LES « GUERRES DE RACE» SOUS L’UNION
La race représente d’abord l’Anglais, le Français ou encore le Canadien français lorsque les politiciens en font usage à l’époque de l’Union (1841-1867). Elle est utilisée principalement à l’Assemblée législative pour décrire une culture, une nation, une origine. La race telle qu’on la définit à cette époque au Canada ressemble à la description qu’en fait Reginald Horsman lorsqu’il l’étudie dans un contexte américain,elle se trouve autant dans le sang que dans la société et la culture. Les députés utilisent donc le concept de race dans le but de marquer la différence et de mettre en évidence l’impossibilité d’unir les races anglaise et française. Lord Durham croit, à la suite des Rébellions, que la solution contre les guerres de races se trouve dans la disparition des distinctions en les unissant. L’assimilation des Canadiens français deviendrait alors inévitable grâce à la supériorité indiscutable de la race anglo-saxonne. « It will be acknowledged by everyone who has observed the progress of Anglo-Saxon colonization in America, that sooner or later the English race was sure to predominate even numerically in Lower Canada, as they predominate already by their superior knowledge, energy, enterprise, and wealth », écrit Lord Durham dans son rapport à la suite des Rébellions de 1837-1838.
Dès 1 841 à travers la lecture des débats de l’Assemblée législative du CanadaUni, on observe que les races anglaise et française sont sur la défensive. Tous cherchent à garder un certain pouvoir, à protéger sa race. C’est encore plus flagrant du côté des Canadiens français . Le concept de race pendant la période de l’Union est donc d’abord marqué par la difficulté d’unir deux races si distinctes et la crainte de subir certains préjudices d’un côté comme de l’autre.
Une union sans distinction de race?
L’importance des distinctions de races sous l’Union (et, par le fait même, l’usage du concept de race à l’Assemblée législative) s’observe d’emblée lors des débats sur la mise en place d’une collaboration entre les deux races qui permettrait un gouvernement actif et efficace pour le Canada-Uni. En 1841, William Hamilton Merritt, député de Lincoln au Canada-Ouest désire voir « ail distinctions of races and languages levelled, so that United Canada -united feeling and interest- might move onward to advancement and happiness ». Il faut donc, pour le progrès de la nation, réussir à mettre de côté les vieilles querelles entre les races et se concentrer sur les meilleurs moyens d’unir la race anglo-saxonne et la race française. Plusieurs députés anglophones sont persuadés que la première étape vers une union réussie entre les deux Canadas est d’accorder certains pouvoirs administratifs aux Canadiens français. Le député de Beauharnois dans le BasCanada, Edward Gibbon Wakefield, explique que les débats de races « had been produced by general and particular misgovernment. The country like the Province had been ruled by a knot of officiaIs who bestowed every local office of honor or emolument, not only upon one , but upon a small portion of that race which was alone deemed worthy of the patronage of the crown ». William Draper, député de Russell, souhaite aussi une administration sans distinction de race ou d’origine puisque « the patronage of the Executive had been reserved by one race of men, to the exclusion of the other ». Ces deux derniers députés ne font pas partie de la même province, mais proviennent de la même race’ Le concept de race dans le contexte des débats est donc moins une question de territoire qu’une question de culture, de descendance, de sang. Bref, dans les premières années de l’Union, on tente de concilier les deux races qui peuplent le Canada en misant sur l’importance de les faire gouverner sur un même pied d’égalité.
Puisque les membres de la Chambre cherchent à s’entendre au début des années 1840, essayant d’être positif quant à l’avenir pour l’union des deux races, certains représentants de l’Assemblée législative insistent sur les similitudes entre les races anglaise et française, plutôt que sur les différences. Pour les députés qui aspirent à la réussite de l’Union, plusieurs prétendent qu’il n’existe pas deux races, mais bien une race canadienne formée de deux peuples, deux langages, deux cultures: «The chief difference to be observed is in the language, the ideas whether expressed in French or English, being identical in relation to the commercial, agricultural or political interests of Lower Canada », affirme John Boulton, député indépendant de Niagara, à l’assemblée législative en 1843. Dans la même année, Boulton maintient que « there were no Frenchmen in the country, only Britons. So they should not be treated as a hostile race. » Le Canadien français et député de Trois-Rivières Joseph Édouard Turcotte, cherchant à redéfinir en quelque sorte l’identité de la race canadienne-française dans l’Union – surtout en tant que colonie anglaise – appuie cette manière de penser les races anglaise et française au sein du Canada-Uni lorsqu’il affirme que les Canadiens français sont « Français de sang, mais Anglais de nation . »
Les Canadiens français ont donc une descendance française, mais la Conquête les a fait sujets britanniques, Anglais de nation. Turcotte évoque ici une distinction entre le terme «nation» et celui de «race» qui est rarement faite dans les débats parlementaires de l’époque. Ayant à la base une définition similaire, les députés de la Chambre utilisent généralement un concept de race qui inclut aussi la nation . Ici, dans le cas de Turcotte, la notion de nation prime sur celle de race. Il appert que la race, conceptualisée en tant que race canadienne formée par deux nations distinctes, permet,selon certains représentants pol itiques tels que Turcotte et Boulton, l’union et la formation d’une seule nation, alors que les différences entre deux races en tant qu’un tout englobant la culture et le sang sont tellement profondes qu’elles rendent leur union irréalisable. La race, en tant que construction sociale, change selon le contexte, selon les besoins de l’orateur, mais aussi selon l’époque. Au début de l’Union, les politiciens tentent de diminuer les distinctions de race puisque plusieurs d’ entre eux ont une volonté de vivre ensemble. Nous verrons que plus on s’approche des années de débats sur la Confédération, plus les membres de la Chambre sont convaincus qu’une union entre deux races si distinctes, telIe que l’avait prévue Lord Durham, apparait dorénavant impossible.
Les discours optimistes de certains députés par rapport à l’Union se montrent loin d’être suffisants pour répondre aux luttes entre les races et les représentants de l’Assemblée législative s’en rendent compte rapidement. La race, selon les débats parlementaires, demeure quelque chose de profondément ancrée dans le corps, la rendant presque immuable. La race représente, par conséquent, une difficulté aux compromis politiques, économiques et sociaux. Comment est-il possible alors d’unir les deux races pour le bien de \’ Amérique du Nord Britannique? Les distinctions de race représentent, par exemple, une source d’anxiété, surtout lorsqu’il est question de la loyauté des Canadiens français. Est-il vraiment possible de faire confiance à cette race si différente qui s’est rebellée contre la monarchie dans le passé et qui n’a pas la même supériorité morale? « The Lower Canadian French », dit le député de Bytown, Stewart Derbishire, « had no thoughts of conquest over the British race, and it was very anti-british to fear either it or them .» En 1846, le député de York, George Duggan essaie d’apaiser ces mêmes craintes qu’il retrouve chez ses compatriotes anglophones: « There is no distinction among Canadians of any creed or race In their feelings of loyalty to their Sovereign and attachment to the Great-Britain . » .
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