Les grandes périodes de la patrimonialisation

La patrimonialisation

Les trois étapes du circuit sémiotique Nous avons indiqué, dans la méthodologie (Chapitre 3) l’origine et l’utilisation que nous entendions faire du circuit sémiotique, pour parvenir à une étude des formes de ces processus, dont une grande partie sont invisibles et reposent sur une dimension immatérielle. Nous voudrions décomposer les trois états de la forme : chose, déchet, sémiophore, pour parvenir à restituer les différents scenarii d’évolution possibles d’un ensemble d’îlots d’un centre ancien. Ils visent à soumettre les modifications morphologiques des objets patrimoniaux, de manière à corréler d’une part les changements ou la continuité de forme, d’autre part les changements ou la continuité de fonction. Ces évolutions formelles sont des manifestations visibles du processus de patrimonialisation/gentrification. Nous constatons que les modifications des objets patrimoniaux, dépendent de la qualité et de l’ancienneté de la forme, ainsi que de la localisation en position de centralité potentielle, susceptible d’accueillir de nouvelles fonctions. Les objets patrimoniaux les plus prestigieux, pour la plupart bénéficient d’une localisation avantageuse à leur transformation en sémiophore. Les relations forme/fonction dépendent de critères qualitatifs : esthétique, localisation, valeur patrimoniale, charge symbolique. La diffusion du processus de patrimonalisation/gentrification, se réalise au sein du système des espaces publics et le long d’axes de reconquête de la nouvelle centralité. Les normes architecturales et urbaines encadrent le renouvellement de ces relations forme/fonction. La diversification fonctionnelle par la réappropriation d’objets patrimoniaux, se révèle un indice au niveau régional de l’émergence d’une nouvelle centralité et du degré de son autonomie. Le rang de la métropole dans la hiérarchie urbaine régionale, commande le degré et l’ampleur de la diversification des fonctions, en ce sens que plus les fonctions présentes sont diversifiées, plus le centre et sa métropole progressent dans la reconquête de la centralité.

Les scenarii de la relation forme/fonction

Le cœur du processus de patrimonialisation est la ressource patrimoniale prestigieuse, c’est elle qui donne un sens et aussi souvent un nom aux différentes fractions du centre ancien. Il s’agit souvent d’édifices cultuels. Leur statut de sémiophore leur est conféré par leur qualité architecturale intrinsèque, une valorisation patrimoniale qui provient d’une institution internationale (Unesco). Nous considérons qu’il s’agit de la partie la plus signifiante et symbolique de la ressource patrimoniale. La toponymie du micro-territoire urbain garde la mémoire de ce sémiophore : Ossios David à Ano Poli, San Julian à Séville. A Thessalonique, dans le secteur est, le Monastère d’Ossios David, à Séville dans le secteur San Julian la Iglesia San Marco, ces deux édifies cultuels, illustrent la double continuité forme/fonction de l’objet patrimonial à fonction religieuse. La valeur patrimoniale de ces deux édifices provient de l’ancienneté de leur localisation, des strates présentes et visibles des métamorphoses successives de la forme initiale. (Annexes 40-45) Certains îlots, souvent trop dégradés ou ne bénéficiant pas encore, d’une réelle centralité, bien que localisés au centre, sont réinvestis par de nouvelles formes, qui respectent les critères formels du style régional : volumes et hauteur limités, chromatique imposée, impression d’ensemble qui respecte le genre traditionnel. L’émergence de ces nouvelles formes change l’aspect de nombreuses rues du centre ancien : elle donnent par contrecoup, en respectant le style régional une unité formelle au centre rénové. Elle participe donc au processus de patrimonialisation. La forme initiale subit une dissolution qui va jusqu’à la destruction du déchet, puis passe par la récupération du foncier, sa réaffectation à la même fonction résidentielle, mais symbolique d’un style régional, une unité signifiante et de modernité pour les usages courants. Par exemple à Thessalonique odos Ekaterini, une rue du secteur ouest, le plus dégradé, qui donne sur une l’église ; dans le secteur nord, odos Kastoros, le foncier disponible en position de centralité, est investi par une fonction résidentielle de standing. (Annexes 46-47) A Séville, Plaza San Marcos, la forme initiale de la fonction résidentielle, présente des signes de dissolution. La vacance de fonction que l’on constate, calle Clavinas 4, représente une disjonction entre la forme et une fonction urbaine. La forme calle Escoberos représente la fonction résidentielle ancienne dont la forme tend à se dissoudre (Annexes 48-49).La patrimonialisation de certaines formes urbaines à laquelle se rattache une fonction donnée, bénéficient de mesures de sauvegarde et entrent de ce fait dans le circuit sémiotique, pour se muer en sémiophore. Il s’agit ici d’une manifestation plus tangible et directement visible de processus de patrimonialisation et de sa contribution à la reconquête de la nouvelle centralité. Nous pourrions souligner que le rythme de la modification de la forme pourrait constituer un des indices du rythme et des temporalités de la rénovation des centres anciens. Il apparaît que cette étape du circuit sémiotique prend place dans les fractions les plus prestigieuses du centre ancien qui n’ont pas fait l’objet de destruction ni subies l’avancée de la densification. A Marseille, dans le secteur est, qui représente le plus haut degré qualitatif d’habitabilité du Panier, la Place des Moulins, la position centrale reconquiert une nouvelle centralité grâce à une localisation de choix. A Thessalonique, dans le secteur est, le cœur de Ano Poli, odos Tirteou représente une rénovation/réhabilitation de la forme originelle. A Séville dans le secteur Alameda, la calle Faustino Alvarez confère une réelle valeur symbolique ainsi qu’une qualité d’habitabilité élevée. (Annexes 50-51-52) Les localisations de ces formes répondent à des critères d’exigences plus élevées, l’architecture se distingue, l’ancienneté se révèle, la localisation se concentre dans les secteurs les mieux rénovés. Nous développerons ce scénario plus avant (Chapitre 9), dans notre approche de la sémiotique des formes de la nouvelle centralité. Quand la dégradation, altère significativement une forme urbaine initiale, à laquelle se rattachait une fonction qui se délite elle laisse place à une forme résiduelle, qui se maintient sur une durée conséquente. Cette phase au cours de laquelle la ressource patrimoniale se constitue, alimente le processus de patrimonialisation. Ce signe entretient, si il se multiplie, un sentiment de dégradation. A Thessalonique Dimitrion square situé dans le secteur sud, dont la qualité de l’habitabilité reste médiocre, le square referme en son centre la mosquée Alaça Imaret36 du XV ° siècle en 2007, la fonction cultuelle a disparu. A Terpsitheas Square, où un signe patrimonial le Türbe rappelle les patries perdues et la mémoire de la Vieille Thessalonique. De même, odos Raktivan et odos Klious, la vacance de la fonction commerciale se constate par le fort taux de non occupation des rez-de-chaussée commerciaux, voire de leur état de dégradation avancée, qui précède leur destruction et la réaffectation du  foncier. Pourtant, même dégradées, ces formes constituent des signes qui attirent aussi de nouvelles fonctions en quête de localisations centrales et signifiantes. (Annexes 53-54)

Les grandes périodes de la patrimonialisation

Dans les années 1990, ce processus change de nature et au niveau régional prend la forme d’une stratégie générale d’aménagement urbain des espaces centraux des métropoles, inscrite plus largement dans le renouvellement urbain de territoires métropolisés à l’intérieur desquels les fonctions se redéploient par le réinvestissement de terrains industriels ou autrefois délaissés : friches industrielles, water front en recomposition. Nous constatons que la décennie 1990 représente une rupture dans le processus de patrimonialisation/gentrification ; le basculement semble bien se situer au début de la décennie 1990 : les synergies entre acteurs se renforcent, de nouveaux acteurs associatifs émergent. Parmi les nouveaux acteurs l’Union européenne (UE), acteur économique décisif, conduit depuis 1993, dans le cadre de politiques structurelles, un Programme d’Initiative Communautaire (PIC) de revitalisation des centres villes par le programme Urban39, pour une première phase Urban 1 de 1994 à 1999 et depuis 2000 Urban 2. Ces dispositifs de renouvellement urbain, comprennent un volet physique, mais également un programme d’accompagnement social, en particulier en faveur des habitants les plus vulnérables, notamment quand le processus de patrimonialisation/gentrification s’enclenche. A Marseille, le début de l’opération Euroméditerranée en 1995, le plan Urban 1 en 1993, la ZPPAUP40, en 1997, indiquent un palier dans la reconquête des espaces centraux. A Thessalonique, le programme Thessalonique Capitale culturelle de l’Europe41, en 1997, vient conforter la reconquête de Ano Poli entamée en 1979. La sauvegarde du quartier du port de Ladadika42 débute en 1995. A Séville, dès 1987, le projet de l’Exposition universelle de Séville : Expo 92, représente une étape cruciale dans la reconquête des espaces centraux de la métropole andalouse. Le Plan Urban 143, débute en 1993, doté de fonds de l’UE., entreprend une accélération de la reconquête des secteurs les plus dégradés du Casco Norte : San Luis, San Gil, Alameda. Le programme débute en 1993 et s’achève en 1999. Ces interventions lourdes en termes financiers, requalifient physiquement les éléments matériels du centre ancien. Cependant, une attention particulière se porte sur la contribution de la culture au sens large aux processus de reconquête de la nouvelle centralité. Les processus de constitution de la ressource patrimoniale s’orientent en plus d’une sauvegarde physique vers la préservation de signes immatériels, vecteurs identitaires et ingrédients irremplaçables dans l’optique d’un renouvellement urbain durable. Les acteurs de la culture issus de la sphère institutionnelle ou participative, figurent parmi les promoteurs les plus dynamiques d’une dimension culturelle de la nouvelle centralité

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Les nouvelles relations forme/fonction

Les nouvelles fonctions tertiaires et créatives, sont soucieuses de se rapprocher des nouveaux centres des métropoles. Pour ce faire, elles utilisent leurs capacités à se positionner au sein de territoires et de bâtiments qui incarnent, à la fois une contemporanéité et un caractère authentique et chargé de symbole. Les professions artistiques (arts graphiques, danse, théâtre), nécessitent pour leurs activités, de vastes locaux, mais qui soient au centre de la ville, ce qui se révèle délicat au regard des prix du foncier. Elles investissent donc des locaux industriels ou artisanaux, des friches qui deviennent des lieux emblématiques de leurs implantations dans la ville. Par la même occasion, ces lieux s’ils sont assez vastes peuvent recevoir du public pour des expositions ou des spectacles, sans nécessiter une infrastructure lourde et coûteuse des institutions culturelles. A Marseille, un lieu de résidence artistique existe place de Lorette, qui permet à une série d’activités artistiques de se localiser au centre pour des sommes modiques. La plupart du temps, ces lieux ont connu une longue période de dégradation, pour finir par être récupérés et rénovés. A Séville, calle San Luis, un ensemble d’activités artistiques, se déroulent au sein d’un ancien couvent réhabilité qui met à disposition des artistes un lieu de formation et de rencontre. (Annexe 37) De mêmes les professions libérales sont soucieuses de leur image et de localiser leur locaux d’activité à proximité du centre et de leur clientèle, c’est pourquoi les cabinets de conseil, d’avocats, d’architectes, de certaines professions médicales, sont attirés par les centres anciens réhabilités.A Séville, le cabinet d’ingénierie situé, Pasaje Marques d’Esquivel, illustre la proximité des institutions et des administrations et la centralité, en face du Parc technologique de la Cartuja. A Thessalonique L’Association des Architectes de Thessalonique et le bureau pour les certifications industrielles partagent un édifice prestigieux, avec la Municipalité. A Marseille, la Vieille-Charité accueille des fonctions culturelles de rang international, dans un site en position de centralité reconquise. A côté, le Fonds Régional d’Art Contemporain, mobilise d’anciens locaux industriels et artisanaux pour loger ses bureaux et des espaces d’exposition. 

La patrimonialisation/gentrification

Il s’agit maintenant de vérifier44 (H 3 Ter), si la diffusion de la patrimonialisation correspond ou non à la propagation de l’affectation de nouvelles fonctions à des formes anciennes, par le recours aux réponses du questionnaire. Le processus de patrimonialisation/gentrification favorise l’émergence de la ressource patrimoniale et son appropriation dans le cadre de la reconquête d’une nouvelle centralité du centre ancien. La valorisation culturelle et également financière qui découle de l’émergence d’une nouvelle centralité renforce la différenciation spatiale au sein du centre ancien. La gentrification désigne le processus de réinvestissement de quartiers centraux populaires, dégradés et dévalorisés, après réhabilitation, rénovation du bâti ainsi que du renchérissement du foncier, par des catégories sociales aisées, ce qui aboutit à un embourgeoisement progressif. Le processus de gentrification concerne un centre ancien soumis à la patrimonialisation : cette dynamique forme le concept de patrimonialisation/gentrification. Il se définit comme un processus de colonisation territoriale, au niveau d’un îlot, d’un quartier, d’un secteur urbain, qui prenant appui sur la densité patrimoniale, renouvelle les relations entre les formes urbaines héritées et rénovées et les fonctions qui structurent ce territoire. Ce processus se rattache aux modalités de diffusion de la métropolisation à travers la hiérarchie des réseaux urbains méditerranéens. La gentrification concerne une pratique de la ville de l’ordre d’un retournement de valeurs 45 , lié à l’avènement d’une société ancrée sur des territoires et les opportunités qu’ils offrent à des habitants mobiles et hédonistes. Ces nouvelles valeurs s’inscrivent, au niveau régional sur des territoires réappropriés par lménagement du territoire : le goût de l’authentique la réticence face aux hiérarchies établies, la responsabilité générale, l’écologie. Les habitants des centres anciens n’ont pas toujours une idée claire du déroulement du processus de patrimonialisation/gentrification. Néanmoins ils mentionnent souvent, des dates qui correspondent à des phases saillantes de la rénovation de la métropole en général davantage que du centre ancien en particulier. Quant à Marseille, pour le quartier du Panier, les habitants qui répondent de manière différente à une question46 demandant la période de rénovation peuvent être classées selon la chronologie du processus identifié : 1980-1990, 1990-2000. L’opération Euroméditerranée débute en 1995, la ZPPAUP47 date de 1997, le premier PRI48 de date de 1993, ce dispositif est en cours en 2008. Nombreux sont ceux qui ont repéré la simultanéité de ces divers dispositifs qui accélèrent les cycles de renouvellement urbain, et renforcent les synergies entre acteurs se renforcent. « entre 1980 et 1990 » (18-24, profession intermédiaire, Panier) « depuis à peu près 1990, c’est mieux, les immeubles sont détruits ou réaménagés » (25-29, demandeur d’emploi, Panier) 

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