Les frontières : une question socialement vive à enseigner

Les frontières : une question socialement vive à
enseigner

Le lycée Etienne Oehmichen

Un lycée urbain et attractif dans un contexte rural. Le lycée Etienne Oehmichen est situé à Châlons-en-Champagne, dans l’académie de Reims. Châlons-en-Champagne est la préfecture du département de la Marne et ancienne capitale de la région Champagne-Ardenne. En 2016 la population de la commune était de 44 980 habitants, pour une densité de population de 1727 habitants/km² ; la ville connait une baisse démographique depuis 1975. Son aire urbaine, en 2016, comptait 81 858 habitants. Le tissu économique est diversifié et relativement dynamique. La ville possède 4 lycées : le lycée 34 Les données recueillies pour écrire ce paragraphe viennent d’une part d’un document de travail de Mme Agnès Delaunay, proviseur-adjointe du lycée Oehmichen et d’autre part d’un entretien informel avec M. Philippe Quérin, Conseiller Principal d’Education du lycée Oehmichen. 35 Ce lycée accueille les épreuves orales du CAPES d’histoire-géographie. 65 général Pierre Bayen situé au centre-ville, le lycée polyvalent Jean Talon situé dans le quartier de la gare, le lycée Etienne Oehmichen qui se situe en périphérie Nord de la commune, proche des axes routiers reliant Châlons-en-Champagne à Reims, la ville la plus dynamique du département ; dans cette même zone géographique – quartier résidentiel du Mont Héry – se situe également le lycée privé polyvalent Frédéric Ozanam. Le lycée Etienne Oehmichen est un lycée polyvalent, puisqu’il accueille sur un même site un lycée professionnel, un lycée d’enseignement général et technologique, une Unité de Formation et d’Apprentissage (UFA) rattachée au Centre de Formation d’Apprentis académique de Sedan, et un groupe d’apprentis pour le compte du CFAI de Reims. Le lycée porte l’une des quatre plateformes technologiques de l’Académie de Reims. Le Lycée Professionnel est également le support de la Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire (MLDS) (bassin de Châlons) ainsi que d’une UPE2A 2nd degré et d’une Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire lycée. Le nombre d’élèves était de 1157 élèves à la rentrée 2018. Le lycée Professionnel Oehmichen est labélisé « Lycée des métiers de l’hôtellerie » et « lycée des métiers du transport et de la logistique ». Le spectre des formations dispensées et très dense et étoffé. Il s’étend du niveau V au niveau III dans des domaines très variés : des baccalauréats professionnels diversifiés (secteurs industriels, de la conduite routière, de la logistique et de l’hôtellerie-restauration), ou des CAP (secteurs de la restauration et de l’hébergement). Ces diverses formations se répartissent en 8 classes de Baccalauréat Professionnel à chaque niveau, 4 classes de CAP à chaque niveau, 1 classe de 3ème Préparatoire Professionnelle36, 1 dispositif MLDS, soit 34 classes. 75 % des enseignants ont une ancienneté supérieure à 5 ans, contre 13.5 % en France en 2012-2013 ; et 17.3% ont une ancienneté inférieure à 2 ans, contre 33.7% pour la France. Ces chiffres traduisent une bonne insertion de l’équipe pédagogique en ces lieux. Cet ancrage est d’autant plus fort que le lycée professionnel Oehmichen se trouve être un lycée presque tranquille.

Un lycée presque tranquille

Le lycée Etienne Oehmichen est un lycée hétéroclite, assez représentatif de la société. En effet, les écarts peuvent être importants entre les classes de 1ère année Agent Polyvalent de Restauration, qui est un CAP à public prioritaire, et les classes de 2ème année de BTS. Avant 36 3ème PrépaMétiers depuis la réforme de 2019. 66 2009 et la réforme du Baccalauréat professionnel en 3 ans, il y avait davantage de CAP et de BEP, ce qui participait à la crispation du climat scolaire37 ; or depuis la réforme on observe une meilleure répartition scolaire dans les différents lycées de la ville. Le lycée possédait, lorsque j’y enseignais, plusieurs CAP dont deux CAP d’insertion : Agent Polyvalent d’Insertion et Agent d’Entreposage et de Messagerie, soumis à un recrutement particulier, notamment dans des milieux sociaux très défavorisés. Au cours d’un entretien informel (2015) le Conseiller Principal d’Éducation dresse un constat peu confiant dans le suivi parental de la scolarité des élèves. Selon lui, les parents s’impliquent peu dans la scolarité des leurs enfants, et comptent beaucoup sur l’institution scolaire pour mener les élèves au Baccalauréat. Il y a de plus en plus de désintérêt des familles quant à l’absentéisme de leurs enfants. Il considère également que l’environnement immédiat du lycée pose également problème : les élèves sortent devant le lycée pour fumer, ce qui attire une population difficile et ce d’autant plus qu’il y a deux lycées à proximité l’un de l’autre. De même l’étalement spatial du lycée (9 hectares) engendre des difficultés de gestion des intrusions dans son enceinte, quoique celles-ci soient en diminution ces dernières années. Par ailleurs, un groupe de réflexion sur le climat scolaire a été créé en 2012 et le travail fourni n’a pas été vain car il est à noter une baisse du nombre de bagarres et de dégradations sur ces dernières années. En revanche on remarque une augmentation des incivilités en classe, créant un climat de tension. En effet, ces classes concentraient les élèves en difficulté. Figure 2 : Structure pédagogique de la voie professionnelle du lycée Etienne Oehmichen38 Certaines classes, certaines sections, sont difficiles à gérer et requièrent de nombreuses stratégies éducatives pour réussir à faire cours dans de bonnes conditions. Ceci s’explique par le recrutement dans ces sections et leurs différents taux de pression. Par exemple les sections hôtelières et de conduite routière possèdent dans ce lycée des taux de pression élevés, ce qui assure une sélection dans les candidatures et permet donc d’avoir des classes plus faciles à gérer puisqu’elles sont composées d’élèves motivés et contents d’être là. À l’inverse certaines sections ont un taux de pression39 bas et se remplissent parfois avec des élèves dont le vœu numéro 1 n’a pas été satisfait : leur orientation s’effectue donc pas défaut ; la posture des élèves face aux apprentissages ainsi que le climat de la classe s’en trouvent nettement dégradés. Néanmoins, d’une manière générale, enseigner dans ce lycée fut agréable grâce au dynamisme des équipes pédagogiques et de vie scolaire. Terme utilisé pour désigner le rapport entre le nombre de place et le nombre de demande. Le lycée accueille chaque année une partie des épreuves orales du Capes d’histoire-Géographie. 68 L’équipe de Lettres-Histoire se compose de neuf postes, occupés par huit enseignants diplômés en histoire. Il n’y avait qu’une seule femme au sein de l’équipe au moment où j’y enseignais. Seuls quatre enseignants sont installés définitivement à Châlons-en-Champagne et n’envisagent pas de mutation géographique, ce qui assure un renouvellement fréquent de l’équipe. Hormis moi lors de mon arrivée, tous les autres enseignants de Lettres-Histoire étaient des enseignants chevronnés qui partageaient facilement leur expérience. L’équipe de LettresHistoire, souvent en liaison avec les professeurs documentalistes, était porteuse de nombreux projets. Figure 3 : Plan du lycée Etienne Oehmichen41 https://lycee-etienne-oehmichen.fr/index.php?id=35 Enfin, l’aménagement du lycée, étalé sur un périmètre important, complique quelque peu la communication42, et notamment les rencontres avec les enseignants des domaines professionnels, car les bâtiments sont parfois éloignés les uns des autres.  Le bâtiment K est quasiment réservé à l’enseignement général et les bâtiments A, B, D, R sont eux exclusivement réservés à l’enseignement professionnel. 

LIRE AUSSI :  Calcul de structures en bureau d’études

Le lycée Pierre Mendès France

Un lycée au sein du monde rural de taille modeste

Le lycée Pierre Mendès France est situé à Contrexéville, dans l’académie de Nancy-Metz. Contrexéville est une ville thermale du Sud-Ouest du département des Vosges. En 2016, la population de la commune était de 3232 habitants, pour une densité de population de 216 habitant/km² ; elle connait une baisse démographique depuis 1982 et Contrexéville peut être qualifiée de ville rétrécissante (Fol, 2010). Le tissu économique de la ville repose sur deux activités principales : d’abord l’usine d’embouteillage de Nestlé pour la marque Contrex, et ensuite l’activité thermale. Le relatif dynamisme économique de la ville est renforcé par sa proximité immédiate avec la ville de Vittel qui détient également une usine d’embouteillage d’eau et qui est également une station thermale. Le lycée Pierre Mendès France se situe au centre-ville, en face des thermes. Une partie des locaux du lycée se trouve dans un ancien hôtel, l’Hôtel Continental, qui a été offert par son propriétaire à l’Etat, après la 2nde Guerre mondiale. Le lycée Pierre Mendès France est un lycée professionnel qui accueille également des formations pour adultes. Il est labélisé « Lycée des métiers de l’hôtellerie et de la restauration » et « Lycée des métiers du bien-être ». Les formations qui y sont dispensées sont en adéquation avec le tissu économique local. À la rentrée 2018, l’établissement accueillait 287 élèves, avec 3 baccalauréats professionnels, 2 CAP, une classe de 3ème PrépaMétiers et 2 formations postbac, ainsi qu’une Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire lycée spécialisée dans les troubles importants des fonctions cognitives. Ces diverses formations se répartissent ainsi : 3 classes de Baccalauréat professionnel à chaque niveau, 2 classes de CAP à chaque niveau, une classe de 3ème PrépaMétiers et une classe de mention complémentaire Coiffure, Coupe, Couleur (pour l’année scolaire 2018-2019 la seconde formation postbac : la formation complémentaire en Hydro esthétique était fermée faute d’étudiants), soit 15 classes. Les enseignants sont des enseignants chevronnés, et seul l’un d’entre eux à moins de 30 ans. Il y a peu de mouvement dans le corps enseignant, la très grande majorité des enseignants ne faisant pas de demande de mutations ; les mouvements sont essentiellement dus à la présence de contractuels. 

Un lycée tranquille

Le lycée Pierre Mendes France est un petit lycée, dans lequel règne une ambiance familiale entre les personnels. Il est très facile de connaitre l’ensemble des adultes travaillant dans le lycée ce qui crée un sentiment d’appartenance assez fort. Le faible nombre d’élèves d’une part et la part importante d’élèves internes d’autre part créent une atmosphère agréable et conviviale dans le lycée. Le recrutement est difficile dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration : les taux de pression sont bas, contrairement aux filières esthétique et coiffure où les taux de pression sont élevés, ce qui influe sur l’ambiance des classes et leurs capacités de travail. Ainsi les problèmes de comportement sont beaucoup plus fréquents dans les classes d’hôtellerie que d’esthétique. En prenant en compte le nombre de rapports sur le comportement durant une année scolaire (ici 2017-2018), la filière cuisine – les 3 classes de bac pro confondues – a obtenu 365 rapports sur le comportement contre 290 pour la filière Commercialisation et Services en Restauration, et seulement 130 pour la filière esthétique. Sans doute le stress propre à cette filière hôtellerie et restauration n’est-il pas étranger non plus à ces comportements. Dans un article consacré aux serveuses travaillant dans la restauration au Québec, Ève Laperrière, Karen Messing et Renée Bourbonnais (2010) ont répertorié la liste des nombreux défis auxquelles ces femmes étaient confrontées et les effets sur la santé de la somme de ces efforts élevés, combinés à une faible reconnaissance au travail. Nul doute que les élèves ont certainement conscience de la précarité professionnelle qui les attend, ces professions de la restauration et de l’hôtellerie reposant essentiellement sur du travail précaire. On peut faire l’hypothèse que cette mauvaise image de leur avenir, et peut-être d’eux-mêmes, est à corréler avec ces comportements perturbateurs. La principale caractéristique du lycée Pierre Mendes France est d’être le lycée de secteur de nombreux collégiens, les lycées généraux et/ou professionnels les plus proches se situant à Mirecourt (26 kms), Neufchâteau (28 kms), ou Epinal (45 Kms). Pour certains élèves le premier critère d’orientation après la 3ème est d’abord géographique ; cette recherche de proximité influe alors sur le recrutement du lycée et donc sur le climat scolaire de l’établissement. Prenons l’exemple des trois classes de terminale baccalauréat professionnel de l’année scolaire 2018- 2019.

Table des matières

I. Emergence du questionnement
II. Méthodologie
III. Une posture particulière
PARTIE 1 : Des lycéens professionnels face à une Question Socialement Vive en géographie
CHAPITRE 1 : Un monde particulier : Le lycée professionnel
I. Le lycée professionnel aujourd’hui
II. La géographie au lycée professionnel
III. Contextes des lycées professionnels au sein desquels ont été menées les enquêtes
CHAPITRE 2 : Qui sont les élèves de notre corpus ?
I. Une population hétérogène
II. Quels liens les élèves de ce corpus entretiennent-ils avec la géographie ?
III. Quelles relations les élèves de ce corpus entretiennent-ils avec les « autres » ?
CHAPITRE 3 : Les Questions Socialement Vives en Géographie.
I. Les questions socialement vives.
II. Le rapport au savoir
III. Les questions socialement vives en géographie scolaire
CHAPITRE 4 : La géographicité des élèves au centre des enjeux d’une question socialement vive en géographie.
I. La géographicité : un outil d’analyse des rapports au monde des élèves
II. La géographicité de mes élèves : quels rapports au monde possèdent-ils ?
PARTIE 2 : Les frontières appréhendées comme une Question Socialement Vive en Géographie
CHAPITRE 5 : Peut-on considérer les frontières comme une question socialement vive en géographie ?
I. Quels attributs pour définir une frontière ?
II. Des mutations du monde aux mutations des frontières : temporalités des frontières
III. La frontière : une question triplement socialement vive ?
CHAPITRE 6 : Quels sens les élèves donnent-ils aux frontières ?
I. Comment les élèves définissent-ils les frontières ?
II. Quels sont les savoirs que les élèves détiennent sur les frontières ?
CHAPITRE 7 : Les frontières : une question socialement vive pour les élèves ?
I. Quels intérêts les élèves portent-ils aux frontières ? 5
II. Quels débats les frontières soulèvent-elles chez les élèves ?
PARTIE 3 : Enseigner les frontières : Propositions didactiques.
CHAPITRE 8 : Les questions socialement vives : un champ didactique partiellement exploité
I. Intérêts et difficultés d’enseigner les questions socialement vives
II. Quelles sont les pistes didactiques qui permettent de prendre pleinement en considération les questions socialement vives ?
CHAPITRE 9 : Des démarches innovantes pour enseigner les frontières
I. La géographie expérientielle : une démarche efficiente pour enseigner les frontières ?
II. Proposition d’une démarche didactique pour enseigner la question socialement vive des frontières
Conclusion
Bibliographie

projet fin d'etudeTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *