnages dans lesdifférentes pages du livre. L’identification des images est donc guidée par l’histoire qui donne un contexte pour la récupération du nom des objets présentés sur l’image. L’histoire permet alors aux enfants de mieux identifier les images (Orlandi, 2015). De ce fait, proposer une tâche d’identification simple sans aucun indice sémantique pour évaluer la pertinence de l’utilisation d’une technique d’illustration pour un livre tactile ne serait pas représentative. De plus, la problématique de simplification des images peut rendre l’image ambiguë de prime abord (e.g. une boule de poil peut représenter n’importe quel animal à poil).
Dans ce contexte, nous avons utilisé une tache d’apprentissage d’associations (pairedassociate learning) en présentant des paires de mots-images. Cette tâche comprenait deuxétapes : (i) Une phase d’apprentissage dans laquelle les mots et leurs images associées étaient présentés dans un ordre aléatoire. Le mot était indiqué à l’oral au participant qui était ensuite libre d’explorer l’image. La consigne donnée aux participants était d’explorer l’image librement jusqu’à ce qu’ils pensent êtrecapables de la reconnaitre dans la phase suivante. (ii) Une phase de rappel dans laquelle lesimages présentées lors de la première phase ont été proposées aléatoirement une par une. Laconsigne donnée aux participant était d’explorer l’image tactile et de l’identifier aussi rapidement et précisément que possible. La liste de mots pouvait être redonnée à tout moment si le participant le demandait.

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Analyse de données

Pour chaque image et méthode d’illustration, nous avons mesuré la précision de réponses afin d’observer le taux de reconnaissance des images. La réponse donnée pour chaque image tactile a été notée 0 pour incorrect et 1 pour correct. La précision des réponses a été analysée à l’aide d’un modèle linéaire généralisé à effets mixtes. Les variables du modèle comprenaient laméthode d’illustration, les images et les participants. La méthode d’illustration était considérée comme effet fixe. Nous avons inclus les participants et les images comme effets aléatoires. Ce modèle a été utilisé pour considérer les sources de variabilité liées aux participants et aux items.Nous avons également mesuré les temps d’exploration pendant la phase d’apprentissage des associations et les temps de réponse pour les réponses correctes durant la phase de rappel.
Ces temps nous ont permis de compléter les observations sur le taux de reconnaissance. Nousfaisons l’hypothèse que plus les participants passent de temps à reconnaître ou à explorer une image plus cette dernière est difficile à percevoir. Un effet de la compétence haptique peutégalement être observé à travers les temps d’exploration et de reconnaissance. Il est possible que les participants non-voyants ayant une plus grande compétence et familiarité avec les contenus tactiles passent moins de temps à explorer les images pour les apprendre et les reconnaître.
Les temps d’exploration durant la phase d’apprentissage des associations et les temps de réponse ont été analysés à l’aide de modèles linéaires à effets mixtes. Nous avons d’abord effectué une estimation BoxCox pour trouver la transformation optimale pour normaliser les distributions (Osborne, 2010). Nous avons appliqué une transformation logarithmique pour les temps d’apprentissage et de réponse. Le modèle pour les temps d’apprentissage et de réponse comprenait la méthode d’illustration comme effet fixe : et les images et participants comme effets aléatoires. Les résultats pour le temps d’exploration durant la phase d’apprentissage sont présentés en Annexe.
Pour les différentes analyses, le meilleur modèle a été sélectionné sur la base du critère d’information Akaike (AIC). Les effet principaux et d’interaction ont été évalués à l’aide de Likelihood ratios Nous avons utilisé des comparaisons par paires ajustées de Tukey pour évaluer les contrastes entre les modalités de nos variables à effets fixes. Les tailles d’effets ont été calculées à l’aide du d de Cohen pour les temps d’apprentissage et d’exploration et à l’aide des rapports de cotes (odds ratio) pour le taux de reconnaissance.

Hypothèses

Nous pensons observer un taux de reconnaissance des ronds de texture similaire ou supérieur à celui des images texturées. De plus, les images en ronds de texture devraient être apprises et reconnues plus rapidement que les images en texture car il y a moins d’exploration et d’intégration à mettre en place.

Résultats

L’analyse comprend 2 variables à effet fixe. Le statut visuel à deux niveaux comprend 36 enfants voyants et 18 enfants non-voyants et la condition à trois niveaux comprend les images en formes texturées, les images en ronds de texture et les pictogrammes en points. Afin d’observer la pertinence de ce type d’image pour des enfants malvoyants, nous avons également proposé ces illustrations à cinq enfants malvoyants à qui l’on a laissé accès à la vue. Cependant le groupe n’étant constitué que de cinq enfants nous ne l’avons pas inclus dans les modèles d’analyse statistique et présenterons seulement des moyennes et intervalles de confiance.

Taux de reconnaissance

Les analyses montrent un effet principal de la condition (type d’illustration) et un effet d’interaction entre la condition et le statut visuel. L’effet principal du statut visuel est au seuil d’être significatif (Figure 26, Tableau 5).

Discussion

Conformément à notre hypothèse, une forme figurative n’est pas nécessaire pour associer une image en texture à un objet, en tout cas pour les enfants non-voyants. Cela semble également être le cas pour les enfants malvoyants. Pour les enfants non-voyants, les ronds de texture ont été reconnus aussi bien et reconnus plus rapidement que les images en forme texturées qui combinent forme et texture. Cependant, chez les enfants voyants travaillant sans voir, le taux de reconnaissance était plus faible pour les ronds de textures. Nous proposons plusieurs hypothèses complémentaires pour expliquer ces résultats : des représentations mentales différentes, des modes de traitement de l’information haptique différents et une plus grande familiarité des enfants non-voyants avec le matériel tactile.
Il semble que les images texturées et en ronds de texture soient plus adaptées que les pictogrammes en point. Ce type d’image fait l’objet du Chapitre 3 dans lequel nous discuterons des avantages, limites et améliorations possibles de ce type d’image

Des représentations mentales différentes

Les représentations mentales sont différentes chez les enfants non-voyants et voyants (Chapitre 1 Partie 4). Ainsi, la reconnaissance d’images chez les enfants voyants pourraitdépendre plus de la forme que de la texture. Les personnes non-voyantes s’appuient moins surl’imagerie visuelle et différentes études suggèrent que leurs représentations mentales sontprincipalement basées sur l’expérience haptique. De ce fait, la texture serait une propriété cléde la reconnaissance d’images tactiles pour les enfants non-voyants.
De plus, le traitement de la forme repose sur des procédures d’exploration complexes etimplique une intégration mentale coûteuse (Gentaz et al., 2000). Les enfants non-voyants se concentreraient donc principalement sur la discrimination de la texture même lorsque la forme est disponible. Nos résultats semblent indiquer que la présence d’une forme figurative ne fournit pas d’informations supplémentaires pour identifier une image. En effet, les enfants non-voyants ne passent pas plus de temps à explorer les images en formes texturées durant la phase d’apprentissage bien qu’il y ait plus d’informations à explorer.

La familiarité avec le matériel tactile

La dernière hypothèse repose sur la familiarité avec le matériel tactile qui permettrait une meilleure discrimination des textures. Certaines études n’observent pas de différence significatives pour la discrimination des textures entre des enfants non-voyants et voyants et des adultes non-voyants et voyants (Ballesteros et al., 2005; Heller, 1989b; Mazella et al., 2016). D’autres ont observé de meilleures performances des adultes non-voyants par rapport aux adultes voyants (Alary et al., 2009; Goldreich & Kanics, 2006). Nous avons discuté plus en détail les différences entre ces études dans le Chapitre 1 Partie 3.2. Les enfants non-voyants pourraient mieux distinguer les textures que les enfants voyants car ils sont plus familiers avec le matériel tactile. Dans notre étude, l’apprentissage des ronds de texture nécessite de discriminer dix textures entre elles sans aucun indice supplémentaire et nous avons remarquéque certaines textures étaient confondues. En particulier dans l’une des listes qui a été proposée à 12 enfants voyants et 6 non-voyants dans la condition ronds de texture. Le « sapin » étaitconfondu avec la « balayette » chez 6 enfants voyants alors qu’aucun des enfants non-voyants n’a fait cette erreur. Les deux textures sont constituées de lignes verticales similaires (aiguilles de sapin pour le sapin et poils de balayette pour la balayette, Figure 29). Il est possible que les enfants voyants se soient focalisés uniquement sur la caractéristique « ligne verticale » sanspercevoir les différences d’épaisseur et d’orientation entre les deux textures.

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