Les formes en -(i)kuan/-(i)kushu

Les formes en -(i)kuan/-(i)kushu

Les relationnels de TA à sujet logique inanimé

Dans sa description des applicatifs relationnels, Drapeau (2014) documente des formes relationnelles de verbes transitifs animés qui possèdent un sujet logique inanimé, où des formes verbales en -(i)kuan émergent à la troisième personne du singulier de l’ordre indépendant. Les applicatifs relationnels permettent d’introduire un participant animé qui joue le rôle de participant central. Ce dernier ne peut être que de troisième personne et ne joue toutefois pas un rôle précis (2014: 243). En ce qui concerne les formes relationnelles de TA à sujet logique inanimé, elles ont la particularité de prendre pour base la forme inverse du radical verbal TA. Concrètement, à l’ordre indépendant, on ajoute la voyelle -a à la base verbale inverse puis les marques de personne (2014: 246). Ceci donne des énoncés tels qu’illustré dans les exemples suivants, où (1) a. figure à l’ordre indépendant et b. à l’ordre conjonctif:

Nipishtaukuan 1 Pieǹ utapan

‘L’auto de Pierre me frappe’ b. Apu pishtaukuk Pieǹ utapan ‘L’auto de Pierre ne me frappe pas’ (Drapeau, 2014: 246) Ici, les propositions comportent trois participants: «le participant inanimé qui provoque l’action, le participant animé qui la subit et, enfin, le participant animé de 3e personne qui indirectement relié à l’action» (2014: 246). Le participant inanimé est ‘l’auto’, le participant animé est ‘moi’ et le participant animé de 3e personne indirectement relié à l’action est ‘Pierre’. Cependant, les formes en -(i)kuan observées dans le cadre de la présente analyse (voir Annexe D) – bien qu’elles puissent ressembler aux formes relationnelles à sujet logique inanimé à l’ordre indépendant décrites par Drapeau (2014) – n’impliquent pas de troisième participant animé de troisième personne «indirectement relié à l’action». De plus, les applicatifs relationnels ne peuvent pas être formés à partir de bases intransitives inanimées 2 .

Enfin, les formes examinées possèdent un radical verbal commutable et identifiable sans le morphème -(i)kuan/-(i)kushu. C’est pourquoi nous traitons ici ces morphèmes comme des suffixes à part entière, non apparentés aux applicatifs relationnels, comme nous allons le démontrer dans les sections suivantes. 4.3 Forme et sémantique des suffixes -(i)kuan / -(i)kushu Le suffixe -(i)kuan s’avère extrêmement productif si l’on en s’en tient au nombre de formes entrées dans le dictionnaire innu en ligne 3 . Tous les verbes auquel il s’attache sont pour la plupart des verbes de perception intransitifs inanimés. Notons également que certains d’entre eux possèdent une signification passive.

L’exemple suivant, tiré du dictionnaire en ligne, illustre ces caractéristiques: (2) Tshissenitakuan ‘Quelque chose est connue, se sait’ Mais il est aussi intéressant de noter que le radical verbal de cet exemple peut aussi être passivisé à l’aide du suffixe passif -(a)kanu, générant alors la même signification passive, comme l’illustre l’exemple suivant tiré de Kapesh (1976: 104):Uesh mak uin innu apu tshissenitakannit pupunnu tan kaispish tshitshipant e natuut kie apu tshissenitakannit atshitashunnu tan kaispish tshitshipant tshetshi ishipakassiut passuk innu-aueshish. ‘On ne sait pas en quelle année l’Indien, lui, a commencé à chasser et on ne connaît pas la date à laquelle il a commencé à vivre uniquement des animaux indiens.’ Ici, les deux formes passives mises en évidence figurent à l’ordre conjonctif, car elles sont précédées de la conjonction de négation apu et sont traduites respectivement par ‘on ne sait pas’ et ‘on ne connaît pas’. Ainsi, au travers des exemples (2). et (3), on constate que les formes en -(i)kuan et en -(a)kanu peuvent se chevaucher sémantiquement 4 .

Par conséquent, il apparaît nécessaire d’examiner la nature formelle et sémantique du suffixe -(i)kuan. Comme nous l’avons présenté en 3.3 pour les suffixes passifs, nous proposons dans cette section une segmentation morphologique du suffixe -(i)kuan. En effet, nous considérons que ce suffixe est constitué du morphème inverse -(i)ku et de la finale abstraite -an-. Selon l’analyse de Denny (1978; 1984) au sujet de la sémantique des finales abstraites en cri et en ojibwé, la finale abstraite -an- désigne un état général. Celle-ci encode non seulement des états imputés à un objet par le jugement humain, mais aussi des états imputés par processus d’inférence, c’est-à-dire soit par la perception, soit par le jugement (1978: 307). Toutefois, la finale -an pourrait également être conçue comme l’association de la finale -a- et -n où -a est la finale que Denny (1978; 1984) classe comme la finale spatiale des verbes intransitifs inanimés désignant un état. Car effectivement, bon nombre de formes en -(i)kuan réfèrent à des états spatiaux. Mais Denny (1978: 307-308) de préciser à ce sujet que: «the emphasis upon the inference made by the speaker seems to block these occurrences from being classed as spatial, even when the state inferred would itself be classed as spatial» et de conclure: « Inferred states are, thus, one kind of nonspatial state conveyed by -at-(-an-)».

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