Les gisements de type skarn
Les skarns constituent l’un des types de minéralisations parmi les plus abondants au sein de la croûte terrestre. Ils sont de fait présents sur tous les continents dans des environnements géologiques variés, et ce au niveau de roches dont les âges s’étalent depuis le Précambrien jusqu’au Tertiaire récent. Ce sont des gîtes dits du métamorphisme de contact, caractérisés par une minéralogie souvent dominée par des minéraux calco-silicatés tels que les grenats et les pyroxènes. Ils peuvent en outre développer un large panel de métaux économiques, qui définissent par ailleurs les sept grands types de skarns : skarns à Fe, Au, Cu, Zn, W, Mo et Sn. Ce chapitre se veut le rappel des généralités sur les skarns ; il s’appuie essentiellement sur les travaux de EINAUDI et de MEINERT (EINAUDI et al., 1981 ; EINAUDI & BURT, 1982 ; MEINERT, 1992, 1995 ; MEINERT et al., 2005), largement reconnus par la communauté métallogéniste. Tout au long de cette synthèse, l’accent sera porté plus particulièrement sur la famille des skarns ferrifères qui constitue l’objet de la présente étude. Exploités pour leur contenu en magnétite (bien qu’ils contiennent quelques traces de Cu, Co, Ni voire Au), beaucoup de ces skarns ont un tonnage supérieur à 1000 Mt de minerai, dont plus de 500 Mt de Fe (e.g. Musan, en Corée du Nord, contient non moins de 5200 Mt de Fe).
Les skarns : terminologie et classifications
Entre métamorphisme et métasomatisme, la place de la skarnification
Le métamorphisme de contact doit son nom à son association spatiale directe avec un corps chaud, généralement une intrusion magmatique, qui se met en place dans un encaissant froid. L’anomalie thermique induite par la différence de température provoque ainsi des transformations à la fois minéralogiques, texturales et chimiques qui se produisent à l’état solide et forment une auréole métamorphique dont l’extension dépend de la taille du corps intrusif. D’autres paramètres entrent également en jeu, tels que les compositions chimiques du protolithe et du magma, la pression, etc. Dès lors que des fluides circulent au cours de la mise en place de l’intrusion, le métamorphisme de contact perd son caractère isochimique. Par leur intermédiaire, le système s’ouvre à la métasomatose, i.e. aux échanges cationiques pervasifs entre les roches encaissantes (l’intrusion et son protolithe) et le milieu extérieur. Les fluides impliqués s’articulent autour de trois pôles : les fluides d’origine purement magmatique, ceux provenant de la déshydratation de l’encaissant ou encore les fluides météoriques. Selon qu’ils sont immobiles ou en mouvement, les transferts métasomatiques se font, respectivement (1) par diffusion, lent processus dont le moteur est un gradient de potentiels chimiques des constituants, et facilité par de hautes températures ; (2) par percolation, lorsqu’un gradient de pression met le fluide en mouvement au travers d’une roche fortement perméable. La skarnification est un processus dynamique dans le temps et dans l’espace, qui évolue à l’interface entre le métamorphisme et la métasomatose et qui se produit en environnement carbonaté (et donc riche en CaCO3). Les forts gradients de température et les larges cellules de circulation de fluides générées par l’ascension d’un magma contribuent à provoquer un métamorphisme précoce de haute température (jusqu’à 600-800°C) associé à un métasomatisme continu du système. Le phénomène se poursuit par une altération rétrograde à mesure que les températures baissent et que la composition chimique des fluides évolue.
Les différents types de skarns
Il semble qu’à l’origine, le terme « skarn » ait désigné pour les mineurs suédois de Persberg l’assemblage de silicates calciques sans valeur constituant la gangue du minerai de fer exploité. Aujourd’hui, les skarns qualifient plus généralement les roches métasomatiques développées aux dépens d’un encaissant carbonaté, et dont l’assemblage minéral de granulométrie grossière est caractérisé par une dominance de silicates calciques (grenats, pyroxènes). On y distingue l’endoskarn de l’exoskarn, selon que le métasomatisme affecte l’intrusion ignée ou l’encaissant sédimentaire qui est à proximité. La mixité de protolithes, de fluides, d’environnement géologique, etc. voit les skarns s.l. se distribuer entre deux pôles, des simples cornéennes calco-silicatées métamorphiques aux skarns s.s. métasomatiques (Figure 4.1). Les cornéennes calco-silicatées sont des roches finement grenues issues du métamorphisme d’unités carbonatées « impures » telles que des calcaires silteux ou schistes calcareux. Les skarns dits de réaction résultent du métamorphisme isochimique de fins niveaux contrastés de schistes et de carbonates, et où des transferts chimiques peuvent se produire localement à petite échelle au niveau des alternances. Enfin, les skarnoïdes désignent des roches calco-silicatées à grains relativement fins, pauvres en Fe et conservant en partie la composition chimique de leur protolithe.
Des classifications multiples
La grande variété de faciès des skarns se reflète dans la pluralité des classifications qui ont été proposées pour les distinguer. Certains les séparent, sur la base de leur composition chimique, en skarns calciques et magnésiens, selon qu’ils se sont formés par remplacement de calcaires ou de dolomies (EINAUDI et al., 1981 ; BURT, 1982, et références incluses). L’état d’oxydation du skarn peut aussi être pris en compte (EINAUDI et al., 1981) : ainsi les assemblages des skarns oxydés, riches en Fe3+, sont dominés par une association à andradites, diopsides, épidotes, chlorites, calcites, quartz et pyrites. A l’inverse, les skarns réduits sont riches en Fe2+ et Mn2+. Ils présentent un assemblage à grossulaire, pyroxènes, biotites, plagioclases et pyrrhotite. Le processus de skarnification s’accompagne souvent du dépôt et de la concentration de substances métalliques, qui dépend de nombreux paramètres évoqués précédemment, dont la géochimie de l’intrusion ou l’état d’oxydation. En conséquence, la classification la plus économique et la plus usitée repose sur le métal dominant (EINAUDI & BURT, 1982 ; MEINERT et al., 2005) : Fe, Au, Cu, Zn, W, Mo ou Sn. Leurs caractéristiques respectives ont été synthétisées par JEBRAK & MARCOUX (2008 ; Table 4.1). D’autres classifications, moins utilisées, prennent en compte la nature du minéral calcique dominant, la profondeur ou la taille du système, l’origine de l’intrusion, ou encore la position du skarn (proximal ou distal) par rapport à cette dernière.
Carte d’identité des skarns
Si la valeur économique des skarns soulève l’intérêt, ces gisements ne représentent qu’un modèle métallogénique parmi tant d’autres. Il convient donc de reporter la liste des caractères qui permettent de les reconnaître.
Traits morphologiques
La morphologie théorique d’un skarn est simple au regard du processus qui en est l’origine. Comme nous l’avons spécifié plus tôt, c’est l’ascension d’une intrusion magmatique au sein d’un encaissant comportant une fraction carbonatée qui induit métamorphisme et métasomatisme au sein de son environnement immédiat. Les niveaux carbonatés sont ainsi skarnifiés, tandis que les niveaux silico-alumineux deviennent des cornéennes (Figure 4.2). Ce modèle idéal se produit à différentes échelles : c’est la profondeur de mise en place du pluton qui contrôle le plus la taille du système. En effet, de la profondeur dépend le gradient géothermique, qui définit lui-même la température de l’encaissant. La chaleur ajoutée par l’activité plutonique locale augmente le volume de roches affecté par des températures entre 400 et 700°C, et le système restera dans ces conditions de température d’autant plus longtemps que le skarn sera profond. Si la profondeur agit directement sur l’extension et l’intensité du métamorphisme, ces variables affectent à leur tour la perméabilité de l’encaissant, et peuvent donc réduire la quantité de carbonates disponibles pour réagir avec les fluides. Au travers de la température, la profondeur joue également un rôle sur les propriétés mécaniques de l’encaissant. La déformation ductile rend les intrusions profondes subparallèles à la stratification, et le skarn reste confiné en zone étroite autour du contact. En subsurface, les contacts des intrusifs sont abrupts et en discordance nette sur la stratification. La fracturation y augmente la perméabilité et le skarn se développe plus largement, jusqu’à atteindre l’envergure du pluton lui-même.
Minéralogie
Comme nous l’avons déjà évoqué plus tôt, la minéralogie d’un skarn est composée pour l’essentiel de grenats, pyroxènes et autres pyroxénoïdes, olivines, amphiboles, épidotes et carbonates. Selon EINAUDI & BURT (1982), les compositions de ces phases minérales peuvent cependant varier selon le type du skarn (Figure 4.3) ; elles dépendent également de facteurs comme la lithologie des protolithes, la température, la perméabilité ou encore le degré d’oxydation des solutions impliquées. La zonation minérale est l’une des caractéristiques qui rend les skarns remarquables : spatio-temporelle, elle peut considérablement compliquer la compréhension du système en cas Chapitre 4 – Les gisements de type skarn 99 de superpositions. A l’échelle du terrain, la zonation se développe d’abord spatialement depuis l’intrusion ou les conduits des fluides (échelle micrométrique à kilométrique). Lorsque ces derniers passent au travers de la zone de réaction, leur composition chimique et celle de l’encaissant changent conjointement, provoquant la propagation de fronts de réactions correspondant aux différentes transformations minérales. De l’intrusion au marbre, la zonalité classique (Figure 4.4) présente des grenats proximaux suivis de pyroxènes plus distaux, puis de la wollastonite (± vésuvianite) au contact entre la zone transformée et le marbre. Ces silicates calciques représentent la phase prograde du processus de skarnification. A mesure que la température du système baisse et que les saumures magmatiques se mêlent aux fluides de leur environnement (issus de la déshydratation de l’encaissant ou météoriques), la minéralogie change pour se décliner en épidotes, amphiboles, chlorites et autres phases hydratées. Contrôlée structuralement par les failles et les contacts stratigraphiques et intrusifs, cette phase rétrograde hydrothermale se superpose à l’assemblage prograde. Si le skarn est superficiel, la perméabilité accrue rend les circulations fluides plus intenses et plus pervasives ; l’altération rétrograde peut alors occulter complètement les minéraux progrades. A l’inverse, les températures ambiantes plus fortes en profondeur la minimisent si le skarn ne peut refroidir sous le domaine de stabilité des grenats et pyroxènes.