Les homicides volontaires ou involontaires
De la bagarre à l’« accident » « Il mist la main a luy, luy osta ses chapeau et bonnet et luy tira les cheveux en requérant le nom de Dieu… » 336 Parmi les homicides, l’une des formes les plus fréquentes – tout au moins au vu de nos sources – est celle que nous pouvons assimiler à cette catégorie que Beaumanoir appelait la « chaude mêlée », qui était une « vive querelle [entre gens] échauffés par la colère » 337 , et qui se terminait par la mort d’un des protagonistes. Il ne faut pas voir dans le mot « mêlée » une notion de groupe, comme pourrait le faire penser le terme si nous nous référons à sa signification actuelle dans un sport tel le rugby, mais plutôt de rixe qui pouvait avoir lieu entre plusieurs personnes certes, mais aussi parfois entre simplement deux protagonistes. Les bagarres étaient fréquentes au Moyen Âge et les étudiants, naturellement querelleurs, n’étaient pas les derniers concernés.
Elles pouvaient se déclencher pour différents motifs dont certains nous paraîtraient sans doute bien futiles aujourd’hui, à tout moment et dans n’importe quel lieu. Si la rue, la sortie d’une taverne étaient des endroits privilégiés pour ces rixes, il n’en est pas qui échappaient à la confrontation de deux bandes rivales ou de deux individus. Ainsi, en 1400, Pierre Taveau, un étudiant de l’université d’Orléans originaire de Poitiers, se disputa avec un certain Laurent du Puys à l’intérieur d’une église de la ville, l’église Sainte-Croix.
La lutte débuta à mains nues, puis Taveau ayant frappé son adversaire sous l’œil, celui-ci sortit alors une épée de sous son habit et notre écolier en fit de même. Se battre dans un lieu sacré, était évidemment interdit mais se servir d’armes et y faire couler le sang, était un acte particulièrement grave puisqu’il provoquait alors une souillure de ce lieu sacré. Le compte-rendu qui fut fait de cet incident ne s’intéressa d’ailleurs guère à ce qu’il advint des deux hommes – il semble qu’aucun des deux n’en mourut – mais s’attarda sur le sang qui coula et qui pollua l’église : « et en ce conflit eut sang, pour lequel ladite église fut polluée. »
La légitime défense
« Hons qui occit autre en meslée & puisse monstrer plaie que cil ly ait faite avant qu’il l’ait occis, il ne sera pas pendu par droit » 348 Il s’agit là, a priori, de la première allusion officielle et écrite à cette forme de droit apparue en France en 1270 dans une ordonnance du roi Louis IX. Et même si le terme de « légitime défense » n’existait pas encore, la notion qu’il recouvrait était donc déjà admise et donna lieu à circonstances atténuantes, voire à total pardon, lors d’un homicide commis dans ces conditions. Nous voyons clairement cela dans les faits. Les lettres de rémission sont pleines d’exemples où ce critère est utilisé par son auteur comme argument pour se faire pardonner et les étudiants, qui connaissaient bien tout le bénéfice qu’ils pouvaient en tirer, ne furent pas les derniers à l’utiliser.
Le défi aux autorités « Aide au Roy ! Aide au Roy ! »
Si certaines plaisanteries étudiantes ne prêtaient guère à conséquence et qu’il n’est pas question ici d’assimiler à de la délinquance, il en est cependant qui constituaient un véritable défi envers les autorités locales : la moquerie d’un de ses représentants. C’est ainsi par exemple, qu’au début des années 1400, un écolier nommé Robin Poignart trouva sans doute amusant, devant ses camarades, de tirer la barbe de Guillaume Pasté, un sergent orléanais.
Un autre, pour s’attirer les rires de ses compagnons, se mit à jeter des pierres sur le maître du guet355 . Tous ceux qui, dans la ville, représentaient l’ordre établi, que ce soient le prévôt lui-même ou son lieutenant, les sergents du Châtelet le jour ou les hommes chargés du guet la nuit, furent les cibles fréquentes et régulières de nos étudiants tout au long de notre période. Malheureusement, ce genre d’actions pouvait dégénérer au point de conduire à mort d’homme. C’est ainsi qu’en 1365 à Paris, des sergents du Châtelet qui venaient percevoir des impôts chez des hôteliers de la rive gauche, furent pris à parti par une bande d’écoliers près de la place Maubert. Ceux-ci les assaillirent si violemment à coups de bâtons et de pierres que l’un des sergents se retrouva à terre. Voulant le défendre, ses collègues ripostèrent à tel point qu’un des étudiants, Gilbert de Vast, en fut mortellement blessé.